Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Saint-Merry – Quatrième dimanche de Pâques – Année C

Dimanche 17 avril 2016 - Saint-Merry (Paris IVe)

Le Pape appelle constamment l’Église à raviver sa mission d’annoncer la Bonne nouvelle à nos contemporains. Pour éviter que l’Église ne cède à la tentation de l’auto-référencement, il l’invite à redécouvrir le Christ et à reconnaître celles et ceux auxquels nous sommes envoyés. Le monde a besoin de miséricorde. L’esprit pharisien qui se développe dans nos sociétés, c’est la volonté de perfection sans la miséricorde. Pécheurs pardonnés, les chrétiens montrent à travers leurs faiblesses que la puissance de l’amour de Dieu n’est pas tenue en échec.

 Ac 13, 14.43-52 ; Ps 99 ; Ap 7, 9.14b-17 ; Jn 10, 27-30

Frères et Sœurs, chers Amis,

Depuis trois ans que le Pape François a été appelé à conduire l’Église du Christ, celui-ci nous a répété à plusieurs reprises un message exprimé de façons diverses, mais permanent dans ses objectifs : raviver au cœur de l’Église sa mission d’annoncer la Bonne nouvelle, raviver au cœur de l’Église la mission pastorale du Christ, la rendre active et perceptible pour nos contemporains. Quand nous entendons de façon aussi claire l’objectif pastoral de l’Église - et donc la manière dont s’applique aujourd’hui la mission pastorale du Christ -, nous comprenons que nous sommes invités continuellement à déplacer notre point de vue, à ouvrir notre regard et nos cœurs.

Dans les réunions qui ont précédé l’élection du pape, je me souviens avoir entendu la communication de celui qui était alors le cardinal Bergoglio. Il s’exprimait sur la manière dont l’Église devait vivre le troisième millénaire, non pas comme une réalité auto-référencée, mais comme une réalité qui trouve son identité dans la relation avec les autres. Une réalité auto-référencée cela veut dire : un corps ecclésial qui se replie sur lui-même parce qu’il ne pense qu’à lui, ne réfléchit que sur ses projets, n’examine que ses propres idées, ne se définit que par ses propres objectifs. Ce qui peut arracher l’Église à cette tentation permanente de ne regarder qu’elle-même, et donc ce qui peut nous arracher, nous chrétiens, à la tentation permanente de croire que l’avenir de l’Évangile, c’est celui que nous lui réservons, c’est de découvrir à chaque moment, à nouveaux frais, le Christ qui nous arrache à la contemplation de nous-mêmes, à la satisfaction de ce que nous faisons, à l’espoir de voir enfin reconnu que nous sommes meilleurs que les autres… Le Christ manifeste dans sa vie que le Père a voulu se faire proche des hommes. Il nous invite, non pas à le garder proche de nous, mais à nous laisser entraîner par lui pour devenir à notre tour proches de nos frères.

Échapper à la tentation de se référencer à soi-même, c’est aussi se laisser appeler par les besoins des hommes. C’est accepter que la population humaine ne soit pas telle que nous l’imaginons. C’est accepter que les attentes, les besoins, les souffrances, les espérances qui traversent le monde ne correspondent pas à ce que nous avons préparé pour y répondre. C’est accepter que nous devions d’abord ouvrir les yeux et reconnaître celles et ceux auxquels nous sommes envoyés.

C’est cette attitude pastorale que le pape a développée abondamment dans l’Exhortation apostolique Amoris laetitia que nous avons reçue il y a quelques jours, en nous invitant à prendre conscience que le premier lieu de l’annonce de la Bonne nouvelle, ce n’est pas nous, c’est le lieu où nous sommes appelés. Le premier lieu de témoignage de la miséricorde de Dieu, ce n’est pas nous mais ceux qui ont besoin de miséricorde. Le monde a besoin de miséricorde. Notre société est traversée par une frénésie de jugements et de condamnations. Alors qu’on lui avait annoncé qu’il n’y avait plus de bien ni de mal, on assiste sans cesse à la chasse à ceux que l’on considère comme les pécheurs. Pour les chrétiens qui auraient encore quelques difficultés à comprendre ce qu’étaient les pharisiens, ils n’ont qu’à regarder ce qui se passe autour d’eux et ils auront une illustration de ce que c’est que l’esprit pharisien. L’esprit pharisien, c’est la volonté de la perfection sans la miséricorde. C’est la volonté du commandement, de la loi, des lois, de plus de lois, de toujours plus de lois, pour éviter que la liberté humaine soit amenée à choisir et à se prononcer. Dans la dureté de ce monde, dans cette forêt de procureurs qui sont tout prêts à dénoncer le mal chez les autres, notre premier témoignage consiste à montrer que la miséricorde de Dieu nous rend capables de devenir miséricordieux. Nous ne sommes pas constitués en association de chasse aux mauvais. Nous ne sommes pas constitués en association de purificateurs de la société. Nous ne sommes pas constitués en association de procureurs. Nous sommes constitués en association de pécheurs pardonnés. Nous sommes constitués en association d’hommes et de femmes qui connaissent la faiblesse humaine. Ils l’éprouvent dans leur propre vie et ils sont heureux de montrer à travers leur vie que cette faiblesse ne dépasse pas la puissance de l’amour de Dieu.

Ainsi, frères et sœurs, le Bon pasteur auquel nous sommes invités à nous référer nous appelle à faire de nos communautés chrétiennes un lieu d’action de grâces et de joie, comme cela apparaît dans le livre des Actes des apôtres, un lieu où l’on se réjouit d’avoir été touchés à la fois ensemble et chacune et chacun pour nous-mêmes, d’avoir été touchés par l’amour de Dieu au cœur de notre faiblesse.

Paris est comme le monde : Paris a besoin de miséricorde ! Les Parisiens ont besoin de savoir qu’il existe des lieux et surtout des personnes capables de les aimer tels qu’ils sont et de les aider à progresser dans leur vie. Cette mission de notre Église composée de pauvres pécheurs, consiste à manifester aujourd’hui dans notre ville que nous sommes attentifs à ce que vivent nos contemporains, que nous sommes attentifs à leur annoncer que dans leur vie actuelle, telle qu’elle est, il y a une espérance possible, de leur annoncer que l’amour de Dieu ne se lasse pas de venir à leur rencontre.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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