Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Ordination épiscopale de Mgr Georges Colomb, évêque de La Rochelle et Saintes

Jeudi 5 mai 2016 – Parc des Expositions de La Rochelle (17000)

 Solennité de l’Ascension du Seigneur – Année C
 Ac 1, 1-11 ; Ps 46, 2-3, 6-7, 8-9 ; He 9, 24-28 et 10, 19-23 ; Lc 24, 46-53

« Vous serez mes témoins. »

L’événement de l’Ascension du Seigneur, dont nous célébrons la fête aujourd’hui, reste souvent énigmatique pour beaucoup. Ceux qui ne croient pas au Christ peuvent l’interpréter comme un des éléments du mythe fondateur de la foi chrétienne et nous le comprenons. Mais l’événement est-il toujours plus clair et riche de sens pour nous qui nous disons disciples du Christ ? Est-ce que nous ne succombons pas très souvent à la tentation de Thomas qui avait besoin de voir pour croire ? Nous vivons alors la disparition physique de Jésus comme une sorte de carence : comment pourrions-nous croire si nous n’avons plus rien à voir ? Et quand nous entendons l’évangile de Luc nous dire que les disciples étaient « en grande joie », nous sommes tentés de prendre cette expression comme une formule convenue qui ne correspond pas à la réalité de ce qu’ils éprouvaient. Essayons de mieux comprendre ce que nous dit l’Écriture.

1. La bonne nouvelle pour le monde entier.

Le Christ avait annoncé son départ à ses disciples comme une condition nécessaire pour qu’ils reçoivent le don que le Père a promis, c’est-à-dire l’Esprit-Saint. Ce don de l’Esprit suppose le départ du Fils. C’est parce que la promesse de Dieu ne se limite ni à un temps ni à un lieu et qu’elle est destinée à tous les peuples de tous les temps. Ce qu’il y avait de particulier et de localisé dans la mission de Jésus restreignait son champ d’application à son temps et à Jérusalem, à la Galilée, à la Judée et à la Samarie. C’était la puissance de l’Incarnation de rendre visibles les œuvres de Dieu dans ces limites. C’était sa faiblesse de ne pas pouvoir s’étendre à d’autres espaces ou à d’autres périodes de l’histoire humaine. Après avoir sanctifié le temps et l’espace, Jésus en sort en « franchissant le rideau de la chair » pour ouvrir un nouveau chemin de vie. Paradoxalement, l’Ascension de Jésus qui le rend invisible le rend accessible à tous. L’Église que Jésus lance dans une mission qui vient de Dieu et qui est nourrie du don de Dieu lui-même dans l’Esprit-Saint va être définie par cette double dimension du visible et de l’invisible.

Parce qu’elle est envoyée à des hommes incarnés, l’Église appartient à la visibilité historique et aux limites de l’espace et du temps. Son expérience sacramentelle la rend visible aux yeux de ses membres comme aux yeux des hommes et des femmes qui l’entourent. Il n’y a pas plus d’Église purement spirituelle qu’il n’y a eu de mission de Jésus hors du cadre historique du Peuple élu. Parce qu’elle est envoyée à toutes les nations, l’Église ne doit pas et ne peut jamais se laisser enfermer dans les limites visibles que nous connaissons. Sa place assignée est d’aller au-devant de l’humanité entière, à la rencontre des plus proches comme des plus lointains.

C’est l’universalité de cette mission qui empêche l’Église de s’abandonner au repos en quelque lieu et en quelque temps que ce soit. S’il nous arrivait de nous contenter de vivre l’Église comme un système de défense de nos traditions et de nos coutumes, nous ne tarderions pas à la voir se rétrécir et se scléroser comme un sarment mort qui ne porte plus de fruit.

2. La force d’en-haut.

Comment pouvons-nous échapper à la tentation de faire de l’Église une sorte de syndicat d’initiative de biens spirituels ou un supermarché de valeurs culturelles ? Comment nous dégager d’un esprit de consommation du religieux auquel on a recours en cas de besoin et duquel on attend les meilleurs services à sa porte ? En posant ces questions, je me rends compte que je pointe un mouvement humain très naturel et spontané qui consiste à juger de tout en fonction de mes attentes personnelles. Si nous voulons échapper à ce travers, il nous faut entrer dans un dynamisme particulier qui est le dynamisme de l’amour. Comme Jésus dit de lui-même que « le Fils de l’Homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir », il invite ses disciples à se faire serviteurs les uns des autres, à chercher à servir plutôt que d’être servis.

Ce retournement des priorités ne peut pas être le fruit d’un simple effort moral, il suppose une conversion du cœur, qui ne peut être que le fruit de l’amour « répandu en nos cœurs par la foi. » Les disciples parviendront à cette nouvelle dynamique par le don de l’Esprit-Saint, l’esprit de Jésus. Nous ne parvenons à cette nouvelle orientation de nos forces intérieures et de nos activités que par le don de l’Esprit qui nous est fait dans les sacrements du baptême et de la confirmation, renouvelés par la réconciliation et par la communion eucharistique.

Devenir les témoins du Christ là où nous sommes, dans notre environnement familial, dans notre vie professionnelle, dans nos temps de loisirs, auprès de nos amis et devenir témoins du Christ auprès de toutes les nations, les nations représentées dans notre société, comme les nations répandues à travers le monde n’est possible que si nous demandons et si nous accueillons « la force d’en-haut », la force qui vient de Dieu, Dieu lui-même.

Cette certitude que c’est Dieu lui-même qui pousse son Église hors de ses limites est la source de notre confiance et de notre sérénité. Nous ne sommes pas des militants de nos propres idées, ni des représentants en valeurs spirituelles, nous sommes envoyés par l’Esprit pour devenir témoins de quelqu’un qui ne nous appartient pas.

3. Le ministère épiscopal.

L’évêque est envoyé à une Église particulière pour veiller à la manière dont elle participe à la mission universelle confiée par Jésus à ses disciples. Cher Père Colomb, en vous envoyant dans le diocèse de La Rochelle et Saintes, le Pape François vous confie la mission de fortifier le Peuple de Dieu vivant dans ce diocèse et de lui rappeler sans cesse que l’Église du Christ est vraiment fidèle à sa mission quand elle porte ses regards, son cœur et ses actions au-delà de ses limites visibles.

Vous êtes envoyé comme un signe sacramentel de la place de ce diocèse dans la communion universelle de l’Église et pour arracher chacune des communautés qui constituent le diocèse à la tentation de se croire l’Église à elle toute seule. Comme le prêtre qui préside la célébration eucharistique en étant le témoin d’un don qui vient d’en-haut, vous présiderez à la vie du diocèse, en étant le témoin de la mission confiée par Jésus à ses disciples. Par la célébration des sacrements avec vos prêtres et vos diacres, vous nourrirez toute la communauté de la Parole de Dieu et du Pain de Vie.

Dans l’exercice de votre responsabilité, vous vous appuierez sur la grâce de la communion pour relancer sans relâche le dynamisme missionnaire. Votre expérience dans la Société des Missions Étrangères de Paris vous a rendu familier de l’annonce de l’Évangile dans des cultures et des traditions différentes des nôtres. C’est dire que vous savez observer et respecter des cultures différentes et des histoires particulières et en apprécier les richesses. Dans votre responsabilité de Supérieur Général, vous avez acquis une expérience de l’autorité ecclésiale qui n’est jamais une domination mais toujours un service. Mais par-dessus tout, c’est votre expérience et votre conviction missionnaire qui nourriront votre action et à laquelle vous aurez le souci d’associer tous les membres de ce diocèse ouvert vers le grand large.

Par l’imposition de nos mains, vous allez entrer dans le collège apostolique et devenir garant de la communion ecclésiale dans ce diocèse de La Rochelle et Saintes. Que l’Esprit-Saint que vous allez recevoir en plénitude vous donne sa force et sa paix ; qu’il vous comble de la joie que nul ne peut nous ravir ! Que devienne une vérité perceptible les paroles que vous avez choisies pour marquer votre épiscopat : « Ma grâce te suffit ». Amen

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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