Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe d’action de grâce pour le 70e anniversaire du Secours Catholique

Mercredi 25 mai 2016 - Saint-Séverin (Paris Ve)

Jésus se présente comme le vrai pasteur et accomplit la prophétie d’Ezekiel. Cette mission dépasse les limites de Nazareth et d’Israël. Elle s’applique à l’humanité tout entière. Se mettre au service de l’amour de Dieu, c’est rejoindre les besoins des hommes sans distinction, quelles que soient leur origine, leur culture, leur religion.

 Ez 34, 1-5.11-16 ; Ps 105 ; Lc 4, 16-30

Frères et Sœurs,

C’est une grâce particulière pour nous de célébrer le soixante-dixième anniversaire du Secours Catholique au cœur de l’Année de la miséricorde que le Pape François a décrétée pour toute l’Église, afin de nous inviter à mieux prendre conscience de la façon dont Dieu prend soin de l’humanité. La miséricorde de Dieu veille sur l’homme et la femme qu’il a appelés à la vie et qu’il a lancés dans l’aventure dont nous connaissons une partie seulement et qui se prolonge encore devant nous.

Dieu est le vrai pasteur annoncé par le prophète Ezekiel qui va « prendre soin de ses brebis, soigner celles qui sont blessées, rassembler celles qui sont dispersées » (Ez 34,11-12). Quand Jésus, dans la synagogue de Nazareth, se présente comme le vrai pasteur qui accomplit la prophétie d’Ezekiel, tous sont dans la joie car ceux qui l’entendent comprennent que le moment est venu où va s’accomplir ce qu’Ezekiel avait annoncé. Mais déjà, nous les entendons solliciter Jésus pour qu’il accomplisse dans son village de Nazareth les signes qu’il a déjà posés ailleurs, en particulier à Capharnaüm. Ils espèrent bien un bon pasteur, un vrai pasteur mais ils l’espèrent d’abord pour eux, puisqu’il est natif de leur village. Ils pensent qu’ils doivent être les premiers à bénéficier de la miséricorde de Dieu. Jésus, en quelques phrases, fait sauter les murs dans lesquels aurait pu s’enfermer l’image du pasteur du village de Nazareth. Non seulement il les fait sauter à la dimension du peuple d’Israël tout entier, mais encore plus loin en puisant dans la tradition biblique, pour montrer que la manière dont la miséricorde de Dieu s’applique à l’humanité ne se laisse pas enfermer dans les frontières de la nation, ni même dans les frontières de la religion. En effet, c’est à une veuve de Sarepta que le prophète a été envoyé, c’est un païen syrien qui a été guéri de sa lèpre comme signe que l’amour de Dieu ne se laisse enfermer dans aucune frontière. Nous voyons comment les auditeurs de Nazareth reçoivent cette annonce de la dimension universelle de l’amour de Dieu comme un dommage à ce qu’ils considèrent comme leur droit à être les premiers servis et peut-être même les seuls.

Se mettre au service de l’amour de Dieu pour les hommes, c’est donc d’abord accepter de transgresser les frontières, les cultures, les religions. C’est accepter que le critère et la mesure de notre action ne soient pas l’image que nous avons de nous-mêmes mais les besoins des hommes qui nous sont manifestés. Aujourd’hui, pour nous, il s’agit de comprendre que l’appel de Dieu à collaborer au soin qu’il prend de l’humanité ne veut pas dire simplement prendre soin de nos pauvres, de nos concitoyens ou de nos coreligionnaires, mais ouvrir la miséricorde de Dieu à l’humanité tout entière. Nous savons aujourd’hui, dans notre Europe occidentale, que l’ouverture à l’humanité tout entière n’est pas le premier objectif. Le premier objectif, c’est plutôt la fermeture pour protéger notre relative prospérité et notre relative tranquillité, c’est refuser de laisser venir ceux qui peuvent avoir besoin de pain et de liberté.

On s’interroge parfois – étrangement d’ailleurs – pour savoir comment on va reconnaître le chrétien parmi les valeurs matérialistes de ce monde. On n’a pas besoin de chercher très loin pour comprendre que nous ne pouvons pas mettre en œuvre l’Évangile sans nous laisser entraîner dans la dimension universelle de l’amour de Dieu et sans nous laisser convertir, non pas par notre vision du monde, mais par la vision du monde que les pauvres nous apportent en mettant à jour leurs besoins. C’est si vrai que nous avons trop facilement tendance à cacher ces besoins, à trouver des parades pour qu’ils n’apparaissent pas de façon trop criante ou trop scandaleuse devant le gaspillage de notre société de consommation. Nous préférons qu’ils soient bien cantonnés dans des endroits discrets plutôt que de les voir au milieu de nous.

Ainsi, frères et sœurs, à l’exemple de Mgr Rodhain, qui, devant les misères consécutives de la Seconde guerre mondiale, a créé le Secours Catholique il y a 70 ans pour être à l’écoute de toutes les pauvretés et pour contribuer à les combattre, nous sommes aujourd’hui invités à être à l’écoute de tous les besoins des hommes, non plus simplement dans le rayon relativement étroit d’une société qui n’avait pas nos moyens de communication, mais dans la dimension universelle que nous apporte l’information sur le monde. Je suis heureux que Mgr João COSTA, président de la Caritas du Brésil, soit présent avec nous aujourd’hui comme symbole de cette communion universelle.

Rendons grâce au Seigneur pour les fruits qu’il a fait porter au Secours Catholique, et appelons de tout notre cœur la dimension universelle de l’amour de Dieu dans les œuvres de miséricorde que le Pape François nous invite à mettre en œuvre.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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