Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND – 12e Dimanche du Temps ordinaire – Année C

Dimanche 19 juin 2016 - Notre-Dame de Paris

L’épisode de la confession de foi de Césarée marque une étape dans la vie publique de Jésus. L’annonce de l’avènement des temps nouveaux s’accompagne de signes accomplis par Jésus, enseignement, miracles. Mais que représente vraiment Jésus pour les disciples et les foules qui le suivent ? Après la réponse de Pierre, Jésus annonce sa passion et sa résurrection. Les disciples sont appelés à comprendre que la suite de Jésus passe, non par des critères de succès mondains, mais par l’offrande de soi. C’est aussi notre propre vocation comme disciples du Christ et membres de l’Église.

 Za 12,10-11 ; 13,1 ; Ps 62 , Ga 3, 26-29 ; Lc 9, 18-24

Frères et Sœurs,

Ce passage de l’évangile de saint Luc constitue un tournant dans la construction du récit des évangiles. Il se retrouve aussi bien chez saint Matthieu que chez saint Marc. On nomme habituellement cet épisode, la confession de foi de Césarée pour rappeler la réponse faite par Pierre à la question du Christ : « Tu es le Christ, le Messie de Dieu ». C’est un tournant dans l’évangile parce que, jusqu’à ce moment-là, le Christ au long de sa vie publique a annoncé l’avènement des temps nouveaux du règne de Dieu et il a donné les signes de ce renouveau de la Promesse. Il a donné des signes par l’enseignement qu’il a prodigué aux foules qui le suivaient. Il a donné des signes par les miracles qu’il a opérés, nous en avons eu un exemple avec la résurrection du fils de la veuve de Naïm. Il a aussi annoncé l’avènement des temps nouveaux par l’attitude qu’il a adoptée dans ses relations avec les pécheurs à l’occasion du repas chez Simon le Pharisien.

Ce royaume nouveau est habité par une parole d’espérance et marqué par des signes de victoire sur la mort par la manifestation de la miséricorde de Dieu. Les évangiles nous disent que l’avènement de ce règne nouveau trouvait une grande audience auprès des gens qui entendaient et qui voyaient Jésus, et que, peu à peu, une foule a commencé à le suivre et à s’assembler autour de lui. Devant cette foule, Jésus pose une question qui va devenir une sorte de marqueur pour les disciples qui le suivent. Que représente-t-il pour tous ces gens qui ont été séduits par sa parole et par les signes qu’il a donnés ? C’est la question que Jésus pose à ses disciples : aux dires des foules, qui suis-je ? Ces foules qui le suivent, qu’ont-elles reconnu en lui ? Un beau parleur ? Un prédicateur ? Un grand sage ? Quelqu’un qui fait des miracles ? Sont-ils allés plus loin ? Le regard du Christ se rapproche de ses disciples après avoir parcouru des yeux les foules qui l’entourent et il leur pose, à eux, la question : « mais vous, que dites-vous de moi ? » (Lc 9, 20) Que dites-vous de moi quand vous parlez aux autres ? Pour vous qui suis-je ? Pierre prend la parole et dit : « Tu es le Christ, le Messie de Dieu » (Lc 9, 20). Les autres évangiles synoptiques précisent que cette réponse ne vient pas de lui-même mais de Dieu qui la lui a inspirée.

Cependant, la réponse de Pierre n’a pas clôturé la question. Il n’a fait que l’ouvrir. Qu’est-ce que cela veut dire le Christ, le Messie de Dieu ? Comment se représente-t-il ce Messie ? Et comment représente-t-il son action ? S’imagine-t-il que tout va continuer comme avant, par des signes et des discours qui vont attirer le monde ? Est-ce que le Messie va surmonter toutes les difficultés ? L’évangile rapporte que Jésus, « avec autorité, leur défend d’en parler » (Lc 9,21). On pourrait ajouter : parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent ! Pour éclairer cette défense, Jésus ajoute : le Fils de l’Homme va devoir souffrir beaucoup, être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et ressusciter le troisième jour. S’ils portaient en eux l’image d’un messie glorieux, dominant ses contradicteurs, surclassant ses ennemis et attirant comme par magie la foi de ses auditeurs, il faut qu’ils soient détrompés. Les événements vont se charger de montrer que ce n’est pas ainsi que Jésus accomplit sa mission. Il n’est pas venu pour séduire le monde, il n’est pas venu pour être reconnu par le monde, mais il est venu pour appeler, pour ouvrir un chemin, et ce chemin passe par la contradiction, par la haine, par la mort. C’est ainsi que cette scène où culmine la profession de foi de Pierre, devient le point de départ d’un nouvel épisode dans la vie de Jésus. Il va s’acheminer progressivement vers Jérusalem pour y être crucifié.

S’il défend aux disciples d’en parler, ce n’est pas simplement parce qu’ils ne sauraient pas quoi dire, ou parce qu’ils ne seraient pas compris, mais c’est parce qu’ils ne sont pas capables d’en parler. Pour l’instant, les critères qui les poussent et les soutiennent sont les critères du succès public, de la réussite, de l’enthousiasme. Les critères qu’ils vont devoir découvrir à mesure qu’ils vont suivre le chemin du Christ, sont les critères de la fidélité, de l’endurance, de la patience, et ultimement de l’offrande de soi. « Celui qui veut sauver sa vie la perdra ; celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera » (Lc 9,24). Au moment où nous en sommes, ils ne sont pas encore prêts à perdre leur vie pour le Christ. Ils le deviendront après la mort et la résurrection de Jésus quand ils recevront l’Esprit Saint.

Quant à nous, nous vivons après la Pentecôte. Nous avons reçu l’Esprit Saint et cependant nous ne sommes pas encore totalement acquis à cette vision de la mission par laquelle le Christ va sauver le monde. Nous ne sommes pas encore acquis à la conviction que c’est par la souffrance que la mort est vaincue. Nous ne sommes pas encore acquis à la conviction que ce n’est pas le succès humain qui est le critère de jugement de la qualité de la vie de l’Église. Trop souvent, nous réagissons comme si l’Église devait s’acquérir un droit de cité parmi les organisations humaines, comme si elle devait être plus attractive pour séduire ! Nous ne sommes pas envoyés pour séduire, nous sommes envoyés pour secouer, pour troubler, pour poser des questions, pour aider à lever les yeux vers Dieu et à attendre de lui le salut du monde.

Ainsi, frères et sœurs, à ce point de l’année liturgique, l’évangile de saint Luc nous invite à réviser la manière dont nous suivons le Christ, à interroger ce qui nous attire chez lui, à scruter ce que nous disons de lui, comment nous parlons de lui, comment nous parlons de l’Église, comment nous imaginons l’avènement du Royaume en ce monde, comment nous acceptons d’être appelés avec le Christ à nous renoncer nous-mêmes, à prendre notre croix et à le suivre.

Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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