Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND – 11ème dimanche du temps ordinaire – Année C

Dimanche 12 juin 2016 - Notre-Dame de Paris

La fidélité à la parole de Dieu passe par le respect de la Loi et des Commandements. Mais la Loi ne suffit pas à rendre juste. C’est le Christ qui nous justifie. La Loi désigne le mal et le péché mais ne peut en supprimer les conséquences. Nos péchés sont pardonnés par la surabondance d’amour de Dieu. Cela n’est possible que si nous acceptons de nous reconnaître pécheurs.

 2 S 12, 7-10.13 ; Ps 31(30) ; Ga 2, 16.19-21 ; Lc 7, 36 – 8, 3

Frères et Sœurs,

Les Pharisiens n’étaient pas de mauvaises gens. Ils étaient même de très bons juifs. Ils étaient convaincus que la fidélité à la parole de Dieu et aux commandements de l’Alliance devaient commander toute leur manière de vivre, et que c’est dans l’obéissance à la loi de Dieu que se trouvait le chemin du Salut. Non seulement ils observaient scrupuleusement les Dix Commandements que Moïse avait reçus au Sinaï, mais encore des dizaines et des dizaines d’autres qui en étaient découlés et qui entraient dans les plus infimes détails de la vie quotidienne. Nous en avons de nombreux témoignages dans les évangiles. Mais pouvait-on reprocher à ces hommes de vouloir être fidèles à la parole de Dieu ? Pouvait-on leur reprocher de croire que l’obéissance absolue à la loi de Dieu était le chemin du salut et de la justice ? Certainement pas. Ce n’est d’ailleurs pas ce que Jésus leur reprochera et ce n’est pas ce qu’il annonce quand il dit qu’il n’est pas venu abolir la loi mais la mener à son accomplissement.

Si nous voulons comprendre un peu mieux la situation que nous révèle ce déjeuner chez Simon le Pharisien et le dialogue qui s’ensuit, nous devons nous éclairer de la parole de Paul dans l’épître aux Galates. Il nous fait comprendre quelque chose d’assez difficile : ce n’est pas la loi qui rend juste, c’est le Christ qui rend juste. Alors, si nous voulons, comme Jésus le fait lui-même dans l’évangile, reconnaître la fonction positive de la loi, comment faut-il la comprendre ? Elle nous aide à découvrir le péché qui est en nous. La loi ne fait pas disparaître le mal, elle signale où peut gésir le mal. Elle signale d’où vient le poison qui est en nos cœurs. Par la définition de ce qui est permis et défendu, de ce qui est bien et de ce qui est mal, de ce que Dieu attend de nous et de ce qu’il nous demande d’éviter, elle met en place un système de discernement de nos conduites. La loi nous aide à comprendre quand nous faisons le mal. La loi, de cette façon, dévoile nos fautes et nos péchés, mais elle est impuissante à les enlever, elle est impuissante à les faire disparaître, elle est impuissante à en supprimer les conséquences.

C’est pourquoi saint Paul nous dit, avec la force caractéristique de son style, que c’est la foi au Christ qui rend juste. Ce n’est pas l’obéissance à la loi. Ceci doit nous éclairer beaucoup, tant nous avons de difficultés à comprendre la logique de la miséricorde dans laquelle le Christ s’inscrit, et le chemin de miséricorde dans lequel il nous invite à le suivre. La miséricorde, ce n’est pas l’amour de Dieu pour ceux qui sont justes, c’est l’amour de Dieu pour tous et d’abord pour les pauvres et les pécheurs. La miséricorde de Dieu n’est pas une rétribution qui viendrait reconnaître notre innocence, elle est un surcroît d’amour qui surmonte nos fautes et nos péchés et qui vient nous arracher à nos fautes et à nos péchés. Comme nous le dit saint Luc, ces femmes qui suivaient les apôtres et le Christ étaient des femmes guéries, guéries de maladies et d’esprits mauvais. D’une certaine façon, tous les disciples étaient des disciples guéris. Et nous tous, chacun et chacune d’entre nous qui essayons de suivre le Christ, nous sommes des disciples guéris. Nous ne sommes pas des justes qui faisons à Jésus la faveur de l’aimer, nous sommes des pécheurs. Comme cette femme, nous avons des péchés, « de nombreux péchés », comme dit Jésus, et ces péchés sont pardonnés, non pas par la force de notre conquête morale qui s’appuierait sur l’observance absolue de la loi, mais par la surabondance de l’amour qui s’applique à notre faiblesse quand la loi nous fait découvrir le péché qui est en nous.

David avait fait tuer Urie le Hittite pour lui prendre sa femme. Quand le prophète lui fait découvrir l’injustice qu’il a commise, David dit à Nathan : j’ai péché contre le Seigneur. Ce n’est pas Nathan qui va faire disparaître cette faute. Ce n’est pas David qui va réussir à rendre juste une action injuste. C’est Dieu lui-même qui, par la parole de Nathan, lui dit : le Seigneur a passé sur ton péché. Mais évidemment, le basculement, le seuil à partir duquel la miséricorde du Seigneur peut passer sur notre péché, c’est le moment où, comme David, nous nous reconnaissons pécheur, « j’ai péché contre le Seigneur », ou que nous suivons l’exemple de cette femme pécheresse publique qui ose braver les interdits pour venir se jeter aux pieds de Jésus et lui exprimer toute sa douleur.

Frères et sœurs, en cette année de la miséricorde, prions Dieu qu’il nous fasse échapper au réflexe pharisien qui consisterait à arranger la loi pour que nos comportements ne soient plus dénoncés dans leur faute ; prions le Seigneur qu’il nous fasse échapper au réflexe pharisien qui consiste à dénoncer le mal qui est dans les autres sans voir le mal qui est en nous. Demandons au Seigneur qu’il nous délivre du complexe pharisien de vouloir nous faire justes et saints sans que ce soit le Christ qui nous justifie et qui nous sanctifie.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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