Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe d’action de grâce pour les treize années de rectorat à Notre-Dame de Paris de Mgr Patrick JACQUIN – 23e Dimanche du temps ordinaire – Année C

Dimanche 4 septembre 2016 - Notre-Dame de Paris

Jésus précise les qualités qu’il attend de ces disciples. Suivre le Christ requiert de le préférer de façon exclusive à toute autre relation. Jésus nous invite donc à un christianisme de décision. Dans la manière de conduire sa vie, il existe une réflexion qui n’est pas l’exploitation des excès mais la prise en compte des véritables difficultés. Il faut choisir nos moyens pour parvenir au bout. La parole de Jésus nous libère pour fortifier notre communion avec lui.

 Sg 9,13-18 ; Ps 89, 3-6.12-14.17 ; Phm 9 b-10.12-17 ; Lc 14,25-33

Frères et Sœurs,

Depuis la transfiguration et l’annonce que Jésus a faite de sa Passion, de sa mort et de sa Résurrection, l’évangile de Luc nous montre comment il s’avance vers Jérusalem pour accomplir sa mission jusqu’au bout. Le chemin qu’il parcourt au long de ces différents épisodes de l’évangile de Luc va permettre à l’évangéliste de faire apparaître les caractéristiques et les composantes de ce qui est attendu des disciples, en même temps que les règles que Jésus leur donne pour assumer la mission de l’Église et rester fidèles à la fraternité qu’il a fondée avec eux.

Les versets d’aujourd’hui font partie de ces enseignements du Christ. Ils méritent que nous nous arrêtions quelques instants pour mieux saisir ce qu’il peut y avoir d’étrange et de surprenant dans ces paroles.

Au point où nous en sommes, Jésus continue d’être suivi par de grandes foules qui l’accompagnent, mais ni lui, ni nous, ne sommes dupes : celle-ci comprennent des gens très diversement motivés. Les uns espèrent un miracle, d’autres une parole lumineuse pour leur vie, d’autres viennent intercéder pour quelqu’un, d’autres tout simplement souhaitent être témoins de ce qu’il s’est passé. De même, nous sommes ce soir dans cette cathédrale une foule nombreuse, et au cœur de cette foule, il y a toutes sortes d’attentes, de désirs, de dispositions intérieures. C’est en regardant cette foule que Jésus va formuler un critère absolu pour venir à sa suite. Ce n’est pas tout à fait pareil de faire route avec Jésus ou de marcher à sa suite. On peut être un spectateur bienveillant, un témoin intéressé, mais ne pas s’attacher à la suite du Christ. Le disciple, c’est celui qui s’attache à la suite du Christ, et donc, si parmi cette foule nombreuse, il en est qui veulent devenir disciples du Christ, il faut savoir ce que cela veut dire sans ambigüité. C’est ainsi que Jésus est amené à formuler une exigence qui nous paraît complètement hors de mesure. Il demande qu’on le préfère de façon exclusive à toute autre relation : plus que père, mère, femme, enfant, frère et sœur, et même à notre propre vie. C’est une demande complètement hors de nos perspectives, surtout si nous avons été habitués, éduqués peut-être, à un christianisme du « juste milieu », sans trop d’excès, sans excès de piété, sans excès de signes extérieurs, sans excès d’engagements particuliers. On est chrétien, on ne prétend même pas être de bons chrétiens, on accepte même d’être désignés comme des pécheurs, mais enfin, on finit par s’en accommoder. On est des chrétiens du « juste milieu », des chrétiens du christianisme de la juste raison, en évitant les emballements, les excès, les choses trop spectaculaires et excessives. Précisément, ce que le Christ demande à ceux qui le suivent, ce n’est pas ce christianisme du juste milieu, c’est un christianisme de combat, c’est un christianisme de décision : préférer le Christ à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie. On comprend qu’un certain nombre parmi nous, à travers la télévision, ou en lisant l’Évangile, se disent : cela ce n’est pas pour moi. Je ne suis pas fait pour être disciple ! Peut-être y en a-t-il qui sont appelés à vivre cela, mais pas moi !

Le Pape François dans son exhortation La joie de l’Évangile, invite tous les chrétiens à devenir des disciples missionnaires. On trouve que c’est très généreux et très attirant, mais alors, est-ce que cela veut dire que c’est cela que nous sommes appelés à vivre ? Comme si le choc, l’espèce de paradoxe entre ce que Jésus dit et ce que nous sommes prêts à assumer était déjà perceptible dans la situation où le Christ a prononcé ces paroles, Jésus nous ouvre une manière de comprendre par les deux petites paraboles sur la construction d’une tour et sur le départ en guerre. Ces deux petites paraboles nous invitent à comprendre que le fonctionnement raisonnable de l’intelligence et de la liberté humaines est fondé. C’est du bon sens ! On va se moquer de celui qui a commencé à construire sans avoir prévu comment il allait achever. On va trouver que le chef de guerre est bien imprudent de partir sans avoir fait le compte de ses forces. Autrement dit, dans la réflexion humaine, dans la manière de conduire l’existence humaine, il y a une réflexion raisonnable qui n’est pas l’exploitation des excès, mais qui est la prise en compte des véritables difficultés. Si nous voulons atteindre un certain but, il faut prendre les moyens. Si notre but est de répondre à l’appel du Christ pour devenir ses disciples, il n’est pas déraisonnable d’exprimer par quels moyens on peut y parvenir.

« Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple » (Lc 14,33). Il nous faut évidemment comprendre qu’il ne s’agit pas de brûler toutes ses affaires dans un autodafé, mais qu’il y a un attachement personnel au Christ qui transcende tous nos liens -que ce soient des relations familiales, amicales, professionnelles, et tous les biens que nous possédons- et que cela n’est pas mépriser ni nos relations familiales, amicales ou professionnelles, ni les biens que nous pouvons posséder que de nous rappeler régulièrement que le premier commandement nous demande d’aimer Dieu de toutes nos forces, et un seul Dieu, par-dessus-tout.

Ainsi, frères et sœurs, bien loin de nous acculer à une sorte de dilemme entre ce qui est fanatique et ce qui est raisonnable, la parole du Christ nous délivre, car elle nous fait mesurer ce qui est absolu, sans discussion et sans concurrence, et ce qui est relatif. Elle nous aide à comprendre que, pour vivre vraiment dans le Christ, il faut que nous vivions du Christ et que tous les éléments constitutifs de notre vie soient orientés vers cette communion au Christ.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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