Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe d’installation de Mgr Patrick Chauvet comme recteur de la cathédrale ND – 24e dimanche du Temps Ordinaire – Année C

Dimanche 11 septembre 2016 - Notre-Dame de Paris

L’attitude de Jésus face aux scribes et aux pharisiens suscite pour nous, une espérance, une mission, un programme ; Une espérance : l’homme ne se réduite pas à son péché, sa conversion est toujours possible. Cette espérance est confiée à l’Église comme une mission pour en exercer le ministère. Celui-ci se réalise par la prédication et l’accueil inconditionnel de tout homme. Ce programme est spécialement confié aux différents acteurs de la cathédrale Notre-Dame de Paris et en premier lieu à son recteur archiprêtre.

 Ex 32,7-11.13-14 ; Ps 50,3-4.12-13.17.19 ; 1 Tm 1,12-17 ; Lc 15,1-32

Frères et Sœurs,

En transgressant l’interdit qui empêchait les Juifs de partager le repas des pécheurs, de crainte de contracter une impureté et d’être eux-mêmes exclus de la prière commune, Jésus suscite la controverse. Il suscite les récriminations des pharisiens et des scribes, et en même temps il met en œuvre une attitude qui représente pour nous à la fois une espérance, une mission, et un programme.

Une espérance parce qu’à travers la scène que nous rapporte l’évangile de Luc, et la leçon que Jésus veut donner, il est clair que dans l’esprit du Christ, et dans sa pratique, le pécheur n’est jamais réduit à son péché. Quels que soient les fautes, les erreurs, les crimes qu’il a pu commettre, il reste en tout homme une identité et une dignité qu’aucun de ces actes ne peut lui retirer. Il demeure fils de Dieu, et quand bien même il se reconnaîtrait comme un de ses serviteurs indignes, comme le fait le fils prodigue dans la parabole, Dieu lui ne voit en lui que son fils égaré et retrouvé. C’est une espérance parce que cela veut dire que pour chacune et chacun d’entre nous, il n’y a pas de fatalité du mal, il n’y a pas de fatalité du péché. Il y a toujours ouvert devant nous un chemin de conversion. C’est une espérance parce que cette marge qui sépare les fautes que l’on commet de notre identité, est l’espace nécessaire à notre conversion. C’est une espérance parce que cela veut dire que nous pouvons toujours revenir vers le Père, que nous pouvons toujours faire le chemin inverse, que jamais aucune liberté n’est enfermée dans son mal. C’est une espérance parce que cela veut dire que la parole, la supplication, l’intercession, la prière telle que Moïse l’a faite en faveur de son peuple, telle que le fils prodigue l’a faite devant son père, restent un chemin ouvert pour tout pécheur. C’est une espérance parce que nous savons - parce que nous croyons ce que Jésus nous dit -, que la miséricorde de Dieu a été manifestée aux hommes, et que le Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs comme nous dit saint Paul et pour faire miséricorde. C’est une espérance pour chacun et chacune d’entre nous, c’est une espérance pour tous les hommes.

Alors que nos relations sociales sont si souvent construites sur le principe du soupçon, de la polémique, de l’accusation, nous entendons une parole qui ouvre devant nous un chemin de liberté. Cette espérance est une mission parce qu’elle est confiée à l’Église pour en exercer le ministère à travers les âges. Les disciples recevant l’Esprit du Christ après sa résurrection sont envoyés pour pardonner les péchés, c’est leur premier ministère. Ce ministère de la miséricorde que le Pape François a voulu particulièrement souligner cette année en en faisant une Année jubilaire de la miséricorde, nous est confié non pas comme une sorte d’indifférence ou de laxisme moral mais comme une capacité d’appeler tout homme et toute femme à mener une vie meilleure, une vie digne, une vie responsable.

Ce ministère nous l’exerçons par la prédication en annonçant à temps et à contretemps que Dieu appelle les hommes à une manière de vivre plus haute que celle qu’ils imaginent. Mais ce ministère nous l’exerçons surtout dans la qualité de nos rapports avec les membres de notre communauté qui sont dans la souffrance, dans le péché, parfois dans le désespoir. Nous l’exerçons en refusant de structurer notre vision du monde entre gens légitimes et gens illégitimes, en refusant de rejeter celles et ceux qui nous semblent impurs, indignes ou simplement différents. Nous l’exerçons en essayant laborieusement de pratiquer la vertu de l’accueil. Cette espérance et cette mission constituent un programme permanent.

Mais en ce jour permettez-moi de l’appliquer d’une façon plus particulière à ce lieu où nous célébrons qu’est la cathédrale Notre-Dame de Paris, lieu s’il en est où l’Église refuse de trier ceux qui entrent, où l’Église refuse de rejeter ceux qui se présentent, où l’Église refuse de désigner les impurs et de se protéger d’eux. Ici, l’Église veut donner la possibilité à tout homme ou toute femme qui essaye de changer sa manière de vivre, qui éprouve, comme le fils prodigue, le besoin de revenir vers son Père et de lui demander pardon, bref de vivre la miséricorde non pas comme une revendication mais comme une démarche de conversion, de trouver la possibilité de recevoir le pardon de Dieu et d’entrer dans la joie de la fête. Cette Église ne se repose pas sur la splendeur de son monument, si grande soit elle, mais s’appuie sur l’activité discrète et permanente de prêtres et de laïcs qui se dépensent sans compter pour que la mission puisse s’exercer en ce lieu. Si nous ouvrons les portes et si nous accueillons quiconque veut entrer, ce n’est pas par négligence ou par indifférence, c’est parce que nous souhaitons que tout homme et toute femme qui veut s’approcher de Dieu puisse le faire. Nous souhaitons mettre en œuvre, autant que nous le pouvons, les moyens pour qu’ils le fassent dans la sérénité, la paix et qu’ils y trouvent la joie.

C’est à ce programme que le recteur-archiprêtre de la cathédrale est engagé par la mission que je lui confie d’être, avec celles et ceux qui collaborent avec lui, témoin de la foi chrétienne en ce lieu et d’être en même temps celui qui accueille quiconque est en recherche de Dieu.

Nous connaissons tous, ne serait-ce que par les plaques commémoratives que nous avons la possibilité de lire, les célébrités qui ont exprimé comment la cathédrale Notre-Dame avait été le lieu d’une expérience forte pour eux, que ce soit Paul Claudel, Mère Marie Eugénie Milleret de Brou et tant d’autres. Chaque année je reçois du monde entier des témoignages d’hommes et de femmes pour qui leur passage en ce lieu a été l’occasion non seulement d’admirer la splendeur du trésor artistique de la cathédrale, de vénérer les reliques de la Passion qui y sont conservées, mais encore d’éprouver la présence de Dieu par le témoignage de foi des chrétiens qui viennent y prier.

Frères et sœurs, je vous invite à rendre grâce pour cette espérance, pour cette mission et pour ce programme, et à prier Dieu qu’il nous donne la force de le mener à bien.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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