Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe pour la Fête du Séminaire du Chapitre - Immaculée Conception de la Vierge Marie

Jeudi 8 décembre 2016 - Notre-Dame de Paris

Avec le dialogue entre l’Ange Gabriel et Marie se nouent des événements qui engagent l’humanité. Face au mystère du mal et de la mort qui surgit dans la vie des hommes la place du Christ mort, ressuscité et glorifié permet de percevoir la volonté que Dieu a de sauver tous les hommes. De même que Marie a engagé sa volonté en disant "oui", tout homme est invité à engager la sienne en reconnaissant et en aimant Dieu. La liberté humaine apparaît comme une composante constitutive du salut.

 Gn 3,9-15.20 ; Ps 97,1-4.6 ; Ep 1,3-6.11-12 ; Lc 1,26-38

Frères et Sœurs,

Le dialogue entre l’Ange Gabriel et Marie à Nazareth engage évidemment des événements qui vont profondément transformer la vie de Marie. Mais il engage surtout des événements qui vont changer la vie du monde, et à travers ce dialogue entre deux personnes, où se joue l’engagement de la liberté de Marie, c’est l’avenir de l’humanité qui est tout entière engagée.

C’est ainsi que les lectures que nous avons entendues avant le récit de l’Annonciation à Nazareth, nous invitent à mesurer comment la révélation divine éclaire l’histoire des hommes. Celui qui écrit le livre de la Genèse est confronté à une difficulté mystérieuse à laquelle chaque génération devra faire face. Pourquoi Dieu, dans sa toute puissance, suscite-t-il une créature, lui donne-t-il la vie, et ne la préserve-t-il pas de l’erreur et du péché ? Comment peut-on concilier la foi dans la promesse de salut que Dieu fait à travers l’alliance en Israël et l’expérience dramatique qui va marquer l’histoire de son peuple, et qui marque aussi chaque existence humaine : appelés que nous sommes du néant à la vie, et projetés de la vie dans la mort ? Nous comprenons que pour beaucoup d’hommes et de femmes à travers les âges, cette énigme ait pu être un obstacle insurmontable à la reconnaissance de l’identité de ce Dieu, car au fond, puisque Dieu n’avait pas réussi avec Adam, il aurait pu tout arrêter ! A quoi bon sortir de la phase initiale pour entrer dans l’histoire humaine si c’est pour ouvrir des siècles de drames ? C’est pourquoi, il est si important dans le récit du livre de la Genèse que la promesse faite à Eve manifeste dès le début que la victoire finale n’appartiendra pas au serpent. Si Dieu lance l’humanité dans l’histoire, ce n’est pas pour qu’elle s’abîme dans la mort, c’est pour qu’elle participe à sa vie et qu’elle surmonte la fascination de la mort par l’espérance de la vie. Eve la vivante, la mère de tous les vivants, meurtrira la tête du serpent et assurera ainsi la vie du monde.

A chacune de nos générations, nous sommes confrontés à cette énigme : Dieu se révèle à nous comme le Dieu de la vie, le Dieu de la bénédiction et nous le rencontrons à travers des expériences dramatiques et souvent mortelles. Nous pouvons comprendre que si Jésus n’avait pas traversé la mort, s’il ne s’était pas relevé, ressuscité, s’il n’avait pas été glorifié en Dieu, l’histoire humaine n’aurait plus aucun sens sinon de conduire au néant. Ce retournement du sens des événements qui constitue à la fois quelque chose d’imprévisible, d’improbable, d’admirable, ce bouleversement est dû non pas simplement au mérite personnel de Marie, mais à la prévenance de Dieu qui, dès le début, a mis en œuvre les moyens de notre salut. C’est ce retournement de perspective auquel nous sommes invités, c’est-à-dire à cette capacité de lire l’histoire du monde non seulement comme un enchaînement de causes et d’effets, mais comme la manifestation d’une décision initiale qui se déploie à travers le temps, en s’appuyant sur la liberté humaine. C’est parce que Dieu a voulu un partenaire capable de l’aimer et d’entrer en alliance avec lui qu’il lui a laissé la possibilité de choisir. C’est parce qu’il a voulu non pas un peuple asservi mais un peuple sauvé qu’il a mis en nous cette capacité de le reconnaître et de l’aimer. Dès avant la création du monde, avant la fondation du monde, il nous a choisis.

Ainsi, quand nous contemplons le dialogue de l’Ange Gabriel avec Marie, nous sommes d’une certaine façon mis en face du drame de l’humanité et de son espérance. Nous sommes mis en face de la dépendance dans laquelle Dieu a voulu se placer pour que son œuvre s’accomplisse, et nous sommes mis en face de l’enjeu inimaginable de notre liberté. Marie dit : oui, « qu’il me soit fait selon ta parole » (Lc 1,38). C’est à travers cet acquiescement que la liberté humaine entre comme une composante constitutive de l’histoire du salut.

Frères et sœurs, en cette fête de l’Immaculée Conception, nous bénissons Dieu, comme saint Paul nous y invite, d’avoir tout disposé de toute éternité, avant la fondation du monde, non pas pour transformer l’histoire humaine comme une sorte d’illusion, mais pour mettre en œuvre dès l’origine, la possibilité de surmonter l’œuvre de mort par une œuvre de vie.

Que le Seigneur nous donne de nourrir notre espérance à la lumière de ce dialogue entre Marie et Gabriel, que le Seigneur nous donne de fortifier notre liberté dans la réponse de Marie, qu’il nous donne d’éclairer notre foi pour que, nous aussi, nous soyons convaincus que rien n’est impossible à Dieu. Amen

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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