Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Notre-Dame de Bonne Nouvelle – 3e dimanche de l’Avent – Année A

Dimanche 11 décembre 2016 - Notre-Dame de Bonne Nouvelle (Paris 2e)

La reconnaissance de la messianité du Christ par Jean-Baptiste passe par celle des signes annoncés par le prophète Isaïe. Mais les miracles opérés par Jésus, signe de sa messianité, ne s’accompagnent pas pour autant de la disparition de tout mal dans le monde. Nous vivons aussi dans ce temps de maturation durant lequel la présence et l’action de Dieu parmi les hommes passent par celles de ses disciples. Les chrétiens sont invités à témoigner de la certitude qu’ils portent dans leur cœur : la force de l’Esprit les habite et les établit dans la joie malgré les détresses qui traversent les hommes.

 Is 35,1-6a.10 ; Ps 145,7-10 ; Jc 5,7-10 ; Mt 11,2-11

Frères et Sœurs,

La patience de Jean-Baptiste a été mise à rude épreuve, car il ne s’agissait pas pour lui d’attendre tranquillement sur les bords du Jourdain ou dans le désert. Il s’agissait pour lui de vivre dans une prison - il y a peu de chance que cette prison ait été très confortable et qu’on ait eu pour lui beaucoup d’égards. Ainsi, quand saint Jacques nous invite à la patience, il faut mesurer ce que cette invitation représente par rapport à nos vies. Pour Jean-Baptiste, la question de la patience accompagne son envoi pour annoncer l’avènement du Messie. Jusqu’à ce jour rien ne s’est encore accompli, du moins à ses yeux. Aurait-il été trompé ? Aurait-il pu se tromper ? Aurait-il été un mauvais messager ? Devant le peu de résultat de la prédication du Christ, il peut s’interroger pour savoir si ce cousin, qui est son contemporain, est vraiment le Messie annoncé ou s’il faut en attendre un autre. Il demande donc à ses disciples d’aller interroger Jésus lui-même : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11,3).

La question de Jean-Baptiste éclaire notre propre cheminement vers la fête de la Nativité, et plus profondément, le cheminement de l’histoire des hommes vers l’avènement du Messie. Ce Jésus, né dans la nuit de Bethléem, qui a parcouru les chemins de Galilée, de Judée, de Samarie, est-il vraiment le Messie ou bien faut-il encore attendre quelqu’un d’autre ? Autrement dit, notre célébration de la Nativité sera-t-elle vraiment la célébration de la naissance du Fils de Dieu dans la chair, ou seulement une évocation d’un personnage, certes important et séduisant par bien des côtés, mais qui finalement n’est pas le Messie annoncé ?

C’est à cette question que Jésus répond aux disciples de Jean-Baptiste. Sa réponse s’adresse aussi à nous et nous confirme, dans notre certitude que celui qui vient sauver l’humanité est bien venu en Jésus de Nazareth. Quels signes peut-il donner ? Jésus reprend les signes annoncés par les prophètes, que nous avons entendus résumés dans le Livre d’Isaïe : « Fortifier les mains défaillantes, affermir les genoux qui fléchissent... Ouvrir les yeux des aveugles et les oreilles des sourds. Faire bondir le boiteux et faire parler le muet » (Is 35,3.5-6). Nous avons tous dans la mémoire de notre cœur, le souvenir de ces récits des miracles par lesquels Jésus vraiment, a ouvert les yeux des aveugles, les oreilles des sourds, guéri les paralytiques et fait parler les muets. Si donc il accomplit ces signes annoncés par le prophète, que l’on appelle des signes messianiques, c’est qu’il est le Messie ! C’est lui qui était attendu, c’est lui qui était annoncé, c’est lui qui est venu. Mais la question à laquelle, comme Jean-Baptiste, nous devons faire face, c’est comment nous articulons notre foi en ce Messie Jésus de Nazareth et la réalité dans laquelle nous vivons ? Car dans cette réalité, il y a encore des aveugles qui ne voient pas, des paralytiques qui ne marchent pas, des sourds qui n’entendent pas, des morts qui ne ressuscitent pas, et la Bonne nouvelle est peut être annoncée aux pauvres mais elle est encore loin d’avoir été annoncée à tous les pauvres et d’avoir été reçue par eux.

Nous vivons dans le temps de la patience, pour reprendre la formule de saint Jacques, nous sommes dans le temps de la maturation, nous sommes dans le temps de l’espérance. Cependant, dans ce temps de la patience, de la maturation et de l’espérance, nous ne sommes pas complètement dans l’obscurité, car déjà des signes messianiques ont été donnés, sinon par des miracles spectaculaires, au moins par une présence active de Dieu, par la puissance de son Esprit au cœur des disciples de Jésus, pour que vraiment ceux qui sont porteurs de la Bonne nouvelle et qui doivent l’annoncer aillent au-devant des misères du monde. En effet, l’annonce du Kérygme dont nous sommes familiers, est indissociable de la présence active de ceux qui le portent auprès des hommes. Finalement, notre destinée, notre existence de chrétien n’est pas très différente de celle de tous les autres. Comme les autres, nous sommes confrontés aux difficultés, aux accidents de la vie, aux souffrances inhérentes à l’existence humaine. Comme les autres, nous sommes malades, prisonniers, handicapés, ou tout simplement nous sommes un peu désorientés par ce qui nous entoure. Comme les autres, nous ne comprenons pas que les hommes puissent aujourd’hui se tuer au nom de Dieu, nous ne comprenons pas que des assassins aveugles envoient des engins mortels sur des foules innocentes, nous ne comprenons pas que des enfants soient abandonnés, nous ne comprenons pas que l’existence de l’homme soit fragile à ce point. Le témoignage que nous sommes appelés à rendre, ce n’est pas de faire disparaître, comme par magie, les difficultés de l’existence, c’est de manifester que nous sommes habités par une force qui nous permet d’affronter ces difficultés sans peur, sans être effondrés, mais au contraire en étant fortifiés par la certitude que Dieu veut sauver le monde, que Dieu veut sauver les hommes, que Dieu veut les faire vivre.

Si c’est vraiment cette certitude qui habite notre cœur, nous souffrons comme les autres, nous ne comprenons pas plus que les autres, mais nous avons cette capacité que tous n’ont pas, de percevoir qu’à travers ces événements de l’existence du monde, c’est une récolte qui se prépare, c’est une moisson que le maître du champ fait pousser, c’est une espérance qui grandit. Si nous sommes dans cette perspective de ceux qui font absolument confiance à l’amour de Dieu, la joie qui habite notre cœur ne peut pas être entamée par les événements, la joie qui nous transfigure ne peut pas être éteinte par les accidents de la vie. La joie qui est en notre cœur, c’est la joie de l’amour reçu et de l’amour donné. Celui qui vit dans l’amour ne peut pas sombrer dans la détresse.

La détresse frappe aveuglement -détresse physique, détresse économique, détresse psychologique…- mais elle frappe d’autant plus fort et de façon d’autant plus dangereuse que l’amour n’est pas au rendez-vous. Si nous sommes disciples de Jésus, c’est à nous, d’abord, de nous fortifier dans la certitude de l’amour qu’il nous donne et ensuite, animés par la puissance de son Esprit, de devenir à notre tour des agents de l’amour pour ceux et celles qui nous entourent. Alors, comme Jésus l’a promis dans l’évangile à ses disciples, alors vous serez dans la joie et « votre joie sera parfaite et nul ne pourra vous la ravir » (Jn 16,22).

Frères et sœurs, rendons grâce à Dieu pour la joie qu’il nous donne d’avoir découvert par l’annonce de l’évangile, par la Bonne nouvelle que nous avons reçue, que l’homme n’est pas abandonné au pouvoir du péché et de la mort, mais qu’au contraire, il est conduit pas à pas vers la lumière de l’amour.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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