Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à St Marcel pour les 50 ans de l’église - 4e dimanche de l’Avent - Année A

Dimanche 18 décembre 2016 - Saint-Marcel (Paris XIIIe)

Les signes que Dieu nous donne ne s’imposent pas mais sont à interpréter dans la foi. La nativité du Christ que nous nous préparons à fêter doit être considérer à la lumière du mystère pascal. Comme disciples du Christ, les chrétiens sont appelés à donner des signes de la présence active de Dieu en ce monde : communautés rassemblées, dans des bâtiments qui sont repérables, mise en œuvre de solidarités humaines. Le programme missionnaire diocésain Annoncer, Partager, Transmettre mis en œuvre par les paroisses de Paris constitue un signe pour nos contemporains.

 Is 7,10-16 ; Ps 23, 1-6 ; Rm 1,1-7 ; Mt 1,18-24

Frères et Sœurs,

En ce temps où nous nous préparons à célébrer la nativité du Christ, nous sommes invités à considérer comment Dieu a préparé son peuple et lui a adressé des messages pour lui permettre de reconnaître celui qui devait venir. Nous avons entendu comment le prophète Isaïe annonçait un signe au roi Acaz. Nous avons en mémoire évidemment l’Annonciation de l’Ange Gabriel à Marie. Aujourd’hui, l’évangile de saint Matthieu que nous venons de lire - dans une sorte de symétrie - nous raconte l’annonce faite à Joseph. L’ange donne à Joseph les moyens de reconnaître le signe de la venue de Dieu dans cet enfant inattendu et devant un événement qui ne pouvait que susciter le trouble et l’inquiétude. Mais ces paroles adressées par Dieu à travers le prophète Isaïe ou à travers des anges, constituent des signes qui ne peuvent être compris - c’est la première leçon que veut nous donner l’Écriture - que dans une attitude de foi. Un signe par lui-même ne s’impose pas, il se propose. C’est celui qui le reçoit qui lui donne son sens ultime en le reconnaissant ou en ne le reconnaissant pas comme un signe de Dieu. C’est ainsi que Marie dit : qu’il advienne selon ta parole et c’est ainsi que Joseph, obéissant au songe qu’il a entendu, va prendre chez lui Marie son épouse.

Les signes qui nous sont donnés sont toujours des messages que nous devons interpréter dans la foi. Ce serait une illusion de croire qu’il suffit de répéter les paroles pour que l’adhésion se déclenche. Dieu n’impose jamais son message, il l’adresse aux hommes, il leur donne les moyens de l’entendre et de le comprendre, il ne violente pas leur liberté pour déclencher leur adhésion si eux-mêmes ne suivent pas intérieurement le chemin de conversion qui peut leur permettre de reconnaître ce signe.

Mais quand nous préparons la célébration de la fête de la Nativité, nous ne sommes pas dans la situation d’Acaz, nous ne sommes pas dans la situation de la Vierge Marie, et nous ne sommes pas dans la situation de Joseph. Les signes qui nous sont donnés ne sont pas à interpréter pour un avenir incertain, ce sont des signes qui ont leur densité et leur réalité historiques, par rapport auxquels, nous-mêmes, comme disciples du Christ, nous sommes invités à prendre position, par rapport auxquels les hommes et les femmes qui nous entourent sont invités aussi à prendre position.

Le signe principal qui nous est donné, c’est la mort et la résurrection de Jésus. Il ne s’agit plus simplement de savoir comment on va interpréter la naissance de cet enfant dans la nuit de Bethléem, puisque nous savons par la foi que cet enfant, Fils de Dieu, connaîtra la souffrance et la mort, et que la puissance de Dieu le ressuscitera, qu’il répandra son Esprit et qu’il enverra ses apôtres en mission pour annoncer l’évangile, la bonne nouvelle comme saint Paul le dit aux Romains.

Nous qui nous préparons à célébrer la Nativité, nous sommes invités à scruter, non pas des signes mystérieux, mais la réalité actuelle et la visibilité présente du signe central du Salut : Jésus, Dieu Sauve, Emmanuel, Dieu avec nous. Bien souvent, comme chrétiens, en tout cas de nos jours et dans notre situation, nous sommes tentés de croire que nous vivons dans une situation tout à fait désespérée. Nous imaginons - plus que nous ne savons, parce que nous reconstruisons l’histoire en l’enjolivant passablement -, des temps où les signes de la foi étaient clairement reconnus et acceptés par tous. Les choses n’étaient pas si simples et nous avons tendance à sous-estimer la force des signes dont nous sommes porteurs dans la société qui est la nôtre. En effet, les signes donnés aux hommes d’aujourd’hui ne sont pas des messages prophétiques, ni des messages angéliques, ce sont des messages humains, habités par l’Esprit de Dieu qui nous sont confiés pour qu’à travers nous, le Seigneur puisse toucher les cœurs, les ouvrir et leur permettre de reconnaître dans la personne de Jésus, celui qui est Dieu avec nous.

Je voudrais simplement évoquer quelques-uns des signes, peut-être les plus forts parmi ceux, nombreux, dont nous sommes témoins, et parmi ceux que nous sommes appelés à produire et à présenter. Le premier, puisque c’est celui qui nous rassemble aujourd’hui, ce sont les signes visibles de la vie de l’Église dans notre société : en particulier dans ce quartier, cette église qui donne dans le tissu urbain le signal d’une présence qui n’est ni marchande, ni commerciale, ni spectaculaire, mais qui est simplement le signe de l’existence d’une communauté qui s’y rassemble - la vôtre - et dont les membres, tout au long des journées, sont répandus invisiblement dans le tissu de la société où ils sont appelés à rendre témoignage. Il n’est pas inutile, dans un monde très fortement médiatisé, qu’une communauté puisse donner au moins un signe visible et facilement repérable, même si tout le monde ne dispose pas des clefs pour comprendre ce que le signe veut dire.

Le signe de la présence du Christ dans notre monde, c’est aussi notre capacité d’une réelle fidélité dans les solidarités humaines. Nous savons que les liens entre les hommes, et tout particulièrement les liens familiaux entre les époux, entre les parents et leurs enfants, sont des liens fragiles, qui ont besoin d’être nourris par l’implication de chacun dans la relation et par la fidélité à la parole donnée. C’est un signe aujourd’hui dans notre monde que des hommes et des femmes soient suffisamment engagés dans le don qu’ils font d’eux-mêmes pour se lier définitivement l’un à l’autre par une parole de confiance. Ce signe, nous le portons - nous ne sommes pas les seuls - en ayant conscience que nous sommes de pauvres pécheurs avec nos fragilités, mais en nous appuyant sur la grâce de Dieu pour qu’il soit perceptible et donne le sens d’une présence mystérieuse dans l’amour de l’homme pour sa femme et de sa femme pour l’homme.

Un deuxième signe très parlant est celui que nos communautés sont capables de mettre en œuvre en accueillant les pauvres de notre monde. On évoquait tout à l’heure les initiatives de votre communauté à l’égard des personnes abandonnées. Cette année, vous mettrez à nouveau en place un programme d’Hiver Solidaire. C’est un signe important de la force que Dieu peut nous donner pour sortir de nos préoccupations particulières et nous mettre au service de nos frères.

Quand Jean-Baptiste envoie ses disciples - comme nous l’avons entendu dimanche dernier - pour demander à Jésus s’il est celui qui doit venir ou s’il faut en attendre un autre, Jésus répond : allez dire à Jean-Baptiste ce que vous voyez, les boiteux marchent, les aveugles voient, etc. et la Bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. Ces signes nous sont confiés pour que nous les mettions en œuvre et pour ceux qui s’interrogent : est-ce que c’est vraiment dans l’église catholique que l’on a une chance de rencontrer le Messie ? Ou faut-il en attendre une autre ? Faut-il attendre le salut d’autres propositions ? Ce n’est pas un débat philosophique ! C’est une prise de position pratique à travers notre vie qui manifeste que celles et ceux qui suivent le Christ et essayent de mettre en pratique sa parole, donnent aujourd’hui des signes de Salut pour les hommes et les femmes de ce temps. Ils représentent une espérance dans des existences souvent marquées par l’épreuve et parfois entraînées au désespoir. Ils sont porteurs du Salut dans le Christ ressuscité.

Frères et sœurs, il y a deux ans maintenant, j’ai invité les paroisses parisiennes à s’engager dans un programme missionnaire de trois ans, Annoncer, Partager, Transmettre. Ce sont les trois signes que nous sommes invités à proposer à nos contemporains : annoncer que le Christ est quelqu’un pour nous ; partager les biens que nous avons reçus, biens matériels ou biens spirituels ; transmettre aux générations qui suivent ce que nous-mêmes avons reçu des générations précédentes : la Bonne nouvelle que Dieu n’a pas abandonné les hommes mais qu’il est venu les sauver en devenant Dieu avec nous.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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