Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND – Nativité du Seigneur

Dimanche 25 décembre 2016 - Notre-Dame de Paris

Le Dieu d’Israël, invisible, que nul œil humain ne peut voir sans mourir, comme le prologue de Jean le contemple, par l’incarnation du Verbe se manifeste visiblement en Jésus-Christ. La présence de Dieu en ce monde n’est plus seulement spirituelle mais charnelle. Elle se dévoile sacramentellement. En nous mettant à la suite du Christ, nous devenons enfants de Dieu et nous entrons dans un chemin d’espérance. Notre existence n’est plus vouée à la mort.

 Is 52, 7-10 ; Ps 97 ; He 1,1-6 ; Jn 1, 1-18

Frères et Sœurs,

Le prologue de l’évangile de saint Jean nous aide à entrer progressivement dans la compréhension du bouleversement extraordinaire que représente la naissance de Jésus-Christ, Verbe de Dieu incarné dans la chair. L’évangile de saint Luc que nous avons médité au cours de la nuit annonçait aux hommes le même mystère à travers la chronologie des événements. L’évangile de saint Jean nous donne un aperçu de la plénitude du changement qui est en train de s’opérer par l’incarnation du Verbe. En effet, le Dieu d’Israël se distinguait de tous les dieux des pays alentours par une caractéristique absolument unique : Dieu, nul ne pouvait le voir sans mourir. Et si quelques prophètes privilégiés ont eu une expérience de la présence de Dieu, ce fut toujours à travers des signes énigmatiques comme le Buisson ardent ou le souffle du vent. Les dieux païens étaient présents à leur peuple à travers des représentations humaines, des statues que l’on appellera des idoles. Le Dieu d’Israël était présent sans qu’il n’y ait rien à voir. Ce fut la stupéfaction des envahisseurs quand ils fracassèrent les portes du Saint des Saints au temple de Jérusalem, haut lieu de la présence de Dieu : alors qu’ils pensaient découvrir une idole recouverte d’or, ils se trouvaient devant un espace défini par des chérubins, mais cet espace était vide ! Ce n’était pas le signe de l’absence de Dieu, c’était le signe de la présence d’un dieu qui n’était pas un dieu fait de mains d’homme : c’était le Dieu d’Israël, révélé à travers les prophètes.

Ainsi, la foi d’Israël se nourrissait et se développait en accueillant la parole de Dieu transmise par des hommes. Elle découvrait peu à peu le chemin par lequel Dieu voulait le conduire. Mais nous savons que ce chemin n’était pas un chemin harmonieux, il se dressait des obstacles, il se creusait des ravins, et pour que le Seigneur puisse venir auprès de son peuple, il fallait changer les cœurs. Ce qui fut la mission de Jean-Baptiste. Celui qui vient, vient de Dieu lui-même, il était en Dieu, il était Dieu. Le bouleversement qui va se réaliser, c’est que ce Dieu que nul n’a jamais vu, ce Dieu qui se manifeste par l’absence de représentation va permettre aux hommes de découvrir sa gloire à travers une existence humaine, celle de Jésus de Nazareth, incarnation du Verbe de Dieu.

Nous le savons, cette manifestation de la gloire de Dieu restera voilée pour beaucoup. Bien que les disciples en aient eu une manifestation à travers la transfiguration, ce que les contemporains de Jésus ont pu voir de la gloire de Dieu, c’était cet enfant nouveau-né, dans une étable, sans éclat ni puissance. C’était cet homme crucifié sur le Golgotha sans qu’il puisse échapper au supplice. C’était enfin la manifestation du Ressuscité qui ne devenait perceptible et identifiable que pour ceux dont les cœurs étaient ouverts et qui étaient entrés dans le chemin de la foi. Quoi qu’il en soit, l’affirmation puissante du prologue de saint Jean, c’est que le Verbe de Dieu est venu habiter parmi nous. Dès l’instant que le Verbe de Dieu est venu habiter parmi nous, la présence de Dieu au monde n’est plus simplement une présence spirituelle, morale, c’est une présence charnelle, humaine. Le Dieu invisible s’est donné à voir. Parce qu’il s’est donné à voir, parce qu’il s’est manifesté dans la chair, parce qu’il est venu partager l’existence humaine, il a donné à l’histoire des hommes un sens nouveau. Au lieu que le déroulement de l’histoire des peuples et de la vie de chacun et de chacune de ceux qui les composent, ne soit vécu comme une sorte de terre étrangère par rapport aux dieux représentés par les idoles, l’histoire des hommes est devenue l’histoire que Dieu habite. Cette habitation de Dieu parmi les hommes, cette présence de Dieu à l’histoire des hommes donne un sens nouveau à ce que vivent tous les hommes, à ce que vit chaque être humain, à ce que nous vivons.

Certes, dans les temps de l’histoire que nous connaissons, cette présence se manifeste à travers des signes sacramentels tels que la parole de Dieu, l’eucharistie, l’Église elle-même. Ces signes sacramentels dévoilent la puissance de sa présence aux yeux de ceux dont le cœur se convertit. Mais ceux-là, dont nous essayons d’être, dont nous espérons être, ceux-là sont témoins que les événements du monde, les grandes réalisations de l’intelligence humaine comme les grands désastres que nous inflige la nature, ou que provoque la violence des hommes, tout cela prend un sens nouveau du fait que Jésus-Christ est venu vivre parmi nous.

Ainsi à travers les péripéties de notre histoire, à travers les événements parfois douloureux et sanglants comme ceux que nous avons connus cette année, nous qui sommes chrétiens, qui essayons de l’être et de vivre de la foi, nous ne voyons pas simplement une sorte de fatalité qui s’abattrait sur l’humanité et dont on ne pourrait venir à bout que par la contrainte. Nous découvrons un appel de Dieu à reconnaître que pour nous et à travers nous, pour toute l’humanité, la mort n’a pas le dernier mot puisque Dieu est venu vivre notre vie.

Ainsi, frères et sœurs, cette fête de la nativité n’est pas simplement la commémoration des événements qui se sont passés au cours de la nuit à Bethléem, elle n’est pas simplement le souvenir des événements merveilleux qui ont marqué le passage de Jésus-Christ sur la terre, elle est un acte de foi sur le temps que nous vivons, sur le déroulement des événements auxquels nous sommes associés, sur le sens de la vie de chacun et de chacune d’entre nous.

Si Jésus-Christ est vraiment le Fils de Dieu -et nous croyons qu’il est le Fils de Dieu-, alors chacun et chacune de ceux qui se mettent à sa suite participent de sa divinité et deviennent eux-mêmes enfants de Dieu. Plus encore, chacun et chacune des personnes qui vivent en ce monde, qui ont vécu en ce monde, qui vivront en ce monde et qui vivent aujourd’hui en ce monde, sont appelés à leur tour à devenir enfants de Dieu.

A travers la personne de Jésus de Nazareth, c’est le chemin de l’espérance qui s’ouvre devant l’humanité, c’est la certitude que notre existence n’est pas vouée à la mort, c’est l’espérance que nous pouvons construire un monde vivant en nous appuyant sur la parole de Dieu. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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