Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND de l’Assomption de Passy - Fête patronale Notre Dame de la Miséricorde – 2e dimanche du temps ordinaire – Année A

Dimanche 15 janvier 2017 - Notre-Dame de l’Assomption de Passy (Paris XVIe)

La liturgie nous a fait reconnaître en Jésus le Sauveur, le Roi et le Fils de Dieu. Il est l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Il est donc celui qui peut apporter la réconciliation entre les hommes. Notre foi en lui nous ouvre immédiatement au monde entier, à l’égard duquel nous sommes invités à faire progresser le respect, la paix et l’amour.

 Is 49, 3.5-6 ; Ps 39 ; 1 Co 1, 1-3 ; Jn 1, 29-34

Frères et Sœurs,

La liturgie de ce dimanche clôture le cycle des célébrations qui marquent la manifestation de Dieu à travers Jésus de Nazareth. Ce cycle a commencé avec la célébration de la nativité le 25 décembre, où les anges annoncent aux bergers qu’un Sauveur est né à Israël. Il s’est poursuivi par la célébration de l’épiphanie, où les mages représentant les nations païennes reconnaissent dans cet enfant de Bethléem le roi du monde. Il se clôture aujourd’hui avec cette scène qui est une sorte de prolongement du baptême de Jésus par lequel Jean-Baptiste le désigne comme l’Agneau de Dieu, c’est-à-dire comme le serviteur annoncé par le prophète Isaïe.

A travers ces trois titres du Christ, le Sauveur, le Roi, le Fils de Dieu, nous voyons se dessiner peu à peu les contours de la personnalité de Jésus en même temps que sa mission qui sera accomplie au cours de sa vie publique et qui va commencer immédiatement après. Il s’agit pour lui d’annoncer que la promesse de Dieu, telle que le prophète Isaïe l’avait répercutée, ne vise pas seulement à apporter le salut à Israël, à Jacob, aux déportés qui seront ramenés dans leur terre, aux rescapés d’Israël, mais encore que cette promesse est une lumière pour toutes les nations.

Cette dimension universelle de la mission du serviteur, nous la retrouvons exprimée à travers les signes, les paroles, les miracles accomplis par Jésus à mesure que va se développer sa vie publique. Il est celui qui enlève le péché, non pas simplement individuellement du cœur de chacun de ceux qui se tournent vers lui, il est celui qui enlève le péché du monde. Chacun d’entre nous sait bien comment nos propres péchés s’établissent en solidarité avec le péché du monde. Notre refus de Dieu, nos refus de Dieu, comme nos refus exprimés à l’égard de nos frères, sont la partie personnelle -qui nous concerne, qui concerne notre liberté- d’un drame beaucoup plus universel : il s’agit de la manière dont l’humanité, dans son ensemble, se situe par rapport à Dieu. Aussi, quand le Christ est présenté comme l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde, il n’apparaît pas simplement comme celui qui va débarrasser chacun et chacune d’entre nous des contraintes du péché, pourvu que nous répondions à son appel, mais il est celui qui apporte à l’univers entier l’espérance d’une vie réconciliée, une vie réconciliée avec Dieu, une vie réconciliée entre les hommes. Nous n’avons pas besoin de connaître toute l’histoire du monde pour savoir combien les relations entre les hommes, entre les individus, mais aussi les relations entre les peuples sont marquées par une volonté de puissance et de domination qui aboutit à la violence, à la guerre et à la mort.

Chaque période de l’humanité est marquée par ce virus installé au cœur des hommes, qui construit peu à peu le rapport entre les êtres humains comme un rapport de jalousie, d’envie, de convoitise, de compétition et finalement d’adversité. Même si chacun d’entre nous aspire à la paix, comme saint Paul la promet aux chrétiens de Corinthe : « A vous la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ. » (1 Co 1,3), nous savons que ce désir qui habite le cœur de tout homme de vivre en paix ne se réalise pas automatiquement et spontanément. C’est un désir inscrit en nous pour motiver dans notre vie la volonté de corriger le mouvement naturel de la compétition et de la haine. Ce combat -que nous appelons dans la tradition chrétienne, le combat spirituel- nous ne le gagnerons pas simplement par nos bonnes intentions, nos bons sentiments, nos bonnes résolutions. Nous ne pouvons le gagner que par la grâce de Dieu, c’est-à-dire par le don que Jésus fait de lui-même comme Fils de Dieu pour délivrer l’homme de l’esclavage du péché. Ainsi, ce cycle de la manifestation de Dieu dans la personne de Jésus de Nazareth est simultanément un message d’espérance pour toute l’humanité. Malgré ce que nous connaissons de l’histoire des hommes, malgré ce que nous voyons aujourd’hui des conflits qui ensanglantent la terre, malgré les souffrances dont nous sommes témoins à travers tant d’hommes et de femmes qui errent à travers le monde, et dont nous faisons aujourd’hui mémoire par la Journée mondiale des migrants, nous savons qu’ultimement, la victoire de l’amour sur la haine est acquise. Elle est acquise par le don que Jésus fait de sa vie, elle est acquise pour chacune et chacun d’entre nous dans la mesure où nous acceptons de reconnaître en Jésus l’Agneau de Dieu, le Serviteur de Dieu, le Fils de Dieu.

C’est dire que notre foi au Christ n’est pas une sorte de choix arbitraire personnel, qui serait simplement une sorte de pari. Notre foi au Christ est au centre de l’orientation de notre vie. Si nous ne croyons pas que Jésus est le Fils de Dieu, nous ne pouvons pas croire que tous les hommes sont devenus fils de Dieu en lui. Si nous ne croyons pas que Jésus est Fils de Dieu, nous ne pouvons pas croire que nous sommes nous-mêmes appelés à vivre en fils de Dieu. Si nous ne croyons pas que Jésus est Fils de Dieu, nous ne pouvons pas espérer que l’évolution de l’histoire de l’humanité se conclura positivement par le rassemblement de tous les peuples dans l’alliance avec Dieu. C’est pourquoi les chrétiens ne sont pas simplement une sorte de groupe particulier à l’intérieur duquel ils savoureraient avec délice la satisfaction de croire qu’ils sont les élus et qui regarderaient les autres comme des ennemis potentiels et des dangers publics. Les chrétiens ne sont pas un club de favorisés qui profitent de leur bénéfice sans s’inquiéter du reste du monde. Le chrétien est celui qui vit dans la joie d’avoir reçu l’annonce et l’effet de la grâce dans sa vie, mais le chrétien est aussi celui qui a reçu l’Esprit Saint pour devenir à son tour une lumière pour les nations, une espérance pour ses frères. Cette lumière et cette espérance se manifestent à travers notre manière d’agir, notre manière de vivre jour après jour, dans notre existence personnelle, dans notre existence familiale, dans nos relations sociales, mais il s’agit aussi de vivre cette mission du Christ dans notre vision à l’égard de ceux qui ne partagent pas notre foi, de ceux qui se présentent à nous comme des étrangers -parce qu’ils sont des étrangers- et que nous sommes invités à accueillir comme des fils de Dieu en puissance.

Ce message que le Christ adresse à tous ses disciples, nous devons le faire nôtre aujourd’hui, pour être dans notre société des militants convaincus que rien ne peut progresser par l’exclusion et la haine mais que tout peut changer par le respect et l’amour.

Frères et sœurs, si vous avez vénéré le Sauveur dans la nuit de la nativité, si vous vous êtes joints spirituellement aux mages pour adorer le Roi des nations au cœur de l’épiphanie, si vous accueillez aujourd’hui le message de Jean-Baptiste pour reconnaître en Jésus de Nazareth l’Agneau de Dieu, le Serviteur et le Fils de Dieu, alors vous pouvez avancer avec constance, persévérance et sérénité pour devenir à votre tour des artisans de paix et des bâtisseurs d’amour.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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