Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe pour les responsables politiques et les parlementaires à Ste Clotilde - Année A

Mardi 17 octobre 2017 - basilique Sainte-Clotilde (Paris VIIe)

 Rm 1,16-25 ; Ps 18,2-5 ; Lc 11,37-41

Mesdames et Messieurs,
Frères et Sœurs dans le Christ,

1. L’extérieur et l’intérieur.
La controverse entre Jésus et le pharisien, rapportée par l’évangile de Luc, nous invite à une double réflexion. Tout d’abord, elle permet à Jésus d’évoquer le lieu personnel de la conversion du cœur : ce qui est à l’intérieur de nous-mêmes. Alors que le pharisaïsme concentre son attention sur la conformité des comportements avec la loi et les coutumes, Jésus interroge ce qui est à l’intérieur. En d’autres passages des évangiles, il traite les pharisiens d’hypocrites parce qu’ils sont plus attentifs à l’apparence extérieure qu’à la réalité de leur engagement de vie. Comment pouvons-nous entendre cette parole et cet appel sans faire un retour sur ce qui relève de notre vie intérieure ? Comment ne pas nous sentir appelés à évaluer le rapport entre ce qui n’apparaît pas et ce qui apparaît ? Et pour ce qui concerne la vie publique, nous savons combien il est tentant de faire le tri entre les convictions et les responsabilités ; les premières seraient appelées à rester secrètes tandis que la vie sociale se règlerait sur les secondes.

La seconde réflexion à laquelle nous invite le dialogue entre Jésus et les pharisiens vise plus nos comportements publics que la conversion des cœurs. L’extension exponentielle des moyens de communication, qu’il s’agisse des réseaux sociaux ou des chaines d’information continue, confronte chacune et chacun des citoyens à une masse d’informations et de commentaires qui dépasse, et de beaucoup, le volume et le rythme réels des événements. Il s’agit d’une véritable boulimie dont l’effet est de solliciter toujours davantage les réactions immédiates et de substituer progressivement ces réactions aux faits eux-mêmes. Dès lors, l’appréciation et le jugement se déplacent de l’action vers la communication. Ne risque-t-on pas d’en arriver à juger toute action publique en termes de communication, comme si les intentions réelles et les objectifs poursuivis étaient secondaires ? Comment éviter d’alimenter ces combats virtuels et faire ressortir les véritables enjeux de l’action politique ?

Je mesure à quelle ascèse doivent se soumettre les élus et les gouvernants pour résister à ce travers de la vie publique et ne pas céder à la tentation de se soumettre à cette aspiration du système médiatique. Ce n’est pas la communication qui doit déterminer l’action mais l’action qui doit nourrir la communication.

2. « Je n’ai pas honte de l’évangile ».
L’apôtre Paul, juif et pharisien par sa naissance et sa formation, est confronté à un double dilemme dont l’épître aux Romains nous donne un aperçu et qui n’est pas sans éclairer notre propre situation. Comment l’annonce de l’évangile peut-elle être réalisée à l’égard de ceux qui ne sont pas juifs et comment peut-elle se situer face aux philosophies et aux religions païennes ?

En affirmant la responsabilité universelle des êtres humains face à Dieu, Paul ne s’appuie pas sur la révélation positive mais sur la manifestation de Dieu accessible à tout être humain : le signe de la création : « Depuis la création du monde, on peut voir avec l’intelligence, à travers les œuvres de Dieu, ce qui de lui est invisible. » Cette affirmation de Paul ouvre à toute intelligence humaine de bonne foi la possibilité de percevoir l’appel de Dieu à une vie juste et raisonnable. Elle définit ainsi une ligne claire pour la mission des apôtres en ce monde. Ils doivent faire appel à cette intelligence des hommes pour déchiffrer les chemins d’une vie bonne à travers les signes de la création.

Comme celle de l’empire romain, notre société met en œuvre une confrontation entre les convictions les plus fortes des croyants et les recherches laborieuses des sagesses humaines, même quand elles échangent « la gloire du Dieu impérissable avec des idoles. » Dans les débats de société, certains s’essaient à occulter cette confrontation en la réduisant à une opposition entre des croyances qui voudraient s’imposer à tous et la liberté de conscience. Nous risquons de faire leur jeu en appuyant nos arguments sur une foi particulière. Ce n’est pas le chemin que nous indique saint Paul. Il ne nous invite pas à dissimuler nos références de croyant, au contraire : « Je n’ai pas honte de l’évangile, car il est puissance de Dieu pour le salut de quiconque est devenu croyant. » nous dit-il. Mais il nous invite aussi à rejoindre la connaissance de Dieu que peut avoir l’intelligence humaine, même si elle n’est pas encore accomplie dans une profession de foi plénière. C’est à cette intelligence que nous devons faire appel en posant des questions qui concernent le sens de l’existence humaine.

Dans les mois qui viennent, la révision des lois de bioéthique devrait être l’occasion d’un authentique débat sur les diverses conceptions de l’être humain qui y sont engagées, notamment par les questions concernant la procréation médicalement assistée et ses conséquences prévisibles. Il dépendra des élus que ce débat échappe aux caricatures faciles et se situe au niveau de ses vrais enjeux. Il est particulièrement significatif que dans les opinions émises à ce jour on occulte généralement les droits des enfants, -et notamment celui d’avoir accès à ses origines-. Nous ne pouvons pas fortifier une société réellement démocratique en plaçant les désirs personnels au-dessus de toute réflexion éthique.

Dans ce débat, les chrétiens ont une responsabilité particulière, non pour imposer leur point de vue comme une position particulière, mais pour provoquer les intelligences et les consciences à tenir compte sereinement des signes que nous donne la création sur les conditions de la vie humaine.

Que le Seigneur donne à chacune et à chacun d’entre vous la force d’être plus attentifs à ce qui les habite intérieurement qu’au spectacle des signes extérieurs et de porter sans honte la bonne nouvelle de l’évangile comme une ressource précieuse pour éclairer les intelligences humaines.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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