Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND - 30e dimanche du temps ordinaire - Année A

Dimanche 29 octobre 2017 - Notre-Dame de Paris

La question du pharisien sur le plus grand commandement est l’occasion pour le Christ de revenir au fondement de la Loi. Le commandement de l’amour de Dieu et du prochain devient un critère de discernement par rapport à la multitude d’obligations qui se sont ajoutées dans le temps. L’enseignement du Christ est libérateur à ce titre. Il éclaire aussi nos propres questionnements et discussions avec le Christ. Il fait la vérité sur certaines de nos difficultés actuelles et nous donne une orientation fondamentale à mettre en œuvre dans chacune des situations particulières.

 Ex 22, 20-26 ; Ps 17,2-4.20.47.51 ; 1 Th 1,5-10 ; Mt 22, 34-40

Frères et Sœurs,

Si nous voulons entrer un peu plus profondément dans le passage que nous venons d’entendre, il nous faut le situer dans le déroulement de l’évangile de saint Matthieu, qui rassemble dans ce chapitre 22 un certain nombre de discussions de Jésus avec les scribes, les pharisiens et les saducéens, qui nous sont présentées par l’évangéliste comme des pièges tendus à Jésus. Mais pour comprendre en quoi consiste le piège, il faut que nous fassions rapidement mémoire de la situation dans laquelle ces discussions ont lieu. En effet, les différents responsables du peuple d’Israël, ou les différentes écoles rabbiniques qui essayaient de rassembler des disciples, se trouvent en concurrence avec Jésus, et c’est pourquoi ils essayent de le faire trébucher par rapport à leurs propres enseignements.

Dimanche dernier, le piège portait sur l’impôt dû à César ; aujourd’hui, il porte sur le grand commandement. Pourquoi ? Parce que les pharisiens, dans leur zèle pour mettre en œuvre l’intégralité de la loi, formulaient des commandements nombreux, tous tirés de la loi et des prophètes, qui devaient définir la manière d’être un juif fidèle. 613 commandements, rien de moins ! On comprend que beaucoup de ceux qui entendaient cette prédication sur les innombrables commandements pouvaient être un peu perdus. Ils se demandaient si tous ces commandements avaient la même importance, s’ils étaient tous sur le même plan. En posant à Jésus la question du plus grand commandement, les pharisiens veulent le mettre à l’épreuve par rapport à leur propre enseignement. C’est ainsi que la réponse de Jésus apporte quelque chose de nouveau pour ses auditeurs. Elle n’est pas nouvelle par son contenu, puisque, comme vous le savez, les deux commandements que Jésus rappelle sont une citation de l’Ecriture. Tous les juifs savent, pour le réciter tous les jours, qu’il faut aimer le Seigneur son Dieu de toute sa force, de tout son cœur et de tout son esprit. Cela ne leur apprend rien du tout. De même, ils savent qu’il faut aimer son prochain comme soi-même. Ce qui est nouveau, c’est de prendre ces deux commandements de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain, comme un critère de discernement par rapport à la multitude de choses qui étaient détaillées par les commandements des pharisiens, au point que personne - sauf à s’illusionner beaucoup sur soi-même - ne pouvait être sûr d’exécuter vraiment tous les commandements.

L’enseignement de Jésus est libérateur. Non pas parce qu’il éliminerait les commandements de la loi, mais parce qu’il les soumet à un commandement générique, fondateur, qui va permettre à chacun de vérifier si ses pratiques, non seulement obéissent à toutes sortes d’obligations formulées par les pharisiens, mais surtout si elles obéissent au commandement fondamental de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain. Nous en avons de multiples traces dans les évangiles, notamment chaque fois qu’il y a une discussion sur le sabbat. Jésus opère un certain nombre de miracles à la synagogue le jour du sabbat et on lui en fait grief. Pourquoi ? Parce qu’il fait quelque chose d’interdit. Et comment répond-il ? Non pas en disant que cela n’est pas interdit, mais en disant que la loi, y compris la loi du sabbat, est au service de la vie de l’homme et non pas l’inverse. S’il redonne la santé ou la vie à quelqu’un le jour du sabbat, il accomplit le sabbat. Cela signifie qu’il existe un critère pour interpréter les commandements, non pas comme une sorte de code où l’on additionnerait les obligations les unes après les autres et où il faudrait cocher chaque case, mais comme une orientation fondamentale du cœur et de l’action commandée par l’amour de Dieu et l’amour des frères. C’est cet amour de Dieu et cet amour des frères qui accomplit la totalité de la loi, parce que la loi et les prophètes n’ont pas d’autre but que de permettre à ceux qui les reçoivent d’aimer Dieu et d’aimer son prochain.

Ce débat entre Jésus et les pharisiens, ou entre Jésus et les saducéens, ou entre Jésus et les scribes n’est pas simplement une évocation historique de ce qui s’est passé pour l’enseignement du Christ, c’est aussi un indicateur de ce qui se passe pour nous. Car nous devons bien nous rendre compte que nous entrons souvent, nous aussi, en discussion avec le Christ pour faire ressortir ce qui pourrait être une contradiction, et pour espérer ainsi justifier nos difficultés.

Vous avez entendu comment le Livre de l’Exode invite les juifs à se comporter avec les immigrés et avec les pauvres. On peut trouver toutes sortes de questions diverses qui détournent la véritable question posée : qu’est-ce que cela veut dire aimer son prochain comme soi-même si on se détourne du pauvre, si on l’exploite, si on refuse d’accueillir l’immigré et si on le rejette ? On peut toujours trouver des arguments, on peut toujours entrer en discussion avec le Christ sur ces sujets, mais ultimement, le Christ ne nous demande pas un comportement parfait et idéal en toutes circonstances, il nous demande d’aimer notre prochain comme nous-mêmes. C’est à la lumière de ce commandement de l’amour du prochain que nous devons apprécier les situations, les appels que nous percevons et la manière dont nous y répondons. Comment pourrait-on dire, comme saint Jean nous le répète dans sa première épître, que nous aimons Dieu que nous ne voyons pas, si nous n’aimons pas les frères qu’il nous donne et que nous voyons ? Voilà un critère de discernement. Je peux me dire chrétien, disciple du Christ, fidèle de Dieu, mais est-ce que je suis chrétien, disciple du Christ et fidèle de Dieu dans mon comportement avec les hommes et les femmes qui m’entourent, en particulier avec celles et ceux qui sont les plus démunis et les plus abandonnés dans notre monde ?

Ces deux commandements de l’amour de Dieu et de l’amour de nos frères rassemblent, résument, récapitulent toute la loi et tous les prophètes. Toutes les situations dans lesquelles l’existence nous projette, toutes les opportunités ou les difficultés auxquelles nous sommes confrontées ne peuvent pas se résoudre simplement par des commandements de détail. Elles ne peuvent se résoudre que par l’orientation fondamentale de l’amour de Dieu et de nos frères qui nous fait choisir et construire les solutions les meilleures, ou les moins pires, dans chaque situation où nous nous trouvons.

Prions le Seigneur que ces controverses que nous rapporte l’évangile éclairent les controverses que nous entretenons nous-mêmes en nos cœurs et qu’elles nous aident à comprendre comment l’obéissance à Dieu, à la loi et aux prophètes s’accomplit dans l’amour de nos frères.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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