Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à ND - 32e dimanche du temps ordinaire – Année A

Dimanche 12 novembre 2017 - Notre-Dame de Paris

Avec la fin de l’année liturgique, les évangiles nous font méditer sur le temps du retour du Christ et sur la fin des temps. Les hommes ont toujours été tentés d’en annoncer la date. Ce temps nous est laissé par Dieu pour nous convertir. C’est un temps de miséricorde. Les chrétiens sont invités à attendre le retour du Christ en veillant et en priant.

 Sg 6,12-16 ; Ps 62,2-8 ; 1 Th 4,13-18 ; Mt 25,1-13

Frères et Sœurs,

A mesure que nous approchons de la fin de l’année liturgique, la liturgie propose à notre méditation des paroles du Christ qui concernent son retour et la fin des temps. Nous le savons, pour en lire beaucoup et souvent, la fin des temps est un sujet qui a toujours intéressé les hommes, comme s’il y avait une sorte de fascination pour annoncer par avance quand tout cela s’arrêtera… Et périodiquement, des prophètes autoproclamés se lèvent pour nous donner la date fatidique, du moins selon eux, et puis, quand cette date fatidique est passée, ils en donnent une nouvelle qui permet de vivre une nouvelle époque en attendant que cette époque elle-même montre qu’elle n’était pas la dernière… Si ces prophètes trouvent des auditeurs et un certain crédit, c’est évidemment parce que cette question taraude l’histoire humaine dans son ensemble et notre histoire particulière ! Il semble qu’avoir la capacité d’annoncer quand cela arrivera garantisse d’être écouté, en oubliant que dans l’évangile, Jésus lui-même dit que nul ne connaît ni le jour ni l’heure, pas même le Fils. Cette ignorance n’est pas une malédiction, mais au contraire une bénédiction, car elle nous invite à regarder l’avenir non pas comme un espace menaçant mais comme un espace qui nous est donné pour nous rapprocher de Dieu.

Dès la période apostolique, les Écritures en sont le témoignage. Nous avons entendu dans l’épître de saint Paul aux Thessaloniciens que cette question était présente. On se disait : mais pourquoi est-ce que cela continue ? Une fois le Christ mort et ressuscité, une fois l’Esprit-Saint répandu au cœur de ses fidèles, un certain nombre pensaient que tout était terminé. C’est ce que l’on retrouve quelquefois dans la formule « en ces temps qui sont les derniers », ce sont les derniers temps mais rien ne nous dit combien vont durer les derniers temps ! Cette première génération des disciples du Christ a appris progressivement à découvrir que les choses ne se passaient pas comme ils l’avaient imaginé. Le Christ est ressuscité, il est retourné auprès du Père, il a envoyé son Esprit, et cependant le monde ne s’est pas arrêté de tourner et l’histoire se continue. Tous ceux qui vont constituer progressivement le peuple des disciples de Jésus dans l’Église, vont avoir à vivre cette tension entre la certitude que tout a été accompli dans le Christ, et l’incertitude du moment où il va manifester sa victoire sur le monde. Cette tension n’est pas une incohérence, ni une erreur de calcul de la Providence ! Comme les disciples vont le découvrir peu à peu, c’est un signe de la miséricorde de Dieu.

Vous vous rappelez peut-être cette parabole dans l’évangile où le maître du domaine passe devant un figuier qui n’a pas donné de fruit, et qui demande qu’on l’arrache. Son intendant lui dit : donne-lui encore une année, je vais le soigner, le traiter, et l’année prochaine, on verra s’il a donné du fruit ou pas. Ce temps que Dieu nous donne en plus, qui n’ajoute rien à la mort et à la résurrection de Jésus, ce temps, c’est le temps dont nous avons besoin pour nous convertir, pour nous préparer à accueillir le Messie quand il reviendra ; pour être vigilants, car nous ne savons ni le jour ni l’heure ; pour éviter de sombrer dans l’insouciance comme nous le dit l’Évangile en parlant des cinq jeunes filles qui ne se sont pas munies des provisions nécessaires pour l’attente. Tout cela éclaire notre situation de chrétiens dans l’histoire des hommes. Oui, beaucoup de nos contemporains vivent dans l’insouciance, comme s’il ne devait pas y avoir de lendemain, comme si l’on pouvait tout consommer tout de suite, en se disant que, de toutes façons, il y aura des systèmes pour récupérer si besoin est… La sagesse du chrétien, c’est de ménager ses moyens et ses forces pour tenir dans la durée. C’est de se recueillir et de recueillir les biens nécessaires pour attendre le retour du Christ, non pas pour l’attendre en sachant combien de temps nous devons attendre, mais pour l’attendre avec un cœur ouvert, le temps qu’il voudra, le temps qui sera nécessaire pour que la conversion de l’humanité progresse. Nous sommes plongés, par toute notre existence, dans ce monde à la fois insouciant et fasciné par la fin des temps,-il alterne tour à tour les films apocalyptiques qui se projettent à la dissolution du monde-, et les désirs de consommation qui nous font détruire ce monde dès maintenant.

Attendre le retour du Christ en veillant et en priant, cela veut dire que nous avons une mission au cœur de l’histoire, en ne nous laissant pas fasciner par la fin des temps, en ne nous laissant pas anesthésier par l’immédiat, en étant toujours disponibles devant la durée que Dieu nous offre, et déterminés pour vivre le présent, non pas dans l’insouciance mais dans la sagesse. Ces perspectives qui concernent l’humanité entière et l’histoire du monde, nous les retrouvons quand nous considérons notre propre vie, puisqu’aussi bien, pour chacun d’entre nous aussi, les quelques années que nous vivons sur cette terre sont des années d’attente pour la rencontre avec le Seigneur qui arrivera nous ne savons pas quand, nous ne savons pas comment, mais dont la venue n’est pas une source d’anxiété et d’inquiétude mais une source de confiance et d’espérance.

Chacune et chacun d’entre nous est invité à prendre tous les moyens dont il dispose pour vivre ces quelques années non pas dans l’insouciance irréelle, mais dans la lucidité claire de ce que nous vivons. C’est notre réserve d’huile pour être prêt au moment où le Christ viendra.

Frères et sœurs, retenons cette parole du Christ : « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour, ni l’heure » (Mt 25, 13).

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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