Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe à la chapelle de la Maternité Sainte Félicité (Paris 15e)

Chapelle de la Maternité Sainte Félicité (Paris 15e) – Dimanche 9 décembre 2018

 2e Dimanche de l’Avent Année C
 Ba 5,1-9 ; Ps 125, 1-6 ; Ph 1, 4-6.8-11 ; Lc 3,1-6

Frères et Sœurs,

En énumérant les personnages qui gouvernaient Rome et ses dépendances, saint Luc nous montre comment le Christ est venu au cœur de l’histoire humaine. Il n’est pas venu n’importe quand, ni n’importe où, il est venu dans ce temps défini par les mandats des différents responsables qui sont énumérés ici, Tibère, Ponce Pilate, Hérode, etc. C’est une façon pour lui d’être fidèle à l’intention qu’il a exprimée au début de son évangile de faire un compte-rendu aussi précis et exact que possible des événements. C’est aussi une invitation pour nous à raviver notre conviction que le cœur du salut tel qu’il s’est manifesté, n’est pas simplement une idée, n’est pas simplement une sorte de conte, un conte de fée intemporel que l’on évoquerait par un récit, c’est vraiment dans ce pays, dans ce lieu, dans ce temps défini par les responsables politiques du moment, c’est dans cette chair et cette histoire humaine que va être manifestée la puissance de Dieu.

Et pourtant, ce qui est frappant dans ce passage de l’évangile de Luc, c’est que ce n’est dans un aucun de ces lieux de pouvoir, ni à aucun de ces responsables si importants soient-ils, que la Parole de Dieu a été adressée, ce n’est pas à Jérusalem, ce n’est pas à Rome, ce n’est dans aucune des capitales provinciales que Dieu a parlé. Il a parlé dans le désert, il a parlé à un homme inconnu qui était simplement celui qu’il avait choisi pour être son porte-parole.

Ceci nous fait réfléchir et comprendre que si la manifestation de la puissance de Dieu se fait dans l’histoire des hommes, elle n’est pas le produit de l’histoire des hommes. Dieu intervient souverainement par des moyens qui sont les siens, et par des personnes qu’il choisit pour intervenir. Ici, nous avons la personnalité du prophète Jean-Baptiste, plus tard nous méditerons le rôle de Marie dans l’incarnation. L’un comme l’autre sont des inconnus, l’un comme l’autre sont des personnes qui n’ont pas de rôle, qui n’ont pas de mission particulière sinon d’accueillir la parole de Dieu et de la transmettre.

Cette parole que Jean-Baptiste transmet en reprenant la prophétie d’Isaïe est une parole provocante, car, comme nous l’avons entendu dans la première lecture du Prophète Isaïe lui-même, c’est Dieu qui trace un chemin, c’est Dieu qui aplanit, c’est Dieu qui redresse et c’est Dieu qui prépare tout pour que le salut d’Israël advienne, pour que les déportés puissent revenir à Jérusalem. Dans sa prédication, Jean-Baptiste ne se contente pas de répéter que Dieu va aplanir, que Dieu va redresser, il transforme cette prophétie en un appel. Ce n’est pas simplement l’annonce que Dieu va sauver, c’est l’appel pour que nous participions à ce salut, la voix de celui qui crie dans le désert : préparez le chemin du Seigneur, rendez droit ses sentiers. Cela signifie que la manière dont Dieu va renouveler la situation d’Israël, la manière dont il va opérer le salut promis, ce n’est pas une sorte d’opération magique par laquelle la voix de Dieu suffirait pour que les hommes soient transformés, c’est un appel à la conversion, c’est un appel au travail de l’homme pour transformer sa vie, transformer sa vie dans la société, transformer sa vie personnelle, préparer le chemin du Seigneur dans nos cœurs, rendre droits ses sentiers, redresser ce qui est tordu, combler les ravins, etc. Et donc, nous découvrons - dans la fresque historique par laquelle saint Luc ouvre ce chapitre - comment les lieux et les personnes peuvent changer le monde, comment ils peuvent continuer à contribuer à l’avènement du Salut, comment ils peuvent permettre à Dieu d’accomplir sa prophétie : ce ne sont pas les puissants de ce monde, ce ne sont pas ceux qui ont le pouvoir et la responsabilité de faire fonctionner la société, mais ce sont les hommes et les femmes qui changent leur manière de vivre, qui changent leur cœur, qui acceptent de regarder ce qui est tordu, ce qui est mal ajusté, ce qui est fautif dans leur vie pour redresser, pour aplanir, pour combler les obstacles. Aussi, la prédication de Jean-Baptiste n’est pas la prédication qui annonce un miracle, elle est la prédication qui éveille une responsabilité, qui appelle à porter un regard lucide sur sa propre vie, qui appelle à vivre autrement.

Préparer la venue du Seigneur c’est d’abord préparer nos vies pour que le Seigneur puisse advenir, c’est transformer notre manière d’être, c’est nous laisser entraîner vers le monde nouveau que le Christ va inaugurer, et ce monde nouveau est un monde d’amour et de paix, de pardon, de réconciliation, de correction de la vie, toutes choses qui ne nous sont ni naturelles, ni spontanées, mais que nous devons construire par notre manière d’être et notre manière de vivre.

Prions donc le Seigneur, qu’il donne à chacune et à chacun d’entre nous la lumière nécessaire pour examiner ce qui peut être changé dans sa vie, par son travail, par sa volonté de vivre mieux, par son désir de préparer le chemin du Seigneur en son cœur. Amen.

André cardinal Vingt-Trois,
archevêque émérite de Paris

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