Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Solennité de la Nativité du Seigneur

Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre (Paris 18e) – Mardi 25 décembre 2018

 Is 52, 7-10 ; Ps 97 ; He 1, 1-6 ; Jn 1, 1-14

Depuis les débuts de l’humanité, à travers tous les âges et tous les pays, les hommes ont été confrontés à l’énigme de Dieu et ils ont cherché la réponse à cette énigme. La grande difficulté a toujours été de tenir ensemble deux impératifs incontournables. Premièrement, ne pas réduire Dieu à nos imaginations sur lui ; ne pas se fabriquer un Dieu à l’image de l’homme, sinon il n’est plus Dieu. Dieu n’est vraiment Dieu que s’il est le « Tout-Autre ». Deuxièmement, comment communiquer avec ce « Tout-Autre » ? Car, s’il n’y a aucune communication avec lui, alors son existence ou son inexistence ne nous intéresse pas.

Dans notre culture moderne occidentale sécularisée, on a pensé surmonter ces difficultés en déclarant que Dieu ne nous est plus utile. Les progrès des sciences et des technologies modernes ont fait reculer ce que les anciens semblaient attribuer au mystère divin. Le monde est devenu indépendant et n’as plus besoin de Dieu pour être compris. Mais, alors, si cette conviction correspondait pleinement à la réalité, comment expliquer qu’elle ne soit pas universellement reconnue ? Comment oser sous-entendre que les autres cultures, qui ont gardé leur questionnement sur Dieu et tentent d’y répondre, seraient des sous-cultures ou des civilisations mineures ? Et encore, comment expliquer que notre homme occidental, prétendument délivré de Dieu, se rue sur toutes sortes de superstitions ou compense son angoisse de vivre par la consommation des neuroleptiques ? Lui resterait-il une question non résolue ?

La foi des juifs s’est construite sur une certitude : Dieu n’est pas comme nous, d’aucune façon, et, en même temps il s’occupe de l’humanité qu’il a appelée à la vie. Il fait alliance avec lui. Il intervient dans son histoire et il lui envoie des messagers pour lui transmettre sa Parole. Ces « messagers de la Bonne Nouvelle » se sont exprimés sous des « formes fragmentaires et variées », comme nous le dit l’épître aux Hébreux, et leurs messages ont été soumis aux risques des interprétations diverses ou même rejetés. La foi des chrétiens, sans renoncer à la différence entre Dieu et les hommes, reçoit la naissance de Jésus, comme un accomplissement des expressions précédentes. En lui, c’est le Verbe de Dieu lui-même qui prend chair dans notre condition et notre histoire humaine. « Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous, et nous avons vu sa gloire, la gloire qu’il tient de son Père comme Fils unique. » (Jn. 1, 14).

La venue du Verbe de Dieu dans notre chair, son incarnation, est l’accomplissement de la promesse de Dieu : « d’un bout de la terre à l’autre, les nations verront le salut de notre Dieu. » (Isaïe 52, 10). C’est la source d’une espérance extraordinaire : l’humanité n’est pas enfermée dans une fatalité sans recours : Dieu a visité son peuple, il a établi sa demeure parmi nous. Cette certitude de la visite et de la présence de Dieu, est une grande cause de joie, comme nous le rappelait le récit de saint Luc à propos des bergers dans la nuit de Bethléem. Mais ces bergers sont les premiers d’une multitude d’hommes et de femmes qui reconnaissent aujourd’hui dans la naissance de Jésus de Nazareth un chemin de salut, de justice et de paix.

Aujourd’hui encore, en célébrant la naissance du Christ, nous sommes saisis par la joie et l’espérance. Nous voyons d’un regard renouvelé chacune de nos existences et la réalité du monde. Rien de ce qui est en ce monde, qui a été voulu et fait par Lui ; rien de ce qui fait le tissu de l’histoire des nations et de chacune de nos existences, rien, ni la vie, ni la mort, ni aucune de nos joies et de nos peines, aucune de nos espérances et de nos déceptions, aucune de nos attentes et aucun de nos efforts, rien ne peut demeurer étranger au Christ qui a voulu devenir l’un des nôtres et qui l’est devenu, en effet. Là où la méconnaissance de Dieu engendre inquiétude et désillusion, la reconnaissance de l’incarnation du Fils unique de Dieu apporte sérénité et consolation.

Tous n’ont pas la chance et la grâce d’être associés à cette joie et à cette espérance. Mais nous, frères très chers, il nous a été donné d’être introduits avec Marie, Joseph et les bergers dans la sainte nuit de la Nativité. Nous savons, de science sûre, que l’homme n’est pas abandonné à ses démons et à la mort, mais qu’il est appelé à la vie et la plénitude de la joie. Cette certitude ne nous protège d’aucune des difficultés de la vie, d’aucune épreuve. Comme tous les autres, nous sommes touchés par la maladie et la mort ; comme tous les autres, nous connaissons l’adversité ou la trahison ; comme tous les autres, nous supportons les conséquences des événements nationaux ou internationaux, les effets de la crise économique, bref, rien ne nous est épargné.

Si nous ne perdons ni la sérénité, ni la constance, ni l’espérance, ni la joie, ce n’est pas par inconscience ou insensibilité ou par une force personnelle particulière. Notre force, notre paix et notre joie, c’est la personne de Jésus, Fils unique de Dieu, né de la Vierge Marie, notre Seigneur et notre Frère. Nous sommes appelés à renouveler notre attachement à Jésus de Nazareth, lui qui a rendu visible aux yeux des hommes la présence du Dieu invisible.

Que votre communion au Christ soit votre force et votre joie. Amen.

André cardinal Vingt-Trois,
archevêque émérite de Paris

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