Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe à Notre-Dame des Victoires (Paris 2e) – Neuvaine de prière pour les prêtres

Samedi 22 juin 2019

- 2 Co 12,1-10 ; Ps 33,8-13 ; Mt 6,24-34

Frères et Sœurs,

Alors que nous entrons dans cette semaine de prière pour les vocations, l’évangile que nous venons d’entendre peut nous aider à mieux comprendre quel doit être le contenu de cette prière. En tout cas, il nous invite à jeter un regard critique sur ce que nous cherchons. On peut prier avec beaucoup de ferveur pour que Dieu appelle des hommes à devenir les prêtres de l’Église, surtout s’il les choisit ailleurs... On est très généreux pour soutenir et encourager les garçons des autres familles à devenir les prêtres de l’Église ! C’est déjà un premier moment de vérité dans notre prière de savoir si nous acceptons de demander à Dieu qu’il appelle des hommes parmi nous et pas simplement ailleurs ou chez d’autres ! S’il y existe une réticence inavouée dans notre prière, elle n’est pas simplement le fait d’un manque de générosité, elle reflète plutôt notre immersion dans une culture de l’inquiétude : quel sera l’avenir ? Quel sera l’avenir non seulement pour chacune et chacun d’entre nous mais quel sera l’avenir pour notre Église ? Quel sera l’avenir pour notre société ? Comment ne pas reconnaître que ces questions nous habitent ? Comment ne pas reconnaitre honnêtement que nous ne sommes pas remplis d’une confiance absolue ? Non pas en nos capacités de changer l’avenir mais en nos capacités d’affronter l’avenir tel qu’il sera !

« On ne peut pas servir deux maîtres, Dieu et l’argent » (Mt 6, 24). Dès l’instant que nous avons cet éclair de lumière sur qui nous voulons servir, c’est-à-dire sur qui nous reconnaissons comme le maître, qui nous reconnaissons comme l’élément le plus important de notre vie, alors nous voyons bien que notre prière pour appeler à une vie de pauvreté et de dépendance n’est pas une prière très vigoureuse, car elle supposerait que nous soyons nous-mêmes dans l’attitude de foi que le Christ demande à ceux qui l’écoutent, que nous ayons suffisamment la foi en l’amour de Dieu, en sa providence, pour ne pas nous inquiéter du lendemain. Cette prière supposerait encore que nous ayons suffisamment la foi pour estimer que la réussite d’une vie n’est pas proportionnée au compte en banque ou aux capacités d’influence que l’on peut mettre en œuvre, que nous ayons suffisamment la foi pour reconnaître avec saint Paul que ce qui transforme le cœur de l’homme et ce qui transforme le monde, ce n’est pas la puissance telle que nous la comprenons, mais c’est plutôt la faiblesse. Cette prière supposerait enfin que nous soyons plus ardents à reconnaître nos faiblesses pour que la puissance de Dieu puisse se manifester à travers nos existences.

Dès l’instant que notre société met en évidence le succès financier, social, le culte de la vedette, la recherche de la première place, de la célébrité, de la publicité, comment voulez-vous que des jeunes hommes imaginent qu’ils pourront être heureux en y renonçant ? Si tout ce qui les entoure contribue à leur faire croire que la réussite de leur vie passe par la soumission à l’argent, au succès social, à la domination des autres ? Comment voulez-vous qu’ils reconnaissent un appel à être heureux dans le renoncement à la puissance ?

S’il y a si peu d’hommes qui répondent à l’appel du Christ, ce n’est pas par manque de générosité. Notre prière ne vise pas à corriger le manque de générosité des jeunes ! C’est une prière pour éclairer l’aveuglement de notre société, de notre fonctionnement, des priorités que nous leur mettons devant les yeux, des combats que nous voulons leur faire livrer pour être au somment de la pyramide. Le Christ n’a pas choisi ses apôtres au somment de la pyramide, il les a choisis en bas, pauvres pécheurs, humbles personnes, sans notoriété, parce que ce qu’il voulait montrer, c’était la puissance de Dieu à l’œuvre dans la faiblesse humaine.

Nous pouvons donc prier d’un cœur libre et généreux pour demander à Dieu qu’il nous convertisse, qu’il nous apprenne à découvrir et à témoigner de nouvelles priorités, à montrer aux jeunes que notre amour et notre estime pour eux ne sont pas commandés par la puissance sociale, mais par la qualité du cœur. Qu’à travers notre vie, ils découvrent qu’il y a plus dans le monde que la nourriture, le vêtement ou l’argent, qu’il y a l’amour, que cet amour, s’il transforme notre vie, s’il nourrit notre relation avec les jeunes, peut les aider à ouvrir leur cœur à la gratuité du service de Dieu.

Que le Seigneur renouvelle en nous la confiance que nous avons dans le Christ, la confiance que nous avons dans le Père, la confiance que nous avons dans l’Esprit qui habite les cœurs. « Ne vous faites pas de souci pour demain, demain aura souci de lui-même, à chaque jour suffit sa peine. » Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris.

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