Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à la maison Marie-Thérèse (Paris 14e)

Dimanche 15 décembre 2019

 3e Dimanche de l’Avent – Année A

- Is 35, 1-6a.10 ; Ps 145,7-10 ; Jc 5,7-10 ; Mt 11,2-11

Frères et sœurs,

Quand nous entendons ce passage de l’évangile de saint Matthieu, nous pouvons éprouver une certaine perplexité. Si quelqu’un qui était bien placé pour savoir que Jésus de Nazareth était le Messie, c’était Jean-Baptiste ! Il avait tressailli de joie dans le sein de sa mère, il avait prêché le baptême de conversion, il avait baptisé Jésus et vu la colombe descendre sur lui. Comment comprendre que du fond de son cachot, il pose cette question : « Devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11,3). Il savait ce que Jésus faisait puisque l’évangile nous le précise. Quelle était cette question qui semblait tourmenter Jean-Baptiste ? Est-ce qu’il percevait un décalage entre ce qu’il avait imaginé du Messie, et ce que Jésus disait et faisait réellement ? Un décalage tel que même les signes messianiques annoncés par les prophètes ne suffisaient pas à authentifier la mission de Jésus ? Est-ce que Jean-Baptiste, comme il semble ressortir de ses prédications, attendait un Messie qui allait « régler les comptes », en accomplissant le jugement, en passant au crible et en opérant le tri ? C’est d’ailleurs la raison de sa prédication enflammée : appeler à la conversion pour échapper au jugement !

La cognée est au pied de l’arbre, les temps sont courts, produisez des fruits de conversion ! Il ne semble pas que ce soit ce que Jésus va réaliser. Alors on comprend que Jean-Baptiste se pose des questions. Ce ne sont pas les questions de Jean-Baptiste seul, ce sont des questions qui traversent tous les évangiles jusqu’au chemin d’Emmaüs, de ces disciples qui marchent avec le Christ ressuscité et qui lui disent : nous avions pensé que tu allais restaurer le Royaume d’Israël.

Nous sentons bien que ce décalage entre la mission effective de Jésus, ce qu’il accomplit, ce qui le conduit au jugement, à la mort et à la Résurrection, ne correspond pas immédiatement à l’image que l’on se fait du salut. Nous imaginons plus facilement un Messie puissant et triomphant qui fait le ménage entre les bons et les mauvais, et qui nous récompense évidemment puisque dans cette perspective, nous sommes censés faire partie des bons et condamner les autres qui font partie des mauvais…

Cette vision du juge ultime - qui est nourrie d’ailleurs dans l’évangile par le récit du Jugement dernier dans l’évangile de saint Matthieu -, restreint notre capacité à comprendre le salut apporté par le Christ. Elle le réduit à une vision d’un salut historique et terrestre, d’une victoire politique de puissance mais elle laisse échapper ce que Jésus est vraiment venu faire et qu’il est obligé de rappeler aux disciples du Baptiste : Dites-lui ce que vous voyez et ce que vous entendez. Et ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent, c’est exactement ce que le prophète Isaïe avait annoncé comme étant les signes du Messie. C’est un salut qui s’éprouve dans la chair, c’est un salut qui change la manière de vivre mais ce n’est pas un salut qui écrase l’adversité.

Nous-mêmes, est-ce que nous devons attendre un autre Sauveur ? Ou bien est-ce que Jésus est le seul nom sous le Ciel par lequel nous puissions être sauvés comme le dit l’Ecriture ? Est-ce que nous devons attendre un autre Sauveur ? Ce n’est pas seulement une question d’identité. Est-ce que nous devons attendre un autre salut ? Est-ce que finalement les inquiétudes et les désirs qui habitent nos cœurs ne seraient pas bien loin de ces signes messianiques ? D’ailleurs, il n’y a pas besoin de chercher beaucoup pour rencontrer et trouver des résistances. Depuis les évangiles, les hommes ont passé un temps considérable à essayer d’expliquer que les signes n’étaient pas des signes messianiques, que les miracles n’étaient pas des miracles, que ce qu’ils avaient vu, c’était des phénomènes compréhensibles comme une tempête qui avait pu ouvrir la Mer Rouge par exemple. Cela veut dire qu’ils ont cherché des figures du salut qui ne sont pas celles que le Christ a réalisées, si bien que leurs yeux ne se portent pas sur les signes qui pourraient parler.

Vous rappelez quand le premier homme a marché sur la lune, « ce petit pas pour l’homme et ce grand pas pour l’humanité » ! On touchait quelque chose qui sentait le salut… un espoir peut-être de transporter quelque chose, de créer un nouvel univers ! C’était il y a quelques dizaines d’années. On est toujours là, et on ne marche plus sur la lune… Quelle inquiétude habite les cœurs de nos contemporains ? Comment voient-ils leur avenir ? Où attendent-ils le salut ? Et si leurs yeux se portent davantage sur les sécurités financières et institutionnelles, c’est peut-être parce qu’ils ne voient plus les signes du salut ! C’est à nous que la question est posée. Quels signes de salut notre Église donne-t-elle ? Nous savons que dans les meilleures périodes de son histoire, quand de grandes figures se sont dressées pour incarner l’Évangile, ce sont ces signes-là qui ont été donnés. C’est en montrant la priorité, la primauté du pauvre, en montrant l’amour et la vigilance pour les faibles, en se portant aux soins des malades, des infirmes, en étant sur le premier front de la souffrance humaine que l’Église accomplit cette mission. Elle n’est pas chargée de fournir des modèles de salut historique, elle est chargée de mettre en œuvre les signes du salut apportés par le Christ. Elle est chargée de montrer aux hommes qui sont les premiers dans le Royaume de Jésus.

Que le Seigneur nous donne la patience et la force pour attendre avec confiance la venue du Christ qui apporte le salut au monde. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris.

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