Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe de la nuit de Noël à la Maison Marie-Thérèse (Paris 14e)

Mardi 24 décembre 2019

 Nativité - Nuit de Noël

- Is 9,1-6 ; Ps 95,1-3.11-13 ; Tt 2,11-14 ; Lc 2,1-14

Frères et sœurs,

Nous n’avons pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour comprendre la prophétie d’Isaïe, pour comprendre ce que veut dire « marcher dans la nuit à l’ombre de la mort ». Il suffit de suivre quelque peu les informations pour avoir autant de témoignages que l’on voudra de la souffrance de tant d’hommes, de femmes et d’enfants, de vieillards, pour connaître la violence et les brutalités auxquelles ils sont exposés. Oui, « le peuple qui marchait dans les ténèbres », ce n’est pas simplement une image littéraire, c’est une réalité qui concerne notre monde. Et nous comprenons que la prophétie d’Isaïe qui annonce la venue d’un Sauveur, Prince de la Paix, Conseiller merveilleux, ait pu faire rêver un certain nombre de gens qui avaient besoin d’être sauvés. Nous comprenons aussi que leur attente spontanée, immédiate, c’était que ce Messie annoncé serait le plus fort. Sinon, comment pourrait-il sauver l’humanité s’il n’est pas le plus fort, s’il n’est pas le plus puissant parmi les hommes ?

Or, le signe que les anges donnent aux bergers, de l’avènement de ce Messie, ce n’est pas un signe de puissance, c’est un signe de faiblesse : un enfant emmailloté, couché dans une mangeoire, que rien ne distingue, que rien ne permet d’identifier comme l’héritier de la lignée de David, appelé à sauver le peuple d’Israël. C’est contre cette ignorance que les anges rattroupent les bergers pour venir contempler ce signe, qu’ils leur annoncent que c’est une grande joie pour tout le peuple. Cet enfant sans puissance, sans apparence de force, sans entourage efficace, c’est celui que Dieu envoie pour être le Messie et le Sauveur de son peuple. Cela veut dire que nous avons toujours à confronter nos rêves de salut, nos rêves de victoire, nos rêves de domination, avec la réalité de cet enfant impuissant et sans pouvoir. Et nous savons que pour les chrétiens de tous les temps -et donc pour nous aussi-, c’est une conversion permanente, non pas de nous habituer à reconnaître le Fils de Dieu dans l’enfant de la crèche, mais de nous entraîner à ne pas chercher le salut par les chemins de la puissance.

Il n’est pas difficile, compte tenu de la richesse des représentations de la crèche, de reconnaître que c’est l’enfant Jésus. Ce qui est plus difficile, c’est de croire qu’il peut changer quelque chose à notre vie, et autre chose que simplement de changer l’ambiance d’une nuit ou d’une journée comme un espace protégé par la trêve des confiseurs… Une fois la parenthèse refermée, on revient au bon vieux système de la domination des hommes les uns sur les autres, on revient à l’illusion que le salut vient du plus fort… Cette illusion, la révélation biblique l’a contredite chaque fois qu’Israël a voulu se prendre pour Dieu, chaque fois qu’il a voulu manifester qu’il pouvait devenir un partenaire crédible pour les puissances alentours et qu’il a oublié la loi du Seigneur. Cette loi, c’est celle de la grâce manifestée, comme nous le dit saint Paul, pour le salut de tous les hommes, non pas par l’écrasement des erreurs mais par la splendeur de la vérité -comme disait une encyclique moderne- qui illumine le cœur de l’homme et non pas la puissance qui extermine les adversaires et les ennemis. Dans ce jeu, nous savons que nous sommes nécessairement perdants. Par conséquent, la question de notre foi est : où allons-nous chercher le sauveur, où allons-nous chercher le salut ? L’empereur ? Ses délégués en Syrie ? Hérode à Jérusalem ? Qu’est-ce que cet enfant qui vient de Nazareth peut apporter de bon nous dira l’évangile, qu’est-ce qui peut venir de bon de Nazareth ? C’est cela la question de notre foi en cette nuit de la Nativité : reconnaître dans le signe de l’enfant emmailloté, couché dans une mangeoire, sans puissance et sans force, la puissance de Dieu à l’œuvre pour le salut de monde et pour notre salut.

Que la Vierge Marie, saint Joseph, les bergers, ouvrent nos yeux et nos cœurs pour reconnaître le Messie dans l’enfant nouveau-né. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris.

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