Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe du 2e dimanche de l’Avent à la Maison Marie-Thérèse

Dimanche 6 décembre 2020 - Maison Marie-Thérèse (14e)

– 2e dimanche de l’Avent – Année B

- Is 40,1-5.9-11 ; Ps 84, 9-14 ; 2 P 3,8-14 ; Mc 1,1-8

Frères et sœurs,

Les cieux nouveaux et la terre nouvelle que nous attendons, il me semble qu’ils tardent à venir… Le temps est long pour arriver à l’avènement de ces cieux nouveaux et de cette terre nouvelle ! Alors, comment comprendre ce temps qui s’étire, qui s’allonge ? Quel sens lui donner ?

Quand Jésus est mort sur la croix, quand il est ressuscité, les premières générations de ses disciples ont cru que tout était accompli et que l’histoire allait s’arrêter. Et puis les années ont passé et il a fallu reconnaître que tout n’était pas fini. Tout était accompli dans la personne de Jésus mais tout n’était pas accompli dans l’humanité. Ces années qui s’étiraient n’étaient pas simplement une distraction de la part de Dieu mais un espace pour accomplir quelque chose. Pour Dieu : « Mille ans sont comme un jour et un jour comme mille ans » (2 P 3,8).

Nous avons assez exprimé, de toutes sortes de façons, que nous croyons que Dieu est éternel, mais il nous est bien difficile de ne pas projeter sur lui notre expérience du temps. Pour nous, un jour n’est pas comme mille ans et mille ans n’est pas comme un jour. Que pouvons-nous comprendre de ces longs siècles qui nous séparent de l’accomplissement du salut ? Que pouvons-nous comprendre autrement qu’en faisant reproche à Dieu de prendre du retard ? Saint Pierre nous dit dans son épître que Dieu n’est pas en retard. Alors, que veut-il ?

Il veut nous donner l’espace et le temps nécessaires pour que nous soyons accordés au salut qu’il nous donne. Nous croyons que Dieu peut d’un mot ou d’un geste tout t’arrêter. Ou plutôt nous imaginons, d’après notre représentation de Dieu, qu’il est comme une espèce de magicien qui peut changer l’histoire par la toute-puissance de sa parole. Ce qu’il nous aide à découvrir, c’est qu’il n’est pas ce magicien. Il est bien le maître de l’histoire mais il a voulu précisément, que cette histoire soit une histoire humaine, avec des hommes et des femmes qui ne sont pas prêts, qui ne sont pas accordés, qui ne sont pas encore rassemblés en un seul troupeau. Et plutôt que de les convertir par la force et de les faire entrer de force dans le cadre de son amour, il nous montre, à travers les années qui s’écoulent, qu’il veut que l’humanité soit non pas contrainte mais associée à son projet. Il ne veut pas que chacune et chacun d’entre nous entrent dans le royaume inconsciemment mais bien par choix. La liberté que Dieu a donnée à l’être humain n’est pas un simulacre ! Nous le savons, tout ce qui relève des changements de la personne humaine demande du temps, beaucoup de temps. Parfois nous pensons trop de temps, parfois nous pensons aussi, pas assez de temps… Encore un jour, encore une heure, encore un an… Nous avons toujours l’illusion qu’un délai supplémentaire nous permettrait de nous convertir. En même temps, nous constatons que l’accumulation des années n’a pas suffi à nous convertir complètement. Alors cet espace et ce temps que Dieu nous donne, ce n’est pas une distraction de sa part, ce n’est pas un oubli, ce n’est pas un constat d’impuissance, c’est un geste de miséricorde ! Dieu nous donne ce temps que nous vivons, -nous ne savons pas s’il sera long ou s’il sera court, il y a plus de chance qu’il soit court que long mais on ne sait jamais…- pour que nous puissions nous convertir, comme Jean-Baptiste nous y invitait dans sa prédication aux habitants de la Judée.

Nous convertir, ce n’est pas non plus un acte magique ! Nous avons dans notre mémoire collective des grandes figures d’hommes et de femmes qui se sont convertis subitement et qui nous fascinent toujours un peu. Mais on oublie qu’après l’événement éclatant qui les a convertis, il leur soit resté à convertir leur vie. La conversion n’est pas un éclat de tonnerre, c’est un chemin, un long chemin où il faut préparer l’espace pour la venue de Dieu. Préparer l’espace, cela veut dire corriger notre manière de vivre, raboter ce qui dépasse, redresser ce qui est tordu, aplanir ce qui est un obstacle, bref, être vigilant sur notre manière de vivre. « Convertissez-vous et croyez à la bonne nouvelle » (Mc 1,15) dira saint Marc un peu plus loin dans son Évangile. Nous croyons à la bonne nouvelle de la venue du Seigneur, et pour cette raison, nous sommes encouragés et fortifiés pour procéder à ce travail d’arasement, d’accommodement, de redressement, de préparation, afin que sa venue ne soit pas simplement une commémoration festive, mais réellement un événement de notre vie qui pénètre notre cœur parce que nous lui avons fait la place nécessaire.

Ainsi, frères et sœurs, prions le Seigneur, prions Jean-Baptiste. Qu’il nous soit donné de reconnaître notre péché, d’en recevoir la rémission, et de corriger dans nos journées et dans notre manière de vivre ce qui fait obstacle à la venue du Seigneur.

Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris.

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