Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Nativité du Seigneur, messe de la nuit

Jeudi 24 décembre 2020 – Maison Marie-Thérèse (14e)

 Is 9,1-6 ; Ps 95 ; Tt 2,11-14 ; Lc 2,1-14
 Messe de la nuit

Frères et sœurs,

En entendant la lecture du prophète Isaïe, le chant de victoire qui était l’espérance d’Israël, l’annonce d’un sauveur qui éclairerait le peuple qui était dans l’ombre de la mort pour lui rendre vie, on n’est pas préparé directement à reconnaître ce sauveur dans le nouveau-né emmailloté, couché dans une mangeoire, ignoré de tous. Comme nous le dit l’évangile de Luc, le signe qui est donné aux bergers, ce n’est pas le signe d’un prince ou d’un soldat victorieux qui a écrasé ses ennemis et libéré son peuple, c’est un nouveau-né emmailloté, couché dans une mangeoire, ballotté au hasard de la foule de Bethléem, « sans lieu où reposer sa tête » comme dira plus tard Jésus. Il naît dans l’obscurité, dans l’ignorance de tous, et il faut que Dieu lui-même missionne ses anges pour essayer d’attrouper quelques bergers pour venir le reconnaître.

Ce paradoxe entre l’annonce triomphale du salut et l’accomplissement humble dont le signe nous est donné dans la Nativité de Jésus, c’est l’espace où nous sommes appelés à entrer dans le chemin de la foi. Nous serions tout prêts à reconnaître un sauveur qui aurait tous les attributs du sauveur. Nous serions prêts à reconnaître celui qui est victorieux de ses ennemis et qui manifeste sa puissance dans les combats. Mais le signe qui nous est donné et auquel nous sommes invités à rendre hommage, c’est le signe de la faiblesse et de l’impuissance. Oui, cet enfant est faible et apparemment, il n’a aucun pouvoir qui puisse agir sur le monde. Il faudra que des sages venus d’Orient aillent exciter la nomenklatura de Jérusalem pour qu’Hérode commence à s’intéresser à ce qu’il se passe à Bethléem.

Au fond, notre civilisation et notre culture, toutes façonnées par l’image et la manifestation des signes de puissance, ne sont pas si différentes de ce qu’était la cour d’Hérode. Il n’y aura rien à voir à la télévision. Il n’y aura pas de tweets qui exalteront l’apparition de ce sauveur inconnu. Il n’y aura pas de frétillement du monde médiatique pour se presser autour de l’étable et de la mangeoire où l’enfant emmailloté est posé. En somme, il n’y aura rien qui puisse servir de signe à une société de l’ostentation et du merveilleux. On pourrait dire d’une certaine façon : « il n’y a rien à voir » !

Et pourtant, dans le silence, dans l’obscurité, dans l’ignorance des événements qui se déroulent, cet enfant emmailloté, couché dans une mangeoire, est le germe qui va bouleverser le monde, pas simplement parce qu’il va transformer les sociétés et les pouvoirs politiques - il le dira : son royaume n’est pas de ce monde - mais parce qu’il allume au cœur de l’humanité, une puissance de transformation qui ne dépend pas de la puissance de la notoriété, de la puissance économique, de la puissance des armes. Cette puissance, c’est la puissance de l’amour. C’est faible et démuni que Dieu, le Tout-puissant, vient prendre place dans l’humanité qu’il a conçue, qu’il a jetée dans l’histoire et qu’il veut ramener à lui. La toute-puissance de Dieu ne peut se reconnaître que si on reconnaît le signe de cet enfant emmailloté, couché dans une mangeoire et qui n’a rien à montrer.

Pour les chrétiens, la joie de Noël est tout-à-fait réelle mais elle ne revient pas à l’excitation du marché ou de la fête. Elle revient, dans la joie du cœur, à reconnaître que Dieu aime à ce point le monde qu’il met sa toute-puissance dans l’extrême faiblesse et qu’il vient soulever dans le monde une force de révolution et de changement qui s’appelle l’amour. Dieu va manifester cet amour dans la vie de Jésus de Nazareth, homme parmi les hommes, mais Fils de Dieu, Dieu lui-même.

Si nous ne pouvons pas reconnaître le Dieu tout-puissant dans l’enfant impuissant, nous ne pourrons pas reconnaître le Sauveur dans l’homme crucifié, nous ne pourrons pas reconnaître la puissance de l’Esprit à l’œuvre à travers le cœur des croyants pour donner le signe de l’amour plus fort que la mort. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois,
archevêque émérite de Paris

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