Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Nativité du Seigneur, messe du jour

Vendredi 25 décembre 2020 – Saint-Étienne-du-Mont (5e)

« Si nous voulons vivre ce temps difficile non pas comme une fatalité, non pas comme le signe de la mort à l’œuvre dans notre vie mais comme un temps d’espérance et de reconnaissance de la lumière qui est la vie, comme le disait l’évangile, alors nous devons nous incliner devant l’enfant nouveau-né qui nous est donné comme signe. »

 Is 52, 7-10 ; Ps 97 ; He 1,1-6 ; Jn 1, 1-18

Frères et sœurs,

Dieu, nul ne l’a jamais vu, jamais depuis l’origine du monde, et nul ne le verra jamais jusqu’à la fin des temps. C’est pourquoi la naissance de Jésus dans la crèche de Bethléem est un événement qui est tellement provocateur pour notre foi. Car dans cet enfant emmailloté couché dans une mangeoire, nous sommes invités à reconnaître le Dieu tout-puissant que nul n’a jamais vu. Il a fallu des siècles et des siècles pour que, peu à peu, Dieu face progresser cette idée qu’il était présent à l’histoire des hommes, et que rien n’arrivait à l’humanité qu’il ne l’ait voulu, qu’il ne l’ait accepté, et que rien n’arrivait à l’humanité qui ne soit ordonné à la réalisation de son plan d’amour et de salut du genre humain.

Mais, nous le savons pour l’avoir appris de la trace de la révélation dans l’Écriture, cette manifestation de Dieu à travers les temps et à travers les événements est sujette à interprétation. Tous ne voient pas la même chose. Évidemment tout le monde vit les mêmes événements. Mais tous ne comprennent pas les mêmes événements de la même manière. C’est pourquoi, là où, par exemple, Israël ne voyait que les effets douloureux de la guerre, le prophète annonçait la victoire et le salut. C’est ainsi que génération après génération, Dieu préparait l’humanité à le reconnaître, lui l’invisible.

Comme toutes les générations humaines, notre génération est confrontée à des événements qui sont les mêmes pour tous. Comme toutes les générations, nous voyons se lever des interprétations différentes des mêmes événements. Pour les uns, ce sont simplement des ratés du déroulement harmonieux du développement de la création. Pour d’autres, ce sont des complots qui visent à exterminer les bons - sous-entendu, nous évidemment ; car qui pourrait être bon, sinon nous ! Pour d’autres encore, ce sont des ratés de la science, des échecs dans la maîtrise que l’homme pouvait espérer exercer sur l’humanité. Il n’est pas extraordinaire de voir dans le même siècle et dans le même pays se développer l’épidémie que nous connaissons et le lancement d’une fusée vers la lune. D’un côté, la maîtrise technique de l’existence, l’espérance ou le mythe - on ne sait pas très bien de quoi d’ailleurs qui nous viendrait de la lune - et en même temps le virus mortel qui se répand à travers l’humanité.

Ceux qui sont disciples du Christ sont entraînés par la foi à reconnaître la manifestation du salut comme les bergers dans la nuit de Bethléem ont été invités à reconnaître dans cet enfant emmailloté et couché dans une mangeoire, le signe visible du Messie. Tout le monde a son idée de ce que devrait être le salut. Tout le monde a dans son imagination la figure d’un sauveur. Les juifs contemporains de Jésus avaient aussi leur représentation du messie et leurs attentes. Nous savons que leur attente n’était pas celle d’un enfant impuissant et fragile mais l’attente d’un messie victorieux et dominateur qui rétablirait Israël dans sa royauté.

Pour nous, la question qui est posée à notre foi, et la question que la foi nous pose, c’est de savoir si nous reconnaissons la toute-puissance de Dieu à l’œuvre dans l’impuissance de cet enfant. C’est de savoir si nous sommes capables d’ajuster notre vision à la réalité que Dieu manifeste dans l’enfant qui est donné comme signe dans la nuit de Bethléem. C’est de savoir si nous sommes prêts à reconnaître que les forces qui peuvent sauver le monde, ne sont pas les forces de la puissance technologique, ni de la puissance militaire, ni de la puissance économique mais ce sont les forces de l’amour. La question est de savoir si le Dieu auquel nous croyons est un Dieu exterminateur et dominateur ou si le Dieu auquel nous croyons est un Dieu qui s’est fait pauvre et serviteur pour sauver le monde. Cette question va traverser tous les récits évangéliques jusqu’à l’ascension du Seigneur et à la venue de l’Esprit-Saint. Cette question, c’est notre question : à quoi, à qui croyons-nous ? Que reconnaissons-nous comme source du salut ? Vers qui tournons-nous nos esprits et nos cœurs ? Vers qui se tournent notre attente et notre espérance ? Est-ce que nous croyons que l’homme sera sauvé par lui-même, par sa propre puissance ou par une puissance supérieure et inconnue ? Ou est-ce que nous croyons que l’homme est sauvé par un Dieu tout-puissant qui s’est fait impuissant pour manifester que sa puissance se réalise par le service de l’amour ?

Si nous voulons vivre ce temps difficile non pas comme une fatalité, non pas comme le signe de la mort à l’œuvre dans notre vie mais comme un temps d’espérance et de reconnaissance de la lumière qui est la vie, comme le disait l’évangile, alors nous devons nous incliner devant l’enfant nouveau-né qui nous est donné comme signe : celui qui n’a pas de puissance visible, celui qui terminera sa vie terrestre dans l’impuissance de la croix et celui que Dieu a ressuscité pour que nous vivions. Amen.

André cardinal Vingt-Trois,
archevêque émérite de Paris

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