« Il faut une meilleure coopération entre État et religions »

Paris Notre-Dame du 23 mars 2017

Paris Notre-Dame – Vous venez de clôturer un séminaire que vous avez co-dirigé durant deux ans sur le thème État, religions, laïcité : les nouveaux fondamentalismes. Quel bilan en tirez-vous ?

Antoine Arjakovsky est docteur en histoire et co-directeur du département de recherche Politique et Religions au Collège des Bernardins.
© D. R.

Antoine Arjakovsky – Ces deux années de recherche ont confirmé notre intuition : se focaliser sur la montée de l’islamisme radical, comme le font les médias et l’État, ne règlera pas le problème du néo-fondamentalisme. En particulier parce que la radicalité n’est pas un mal en soi. J’aurais même tendance à dire que dans notre société atone, nous devrions encourager le désir existentiel de sens. C’est bien parce que l’État n’apporte pas de réponses à ces questions importantes, et refuse aux traditions religieuses de le faire de façon respectueuse, reconnue et concertée, que naissent des idéologies de substitution, comme l’a souligné Jean Birnbaum, rédacteur en chef du Monde des Livres, lors de notre séminaire. Le communisme hier, l’islamisme aujourd’hui.

P. N.-D. – Quel est votre diagnostic [1] concernant ces nouveaux fondamentalismes ?

A. A. – Il faut d’abord reconnaître que les religions, depuis les origines, possèdent en elles des potentialités de violence. On le sait depuis Caïn et Abel. C’est au moment du culte rendu à Dieu que Caïn et Abel entrent dans un cycle de jalousie. Mais il faut aussi que les sociétés sécularisées reconnaissent que les religions, et en particulier la religion chrétienne, ont conscience de cette violence, et travaillent à la mettre à distance, comme le Christ l’a enseigné. Oui, les religions, lorsqu’elles sont uniquement du côté de la foi et qu’elles perdent leur dimension culturelle, peuvent être source de violence. Mais à l’inverse, l’État moderne, lorsqu’il se place uniquement du côté de la culture, peut être lui-même source de violences. Associer foi et culture est donc un impératif.

P. N.-D. – Quelles sont les solutions ?

A. A. – Elles sont nombreuses : nous avons évoqué le rôle de l’Église catholique dans l’éducation – secondaire et supérieure, mais aussi dans la formation des maîtres. Nous avons également insisté sur la nécessaire redécouverte de l’horizon spirituel à la base des valeurs républicaines. Et parmi les solutions, figure aussi une meilleure coopération entre État et religions.

P. N.-D. – Comment aboutir à cette coopération renforcée ?

A. A. – En promouvant une laïcité de reconnaissance. C’est sur ce point que nous voulons insister. Par le passé, il y a eu les propositions d’Emmanuelle Mignon et de Nicolas Sarkozy sur la laïcité positive, puis le pape Benoît XVI, lors de sa visite en France, a parlé d’une laïcité ouverte. De tout cela est née une expression de synthèse : la laïcité de reconnaissance. Elle consiste à dire que l’État et les religions sont des institutions différentes, et que la liberté des religions doit être respectée, comme la neutralité de l’État. Mais neutre, cela veut dire indépendant et impartial, pas agnostique. C’est là un point sémantique important. Quand nous parlons de laïcité de reconnaissance, nous voulons utiliser le meilleur de la société civile – et en particulier les religions – afin que toutes les convictions puissent s’exprimer et contribuer au bien commun. Pour cela, il faut une meilleure coopération, notamment dans le secteur de l’éducation. Car en s’interdisant de reconnaître les cultes, l’État s’interdit aussi de lutter contre les tendances radicales des religions. • Propos recueillis par Priscilia de Selve

[1Diagnostic publié sur le site de theconversation.com

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