Intervention de Mgr Michel Aupetit – Soirée de présentation des positions de la Conférence des évêques de France

Lundi 16 septembre 2019 – Collège des Bernardins

Loi bioéthique : soirée de présentation des positions de la Conférence des évêques de France en présence de Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, responsable du groupe de travail sur la bioéthique, de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la CEF.

La première réflexion que je voudrais aborder avec vous est celle de la pratique médicale. La tradition française, contrairement à celle du monde anglo-saxon fondée sur une dimension contractuelle, est basée sur la relation de confiance entre le médecin et le malade. Elle est établie par le libre choix du médecin qui peut être remis en cause. Nous nous apercevons que, peu à peu, la position de soignant du médecin s’estompe pour devenir celle d’un prestataire de service : « Je paye donc j’ai droit à… ».

La dimension altruiste du « prendre soin » à la fois évangélique et hippocratique disparaît au profit d’un technicien du désir et éclipse cette dimension humaine d’une relation interpersonnelle qu’un robot ne pourra jamais remplir.

Ceci est particulièrement visible dans la proposition de loi qui nous est présentée en matière de bioéthique. En effet, jusqu’à présent l’assistance médicale à la procréation, ou PMA, était véritablement un soin pour pallier à l’infertilité d’un couple. Les deux indications données par la loi étaient de remédier à l’infertilité médicalement diagnostiquée et au risque de transmission de maladies à l’enfant (article L 2141-2).

La nouvelle loi ouvre la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes célibataires, qui donc ne présentent pas de problèmes médicaux d’infertilité. La cause évoquée par le législateur est la discrimination. Cet argument politique n’est pas tenable juridiquement comme l’a relevé le Conseil d’état le 28 septembre 2018, il y a un an : « Les couples formés d’un homme et d’une femme sont, au regard la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes du même sexe ». En outre, à deux reprises, le Conseil Européen des Droits de l’Homme a refusé de condamner la France en affirmant qu’il n’y avait pas de discrimination dans ce cas.

Nous sommes bien devant un changement de paradigme pour lequel la médecine soignante devient une « prestation » au service des volontés individuelles. La médecine se met en dépendance du marché de la procréation où priment les intérêts financiers et la volonté toute-puissante des adultes. L’enfant désiré y est réduit à l’état de produit.


On m’a demandé aussi de vous parler de la recherche sur l’embryon humain qui va être élargie. Pour comprendre les enjeux, il me faut revenir au début de la législation française sur la bioéthique. En 1994, le code civil dans son article 16 affirmait « le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Cela avait pour conséquence l’interdiction de toute recherche portant atteinte à l’intégrité d’un embryon humain. En 2004, il y eut l’introduction d’une dérogation temporaire pour les embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental, à condition que cela soit ordonné à des progrès thérapeutiques majeurs et à condition qu’il n’y ait pas de méthodes alternatives d’efficacité comparable.

En 2011, la finalité thérapeutique a été remplacée par la finalité médicale élargissant la voie aux recherches sur les cellules embryonnaires dont on sait qu’elles ne sont obtenues que par destruction d’un embryon, c’est-à-dire de la vie d’un être humain vivant.

En 2013, la loi a supprimé l’expression formelle du principe d’interdiction des recherches sur l’embryon pour le remplacer par un régime d’autorisation sous conditions ce qui, bien sûr, ouvrait largement les vannes.
Pourtant la France avait ratifié la convention d’Oviedo qui stipule : « Lorsque la recherche sur les embryons in vitro est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l’embryon. La constitution d’embryons humains aux fins de recherche est interdite. »

Cette fois-ci, la loi va beaucoup plus loin. Elle prévoit de créer un régime propre de recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines distinctes du régime de recherche sur l’embryon. L’argumentation est la suivante : il s’agit de « tirer les conséquences de la différence de nature entre l’embryon et les cellules souches embryonnaires qui ne conduisent pas au même questionnement éthique ». En réalité quand la recherche porte sur l’embryon ou sur les cellules souches embryonnaires, elle implique toujours la destruction d’un embryon, c’est à dire d’un être humain vivant.

Le projet de loi vise aussi à autoriser la conservation de l’embryon humain in vitro jusqu’à 14 jours. La seule justification de cette disposition est simplement due à la capacité récente qu’a le monde scientifique de maintenir un embryon humain en développement in vitro jusqu’à 14 jours.

Le projet de loi prévoit aussi de supprimer l’interdiction de création d’embryons transgéniques ou chimériques. L’interdiction ne porterait que sur la modification génétique d’un embryon humain par l’adjonction de cellules provenant d’autres espèces.

Nous voyons que nous sommes dans l’ère du professeur Nimbus et des savants fous. Le Japon a autorisé la création d’embryons chimériques, c’est-à-dire d’embryons constitués pour partie l’homme et d’animal. Les justifications d’une telle monstruosité sont toujours les mêmes : les progrès de la médecine. C’était déjà ce qui avait justifié les recherches sur les cellules embryonnaires qui n’ont jusqu’alors donné que fort peu de résultats alors que d’autres techniques plus respectueuses de l’éthique et plus humaines ont fait la preuve de leur plus grande efficacité (les cellules du cordon ou du sang du cordon, par exemple). Le principe de précaution qui s’exerce aujourd’hui dans tous les domaines ne s’applique pas dans ce cas beaucoup plus grave quant aux conséquences, c’est pour le moins étonnant.

Tout cela vient de l’incapacité et de la volonté expresse de ne pas donner un statut à l’embryon humain. Le 24 mai 1984, le Comité Consultatif National d’Éthique définissait l’embryon comme « personne humaine potentielle ». Ce tour de passe-passe philosophico-scientifique a permis de ne donner aucun statut juridique à l’embryon. La même année, la commission anglaise présidée par Lady Warnock entérinait la notion de pré-embryon jusqu’au 14e jour du développement embryonnaire, ce qui a permis à la Grande-Bretagne de faire des expérimentations embryonnaires qui, par rapport à la transgression éthique majeure, n’ont pas vraiment fait avancer la médecine. Dans le même temps, toujours en 1984, une commission est lancée en Allemagne sous la présidence d’Ernst Benda. Ses conclusions seront totalement différentes de la position anglaise puisque le droit allemand, qui s’appuie sur le droit romain, fait la distinction entre personne et chose. Aussi, dans ce pays, l’embryon humain est déjà protégé par le principe de dignité, mais aussi par le droit constitutionnel allemand au « libre épanouissement de la personnalité ».

Pourquoi l’embryon humain est-il traité de manière différente en fonction du droit des pays européens ? Il est temps que dans notre pays, la France, qui se targue d’être la patrie des droits de l’homme, le droit se penche sérieusement sur la qualification juridique de l’embryon humain.

A-t-il moins de valeur que les larves du scarabée doré ou que l’œuf du rouge-gorge ?

Mgr Michel Aupetit,
archevêque de Paris


 Voir le compte-rendu de la soirée.

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