Intervention du cardinal André Vingt-Trois pour la célébration du 50e anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II et l’ouverture de l’Année de la Foi à Paris

Cathédrale Notre-Dame de Paris – Dimanche 30 septembre 2012

Célébrer le 50e anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II, ce n’est pas céder à la mode des rétrospectives nostalgiques, c’est reprendre conscience du dynamisme prophétique inscrit dans cet acte ecclésial, afin de renouveler notre foi au Christ Ressuscité et en être les témoins en ce début de XXIe siècle.

Lourde responsabilité d’être entré dans la vie sacerdotale au moment où s’ouvrait le Concile Vatican II, il y a 50 ans ! Mais d’abord je voudrais vous dire que le Concile Vatican II -pas plus que le Concile de Nicée ou le Concile de Trente, ou le Concile Vatican I, ou aucun des vingt autres conciles œcuméniques qui l’ont précédé- n’est pas derrière nous, il est devant nous ! Il est derrière nous pour les travaux qui ont été accomplis en leur temps, il est derrière nous pour les débats qui l’ont animé et qui ont été évoqués avec talent à l’instant, il est derrière nous pour un certain nombre d’images d’archives dont l’apparition épisodique à la télévision nous montre combien les archives vieillissent vite.

Mais le Concile Vatican II est devant nous pour ses fruits. Il est devant nous pour sa fécondité. Il est devant nous pour l’accomplissement des dynamismes qu’il a voulu mettre en œuvre à travers l’Église. Dynamisme de la collégialité, dont nous avons eu une première image à travers ce rassemblement de 2500 évêques du monde entier, visibles pour la première fois à l’œil des fidèles qui croyaient que l’Église était universelle, mais qui n’avaient jamais pu voir ce que cela voulait dire. Prophétique d’une certaine façon puisque cette circulation et cette réunion d’évêques du monde entier était à l’orée d’un mouvement de population qui traverse notre univers et qui fait qu’aujourd’hui les cinq continents sont présents partout, en tout cas chez nous à Paris. Prophétique aussi parce qu’à travers la différence des cultures, la différence des traditions théologiques, la différence des expériences, ces évêques ont été acculés à revenir à la source, au cœur, à l’énergie centrale du mystère de la foi, le Christ tel qu’il est manifesté dans les Écritures et tel qu’il est attesté à travers les témoins depuis 2000 ans.

Oui, ce renouveau de l’attention portée à la personne du Christ, ce renouveau de la prise de conscience que le Christ est venu pour sauver l’univers entier, ce renouveau de la meilleure compréhension du sacerdoce commun des fidèles, de la mission de témoins qui leur est conférée par le don de l’Esprit Saint, ce renouveau du dynamisme de l’Évangile, non pas simplement à travers, pardonnez-moi le mot, des corporations de missionnaires, mais à travers la vie de chacun et de chacune des membres de l’Église. Tout cela, qui était comme en germe dans le travail du Concile, a commencé à porter son fruit et à se développer. Mais le meilleur de ce fruit, la maturité de ce fruit, cela n’est pas derrière nous, c’est devant nous. Nous ne sommes pas les gardiens nostalgiques d’un âge d’or qui aurait eu lieu il y a cinquante ans et dont on ne saurait plus rien. Nous ne sommes pas les gardiens nostalgiques d’un esprit du Concile qui est partout sauf précisément dans les textes du Concile. Nous ne sommes pas les gardiens d’une espèce de vieille armée, vieillie sous le harnais, et qui veut à tout prix entretenir les souvenirs de sa jeunesse. Nous sommes des héritiers, nous avons hérité un patrimoine du Concile comme nous avons hérité un patrimoine de l’Église. Et l’acte conciliaire qui s’est ouvert il y a 50 ans a été un formidable travail de fond pour actualiser ce patrimoine de l’Église, pour le rendre plus accessible non seulement aux érudits, non seulement aux exégètes, non seulement aux théologiens, non seulement aux clercs, mais à tous les membres de l’Église. C’est cette diffusion du patrimoine de la tradition chrétienne telle que nous la recevons de l’Écriture et telle que nous l’interprétons dans l’Église qui devient le ferment et le dynamisme d’un renouveau missionnaire.
Si le Pape a voulu mettre en exergue pendant ces années-ci le thème de la Nouvelle Évangélisation, ce n’est pas simplement pour satisfaire à un effet de mode, mais c’est précisément pour nous inciter à revenir avec ferveur à la source initiale de la vie de notre Église, le Christ ressuscité vivant aujourd’hui, présent au monde par son Esprit, offert à la vie de ses disciples par les sacrements, réunissant réellement à travers les membres de l’Église une espérance, une annonce du rassemblement de l’humanité. C’est ce Christ qui est aujourd’hui au cœur de notre foi, et qui est celui qui nous rassemble pour faire fructifier le Concile.

Peut-être, certains parmi vous, n’ont-ils pas connu la période du Concile lui-même, ou peut-être l’ont-ils oubliée. Mais comment pourrions-nous oublier les transformations profondes qu’il a provoquées dans la capacité des chrétiens à attendre, à accueillir, à partager, et à annoncer la Parole de Dieu ? L’établissement d’un lectionnaire liturgique qui suit de façon continue la lecture des épîtres et des évangiles, avec des lectures de l’Ancien Testament, l’ouverture d’une réflexion profonde et structurée sur le rapport de l’Écriture à la Tradition, l’annonce d’une meilleure prise de conscience du dynamisme de récapitulation que le Christ opère dans sa Résurrection, tout cela ouvre nos yeux et nos esprits à une approche renouvelée du monde qui nous entoure, non pas comme le symbole de la perversion et de la damnation, mais comme le terrain où Dieu lui-même est venu prendre chair, pour éveiller aux cœurs des hommes l’image divine qu’il a déposée dans sa Création.

Comment oublier le basculement des mentalités qui a été entrainé par l’approche non seulement théologique, mais aussi pratique des relations avec les Eglises et les communautés chrétiennes ? Comme oublier le renouvellement de notre regard sur nos frères orthodoxes, sur nos frères protestants ? Comment ne pas nous réjouir qu’un jour comme aujourd’hui des représentants de ces Églises aient bien voulu se joindre à nous pour évoquer ce moment si important, non seulement pour notre Église, mais pour le chemin dont nous espérons qu’il nous conduit vers l’unité ? Comment oublier la rencontre de Paul VI et d’Athénagoras ? Comment oublier les liens qui se sont créés entre les Églises Luthérienne, Réformée, Catholique, à travers quantité de commissions de travail, et qui ont abouti à des textes communs, ou en tout cas à des textes signés ensemble avec la volonté de progresser vers l’unité ? Mais comment oublier surtout le changement de regard des uns sur les autres ? Comment oublier le virage spectaculaire que Nostra Aetate à fait prendre à nos relations avec le Judaïsme ? Comment oublier les démarches prophétiques de Jean-Paul II à la synagogue de Rome et au Mur des Lamentations ? Comment oublier nous aussi, nous qui avons reçu de l’olivier franc ce qui nous a constitués comme une greffe sur cet olivier ? Comment oublier que ce dynamisme de la charité transforme peu à peu notre expérience de l’Église ?

Je vous disais toute à l’heure que je vais participer à partir de la semaine prochaine à la session ordinaire du Synode des évêques, ce sera mon quatrième synode depuis que je suis archevêque de Paris : un sur la Parole de Dieu, un sur l’Afrique, un sur le Moyen-Orient, et un sur la Nouvelle Évangélisation. A chaque fois nous vivons, à quelque 300 participants, une sorte d’expérience concrète de la collégialité, nous nous écoutons les uns les autres, nous partageons nos expériences et nous faisons grandir, nous développons, du moins nous l’espérons, la communion entre toutes nos Églises et avec les Chrétiens qui se réclament du Christ.

Frères et sœurs, si le Pape Benoît XVI a voulu que l’anniversaire de l’ouverture du Concile fût marqué par une Année de la Foi, c’est précisément parce qu’à travers le mouvement inauguré par le Concile, c’est un renouvellement de la foi qui est appelé. C’est ce que nous essayons de vivre à travers les différentes communautés paroissiales de Paris en mettant en œuvre l’appel à la mission qui nous a été adressé par le Christ et pour lequel il nous envoie dans cette grande ville. C’est pourquoi, après les trois années de « Paroisses en mission » nous préparons une nouvelle étape d’une action missionnaire pour l’année 2014. Nous sommes un Corps vivant, nous sommes un Corps irrigué par la puissance de Dieu et par la lumière de sa Parole, nous ne sommes pas les sentinelles d’une défaite annoncée, nous sommes l’avant-garde d’une victoire en marche.

Frères et sœurs, que cette évocation de l’ouverture du Concile Vatican II que nous allons achever par une prière commune des vêpres, soit pour nous un moment pour raviver en nos cœurs la certitude que le Christ a confié à ses disciples une parole qui est une espérance pour le monde et qui est pour nous une consolation, une joie et une force dans les épreuves que nous rencontrons. Soyez dans la confiance « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20).

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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