Intervention du cardinal André Vingt-Trois lors de l’inauguration du Mémorial Aron Jean-Marie Lustiger

Abbaye bénédictine d’Abu Gosh (Israël) – Mercredi 23 octobre 2013

Dans le cadre du voyage “Aux sources de la promesse”.

 Voir l’album-photos de l’inauguration, les discours des autres personnalités et les homélies du cardinal pendant le voyage organisé autour de cette manifestation.

Intervention du cardinal André Vingt-Trois

Un mémorial dédié au Cardinal Lustiger à l’origine duquel nous trouvons Richard Prasquier. Un mémorial installé dans un monastère bénédictin, propriété de la France, installé dans une ville arabe musulmane en Israël non loin de Jérusalem. Rien qu’à cet énoncé, on ne peut que rendre grâce au Seigneur pour la réussite de cette initiative en un lieu si particulier.

Je veux tout d’abord exprimer mes remerciements et aussi mon émotion face à l’énergie que vous avez développée, cher Richard Prasquier, ainsi que tous ceux qui ont contribué, juifs et chrétiens, à l’élaboration de ce beau mémorial ! Il en a fallu de l’audace et de la témérité ! Vous n’en avez pas manqué vous qui étiez un ami intime du cardinal Lustiger, vous qui n’avez jamais oublié l’importance des lieux dans vos relations avec l’Église, notamment la Pologne où vous êtes né. Je veux aussi remercier les autorités publiques françaises, en particulier M. le Ministre des Affaires Etrangères qui a permis et soutenu la construction de ce mémorial.

Je vous propose maintenant un temps de réflexion et de méditation.

Ce lieu est d’abord un lieu de prière vivante à l’école de Saint Benoît dans lequel le cardinal Lustiger aimait à venir se ressourcer. Il vint souvent ici, tout particulièrement lors de sa dernière visite en Terre Sainte. Permettez-moi d’associer à notre rencontre la mémoire du Père Gourion, ancien abbé de ce monastère, qui fut un ami du cardinal Lustiger et qui accompagna en ses débuts la communauté catholique de langue hébréophone.

Familier et proche de longue date des chrétiens du Moyen-Orient et notamment des arabes chrétiens, jamais le cardinal Lustiger ne se laissa enfermer dans les crises politiques des conflits locaux si cruels et meurtriers qu’ils aient été.
Je voudrais souligner combien le cardinal Lustiger nourrissait une compréhension biblique, spirituelle, vivante de ses relations avec le peuple juif.
Fidèle à la tradition catholique, il sut établir avec les juifs des relations d’une audace, oserais-je dire, évangélique.

Qui oubliera son commentaire du texte du Bon Samaritain donné durant le rassemblement de l’American Jewish Committy à Washington ?
Il proposa deux commentaires de ce passage d’évangile en se demandant qui était le Bon Samaritain. Était-il l’Église qui accueillait le juif blessé ou bien le juif qui accueillait l’Église blessée ? Les deux cents représentants présents à cette convention ont écouté avec surprise un tel commentaire de l’Évangile.
C’est ainsi qu’habituellement le cardinal Lustiger portait un regard profondément spirituel, mêlant prière, contemplation du dessein de Dieu et action au service du dessein de Dieu.
On pourrait se dire que finalement, né juif, il était demeuré fidèle à ses racines. Cela est vrai pour une part.

Cependant réduire sa relation au peuple juif à ses origines, c’est s’interdire de comprendre le mystère qui l’habitait, mais aussi qu’il habitait. Ce serait oublier que sa découverte du judaïsme était indissociable de la découverte de l’enracinement juif de l’Eglise Catholique.

Cardinal de l’Église Catholique, il vivait pleinement cette compréhension du peuple juif qui comme disait le pape Jean Paul II à Varsovie, avait reçu la mission de sanctifier le nom de Dieu sur terre.

Il vivait ainsi avec une douleur infinie la montée des actes de violence contre les juifs en France. Qui peut oublier ses réactions publiques après l’attentat de la rue Copernic ? Qui peut oublier sa participation résolue à l’immense manifestation populaire suite à la mort d’Ylan Alimi ? Beaucoup lui demandèrent alors : « pourquoi êtes-vous en tête d’une telle manifestation ? » ; il répondit : « un pas de trop dans la barbarie ». Mais, viscéralement, il ne percevait pas seulement l’antisémitisme comme de la haine envers un peuple particulier mais plutôt comme le disaient Bonhoeffer et Jean-Paul II : « un péché contre Dieu et contre l’humanité ». Bien avant la guerre, séjournant en Allemagne, n’avait-il pas perçu dès sa jeunesse la gravité de la situation et la diffusion d’une culture et d’une idéologie antisémites ?
Quelle ne fut pas son émotion lorsqu’il inaugura avec les juifs de France le mémorial du Bunker I, cette ancienne chambre à gaz où nombre de juifs français ont été exterminés, là où sa mère Gisèle fut elle-même assassinée !

Son engagement radical contre l’antisémitisme et contre le racisme s’exprimait aussi lorsqu’il a soutenu la marche des beurs. C’était alors l’acte éclairé et grave d’un homme conscient, priant et responsable.

Certains furent surpris, - on pouvait l’être, étant donné son chemin unique dans l’Église catholique -, des relations qu’il déployait avec des maîtres de l’orthodoxie juive.

Qui peut oublier la visite de Meshi Zahav, maître de l’orthodoxie, à l’archevêché de Paris, le fondateur de Zaka venu échanger avec lui sur le commandement d’enterrer les morts ?

Plus tard, le cardinal Lustiger reçut de Zaka dans une salle remplie de jeunes juifs orthodoxes, un chofar. Il prit alors la parole et dit seulement ces mots : « je vous aime beaucoup ! »

Qui peut oublier ses premiers pas à New-York dans la Yeshivah University, dans la Touroh university, mais aussi chez les Bobovar, les Satmar et la Yeshivah des étudiants de Colombia University ?
Certains journaux titraient alors : « chapeaux noirs et calottes rouges ».
Et de fait, cela était unique. Il ouvrait alors, avec d’autres évêques, un chemin au-delà du possible et percevait ce chemin comme le fruit d’un temps nouveau donné par le Seigneur, celui d’une fraternité retrouvée, non seulement par de cordiales relations mais aussi enracinée dans la recherche commune, l’étude ensemble de la Torah.
On se souvient tous du premier thème de ces rencontres : « Quel est le plus grand des commandements pour les religieux aujourd’hui ? »
Alors, oui, on peut considérer que le cardinal Lustiger avait accepté délibérément de devenir une tête de pont du dialogue avec l’orthodoxie juive. Je veux rendre grâce aussi pour tous ceux et celles qui ont fait montre du même courage, notamment les maîtres de la Yeshivah university.

Je ne peux donc que me réjouir qu’ici en Israël, en ville arabe, dans un lieu de prière catholique, soit installé ce mémorial. N’est-ce pas aussi le lieu où l’Arche sainte fut installée avant de rejoindre Jérusalem ?

Ce mémorial gardera nos yeux fixés, non sur le passé mais sur l’avenir, ou, comme aimait à le dire le Père Bernard Dupuy : « à la frise de nos espérances communes ».
Dans les dernières années de sa vie, le cardinal Lustiger répétait volontiers : « je ne travaille pas pour le mois prochain mais pour vingt ans, trente ans ».

Sans cesse, il portait dans sa prière l’espérance de la paix, une paix juste et durable que nous espérons tous, la paix pour cette terre, la paix à Jérusalem !

Nous nous unissons volontiers avec ferveur et confiance à sa prière : « que la paix vienne sur vous, qu’elle vienne sur vos familles, qu’elle vienne sur Jérusalem ».

+ André cardinal Vingt-Trois
Archevêque de Paris

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