Intervention du cardinal André Vingt-Trois lors de la Rencontre diocésaine des fidèles, diacres, prêtres, qui participent à la préparation au mariage

Notre-Dame de Grâce de Passy (16e) – Samedi 30 septembre 2017

Je suis heureux de vous saluer et vous partager quelques réflexions qui pourront peut-être vous aider, - du moins je l’espère -, dans la suite de ce que j’avais vu avec vous l’an dernier [1].

1. Je voudrais d’abord vous dire que votre mission dans la préparation au mariage vous place à un point d’observation d’un mystère.

Il y a une cinquantaine d’années, on expliquait qu’il n’y avait plus de jeunes dans l’Église, à ce moment-là les jeunes, c’était vous, donc puisque vous êtes là ce matin, c’est que vous y étiez ! On expliquait que les gens ne se marieraient plus, et puis voilà que vous êtes investis dans la préparation au mariage ! Je pense donc que les pronostics ou les prophéties ont été déjoués par quelque chose qui nous dépasse. Ce qui nous dépasse, c’est qu’un homme et une femme dans le désordre institutionnel et affectif de notre société peuvent encore avoir l’idée de s’unir l’un avec l’autre d’une façon publique, - ce qui n’est pas évident -, et de s’unir pour longtemps, si possible pour toujours, - ce qui n’est pas évident non plus. Qu’est-ce qui fait que ces jeunes qui n’ont pas été élevés dans l’objectif de la reproduction sociale pour reconstituer des cellules familiales à l’image de celles de leurs grands-parents, transgressent les idées communes et finissent par prendre une décision qui est une décision originale dans leur environnement ? Mystère !

Vous allez me dire évidemment que c’est parce qu’ils s’aiment beaucoup plus que les autres ne sont capables de s’aimer, mais vous savez bien que ce n’est pas vrai, les autres aussi sont capables de s’aimer… Et donc, il y a quand même quelque chose qui nous échappe. Qu’est-ce qui fait que ces jeunes, entre 22 et 35 ans, dont on dit qu’ils n’ont pas été catéchisés, qu’ils n’ont pas une grande expérience de l’Église, qui ont même parfois une expérience très lointaine de l’Église finissent par aboutir devant notre porte et nous demander quelque chose ? Mystère !

Est-ce qu’il y aurait quelque part une force, une aspiration, une attente, qui les conduit à faire ce qui n’est pas prévu ? Et il se trouve que vous, comme nous, vous êtes précisément présents, c’est devant vous que se manifestent les signes de ce mystère. Et donc, il me semble que la première attitude intérieure qui doit nous habiter, c’est de reconnaître que nous sommes devant une réalité qui nous dépasse, que nous ne maîtrisons pas, que nous ne pouvons classer selon nos critères habituels, et qui est le fruit de choix et de liberté, de liberté personnelle, de sorte que ces personnes aboutissent devant vous. Et nous devons d’abord regarder et écouter ces choix de liberté. Non pas comme le produit de nos œuvres, comme si nous avions mieux travaillé que nos prédécesseurs, comme si nous avions réussi à surmonter des éléments contraires mais comme les bénéficiaires d’une semence mystérieuse qui a produit son fruit dans le cœur de cet homme ou de cette femme, et qui les a conduits là où ils sont et là où ils viennent. C’est la première chose que je voulais vous dire : la préparation au mariage n’est pas d’abord une question de procédure technique, c’est d’abord une question de regard de foi sur une réalité que nous ne possédons pas.

2. La deuxième chose que je voulais vous dire, et qui en découle, c’est que très légitimement, en tout cas de façon très compréhensible, vous pouvez être préoccupés à certains moments de ce qu’il faut dire ou de ce qu’il faut faire, comme si c’était ce que vous faites ou ce que vous dites qui va déterminer l’avenir. Si cela vous encourage à travailler, tant mieux ! Mais ne croyez pas que c’est cela qui est décisif. Ce qui est décisif, c’est ce que vont dire et ce que vont faire les candidats au mariage que vous recevez. C’est-à-dire que le travail, le chemin à parcourir est entre leurs mains et non pas dans les nôtres. Donc, la première question n’est pas : qu’est-ce que je vais leur dire ? Qu’est-ce que je vais faire avec eux ? Mais c’est : comment vais-je les aider à faire quelque chose ou à dire quelque chose ? En somme, nous recevons un public hétéroclite du point de vue de la foi, parce qu’ils en sont, on peut dire, à tous les degrés possibles de la foi, depuis une foi convaincue et motivée, ce qui arrive parfois, et pratiquée, ce qui arrive aussi quelquefois jusqu’à une foi très ténue, à peine perceptible, et dans certains cas, on peut se demander si on n’est pas devant une sorte d’espérance ou de demande magique adressée à l’Église. C’est hétéroclite, on a tout cela. C’est hétéroclite du point de vue humain, de l’expérience, de l’héritage d’une histoire, d’un itinéraire affectif et personnel qui fait que vous avez devant vous des gens plus ou moins préparés, plus ou moins prêts, plus ou moins décidés, plus ou moins capables de s’engager l’un envers l’autre, pour ne pas parler de la détermination de la foi, mais plus ou moins capables de prendre un engagement mutuel. Et devant ce public hétéroclite, il serait illusoire de notre part de penser que nous pouvons disposer d’une méthode passe-partout qui nous permettrait de les gérer ensemble, comme si de rien n’était. Plus notre public est hétéroclite, plus notre capacité d’intervention doit être diversifiée et personnalisée de telle façon qu’on ne plaque pas sur des situations qui n’ont pas beaucoup de points communs, un système général qui supposerait des points communs.

2a. Qu’est-ce que nous pouvons espérer de faire ?

Nous pouvons espérer aider les personnes qui se présentent à faire un pas de plus que ceux qu’ils ont déjà franchis. Faire un pas de plus cela suppose de savoir où on va et de savoir de quels moyens on dispose. Savoir où on va : vers quoi voulons-nous aller ? Non pas nous, mais eux ! Vers quoi veulent-ils aller ? Et vous savez bien, pour écouter ce qu’ils disent, et si vous n’avez pas encore entendu n’hésitez pas à recommencer à écouter : qu’est-ce qu’ils veulent ? Certainement des bonnes choses ! Ils veulent mettre en place une réalité familiale, sans doute avec des enfants, et ils veulent que cette réalité familiale mette tout ce qui est possible de moyens de réussite. C’est pour cela qu’ils sont venus. Ils veulent qu’on les aide à réussir, à réussir leur mariage, à réussir leur famille, à réussir l’éducation de leurs enfants.

Nous ne savons pas ce qui va se passer. Notre préoccupation, c’est qu’ils soient suffisamment ouverts et curieux sur la nature de ce qu’ils vivent pour être entraînés à faire un pas de plus vers le Christ. Ce pas de plus, il ne peut pas être le même pour tous, il ne peut pas être défini pour tous, mais nous pouvons lui donner un objectif qui est celui que les candidats au mariage eux-mêmes portent. Nous aussi, nous souhaitons qu’ils réussissent leur vie de famille, nous souhaitons qu’ils réussissent leur vie de couple, nous souhaitons qu’ils soient le plus heureux, et donc, c’est sur ce fond d’objectif commun que nous pouvons leur proposer, non pas de faire ce que nous souhaitons, mais de se mettre eux-mêmes au travail, car s’ils ne travaillent pas ensemble, ils n’avanceront pas, ils avanceront suffisamment pour passer le cap de la célébration du mariage, mais la préparation au mariage n’aura pas mis en route une dynamique propre entre eux de façon qu’elle se poursuive au-delà de la célébration du mariage. Et c’est sur cette dynamique que nous pouvons travailler en les aidant à mettre en route cette dynamique, c’est-à-dire en surmontant leur pudeur, leur ignorance, leur peur et en arrivant à se dire l’un à l’autre des choses qu’ils ne se sont jamais dites, des choses qui étaient cachées, dont chacun est porteur à sa manière, que chacun interprète en fonction de ce qu’a été sa vie, de ce qu’il est, et dont chacun est responsable pour les autres.

2b. Comment pouvons-nous favoriser cette communion mutuelle qui ne peut pas se réduire à être une communion affective au risque de s’écrouler devant d’autres propositions affectives ?

On ne crée pas un engagement qui unit pour la vie en s’appuyant uniquement sur la force affective du sentiment. La force affective du sentiment doit être relayée par un engagement de l’esprit, de l’intelligence, de la parole, de la communication mutuelle qui donne d’autres assises à l’engagement affectif, et qui lui donne donc son salut et qu’il n’a pas en lui-même.

Cela veut dire que nous avons là une mission d’éveil, d’explorateur, de découvreur pour aider à faire éclore une dimension plus radicale de la relation entre les époux. Nous, - quand je dis « nous » je veux dire : nous qui sommes croyants et qui essayons de vivre notre vie chrétienne comme nous le pouvons -, nous avons une certaine connaissance du but, de l’objectif de la marche humaine, nous savons que nous allons vers le Christ. Mais quand nous disons que nous savons que nous allons vers le Christ, nous savons aussi que nous ne savons pas très bien qui est le Christ et que nous ne savons pas très bien comment on y va. Ce qui n’empêche pas que nous soyons convaincus que nous allons vers le Christ et que nous prenions le chemin pour aller vers lui. Cette fragilité, cette incertitude de la foi est constitutive de la vie chrétienne. Il ne faudrait pas que des candidats au mariage, un peu flottants, un peu hésitants, un peu circonspects, s’imaginent que celles et ceux qui les reçoivent sont ceux qui ont abouti, ceux qui ont réussi, ceux qui ne se posent plus de question, ceux qui ont fini le chemin. Il faut que notre propre fragilité, notre propre recherche de la communion avec le Christ devienne une ouverture pour ceux qui sont appelés à cheminer vers le Christ. Ils n’ont pas besoin de rencontrer des chrétiens parfaits, ils ont besoin de rencontrer des chrétiens confiants dans le chemin qu’ils ont emprunté et qu’ils essayent de suivre. Il faut qu’ils rencontrent des hommes et des femmes qui progressent dans la vie chrétienne par des changements successifs de leur manière de faire.

2c. Quels sont les moyens dont ils disposent pour faire ce pas en avant que nous souhaitons leur voir faire ?

Cela dépend évidemment de quelles ressources nous pensons disposer. Nous ne disposons que deux ressources : une qui est immédiatement disponible, c’est le témoignage vécu non seulement par vous mais par les familles qui vous entourent et qui peuvent aider à percevoir qu’il y a plus de fruits et plus de joie à vivre une vie de famille qu’à se déchirer. C’est un témoignage qui peut être discret, simplement par la contagion des relations habituelles, c’est un témoignage qui peut être mis en valeur à travers différentes situations, comme des rencontres des parents à l’école ou comme des rencontres de parents au catéchisme, ou comme des anniversaires familiaux. C’est très important de célébrer des anniversaires de mariage dans une famille parce que cela fait réfléchir. Quand on voit des grands-parents qui sont mariés depuis 50 ans, qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que cela représente comme choix de vie ? Qu’est-ce que cela représente comme capacité d’adaptation et de correction mutuelle ?

Et puis il y a une autre ressource que nous utilisons de manière plus délicate, pour ne pas dire plus, c’est la parole de Dieu. Je vous disais au début que nous étions devant un mystère. Le mystère, ce n’est pas que des jeunes s’adressent à l’Église, c’est que le Christ soit encore suffisamment quelqu’un pour eux pour les faire bouger. Mais le Christ, c’est qui ? Est-ce que nous avons suffisamment confiance dans le fait que la parole du Christ lui-même peut toucher le cœur de l’homme au-delà de nos explications ? Ou bien est-ce que nous sommes tellement dubitatifs devant les jeunes, que nous pensons qu’ils ne sont pas disposés, qu’ils ne sont pas prêts, qu’ils ne peuvent pas entendre cette parole. Il y a dans la tradition biblique de la parole de Dieu une sorte d’éruption qui dépasse les prévisions. Une parole de l’Écriture peut toucher le cœur d’un homme et d’une femme au-delà de ce que nous imaginons, mais encore faut-il qu’ils soient mis en présence de cette parole et pas simplement par le biais du choix des lectures pour la célébration de leur mariage, mais comme un élément personnel dans le travail qu’ils ont à faire ! Comment sont-ils mis en présence de cette parole de Dieu, qui nous paraît à nous plus importante que tout ce que nous pouvons dire ? C’est une question qui dépasse les méthodes d’approche et la réflexion sur notre travail, mais qui est un acte de foi. Je pense que si je mets un homme ou une femme en présence de la parole de Dieu, il peut se passer des choses que je n’imagine pas. Elles peuvent se passer immédiatement, comme elles peuvent se passer dix ans après, mais c’est cette parole qui va rester, qui va être le point d’accrochage parce que la parole n’est pas une valeur en soi, c’est une valeur à la mesure de celui qui la reçoit, et celui qui la reçoit, je ne peux pas savoir dans quel état il est intérieurement.

Dans les Actes des Apôtres, quand Pierre prononce son grand discours de la Pentecôte, il nous est dit que les auditeurs eurent le cœur transpercé et demandaient « que nous faut-il donc faire ? » Eh bien, ce transpercement du cœur, nous ne pouvons pas le présumer, le décider ou le croire impossible au point de ne pas donner la parole.

Je pense donc qu’il faut revoir comment nos entretiens ne se limitent pas à une introspection de leur vie affective mais vont jusqu’à cette confrontation de la réalité qu’ils vivent à la parole de Dieu.

3. La dernière chose que je voulais vous dire, toujours dans le sens de ce que je disais au début sur la confrontation à un mystère : la célébration du mariage est un mystère, au sens propre puisque c’est un sacrement, c’est-à-dire quelque chose qui se voit, qui s’entend, qui se touche et qui fait arriver quelque chose qu’on ne voit pas. C’est cela un mystère. Des choses qui révèlent et qui cachent en même temps quelque chose qu’on ne voit pas. Et notre action pastorale pour préparer cette célébration du mariage est une contribution à ce mystère. Nous disons des choses, nous écoutons des choses, nous proposons des choses qui se voient, mais qui touchent à des choses qui ne se voient pas, que nous ne voyons pas et que les intéressés eux-mêmes ne voient pas forcement. Je dis cela à la fois pour nous rendre modestes, et ne pas donner l’impression qu’on peut organiser la vie de la grâce selon nos critères, mais aussi pour nous donner confiance parce que nous savons qu’il y a quelqu’un qui agit dans ce que nous faisons, dans ce que nous disons, dans ce qu’ils font et dans ce qu’ils disent, il y a quelqu’un qui agit que nous ne maîtrisons pas, que nous ne pouvons pas maîtriser. Et c’est une mission exaltante de pouvoir contribuer autant que nous pouvons à cette action mystérieuse qui transforme le cœur de l’homme et qui fait qu’aujourd’hui en 2017, des hommes et des femmes ne se contentent pas de s’aimer de façon épisodique, ne se contentent pas de vivoter ensemble mais souhaitent s’engager sérieusement pour toujours et font appel à l’Église pour être témoin de cet engagement.

Je suis donc heureux de vous envoyer en mission dans cette collaboration avec le mystère de Dieu à l’œuvre dans l’union d’un homme et d’une femme, dans l’accueil des enfants, dans leur éducation, dans la construction d’une cellule familiale, avec ses moments de joie exaltants et ces moments d’épreuve parfois douloureux, mais où nous savons que celui qui agit est toujours disponible pour répondre à notre prière, à notre bonne volonté et à notre action.

Je vous souhaite donc de vivre cette mission avec confiance et sérénité.

André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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