Interventions du cardinal André Vingt-Trois lors de la rencontre avec les conseils pastoraux du 21 septembre 2013

Cathédrale Notre-Dame de Paris – Samedi 21 septembre 2013

Samedi 21 septembre, le cardinal Vingt-Trois a réuni les prêtres et les membres des conseils pastoraux de Paris pour leur présenter la dynamique pastorale de l’Année de l’appel dans la perspective de la mission de l’Avent 2014.

 Retrouvez des informations sur l’Année de l’appel et la préparation de l’Avent 2014.

« Allez ! Annoncez ! 2014 »


Ouverture

Depuis l’automne 2009, j’ai pris l’habitude de vous inviter à une rencontre diocésaine pour lancer l’année pastorale et je pense que cette habitude a pu aider bien des conseils pastoraux dans le développement de leur travail. Je suis donc très heureux de vous accueillir aujourd’hui dans cette cathédrale qui est d’une certaine façon, et aujourd’hui en réalité, l’église du diocèse.

I. Notre projet diocésain

Dans le programme que je vous ai proposé l’an dernier il y avait un certain nombre d’objectifs qui étaient destinés à vous servir de repères pour l’action à mener. Je les rappelle brièvement :

« Au cours de l’année pastorale 2012-2013 qui commence, je vous invite à investir vos efforts dans quatre directions :
• Préparation et réalisation de la visite pastorale des conseils pastoraux.
• Journées de formation pour les membres des conseils pastoraux par vicariat.
• Mise en œuvre des propositions pour l’année de la foi :

  • Valoriser la profession de foi dans la célébration du dimanche pendant le carême et le temps pascal.
  • Diffuser le livret diocésain « La Porte de la Foi » pour encourager des groupes de chrétiens à s’en servir.
  • Profiter du Jubilé de la cathédrale pour y organiser des pèlerinages paroissiaux et inviter au pèlerinage diocésain à Rome. Participer à Diaconia 2013.

• Encourager et soutenir les jeunes qui pourront participer aux Journées Mondiales de la Jeunesse à Rio de Janeiro. »

Je sais qu’un travail considérable a été fait et se continue pour vivre au mieux l’année de la foi. La plupart des paroisses du diocèse ont profité du Jubilé de la cathédrale pour y organiser un pèlerinage et exprimer ainsi leur attachement à l’Église dont ils professent la foi. Je sais aussi que beaucoup d’entre vous ont participé avec bonheur et profit aux journées de formation proposées dans chaque vicariat.

Sans doute la période d’été vous a-t-elle permis, comme à moi, de recueillir des témoignages par le regard que d’autres portent sur notre église parisienne et de mieux apprécier de quelles grâces nous bénéficions. Tout ce que nous avons reçu et que nous recevons encore doit fructifier pour la vie de nos contemporains.

II. Les visites pastorales

Maintenant, je voudrais revenir quelques instants sur les visites pastorales qui ont été faites cette année ou qui vont se terminer dans les semaines à venir. Je vous rappelle que leur objectif principal était de permettre aux vicaires généraux de réfléchir avec vous sur votre fonctionnement de conseil pastoral et de préciser avec vous les modalités de votre travail et de votre discernement.

Au terme de l’année écoulée, les vicaires généraux ont préparé à mon intention une synthèse de leurs rencontres avec vous. Et il m’a paru important que vous puissiez tous profiter de ce compte-rendu général. Il vous a donc été adressé. Nous savons bien qu’il ne correspond exactement à aucune situation particulière, mais que de toutes les situations réunies se dégagent des lignes forces qui doivent éclairer notre marche en avant.

Je me contenterai de relever quelques points qui m’ont paru spécialement encourageants et prometteurs :
 La grande générosité des personnes qui participent au conseil, leur implication personnelle dans la préparation des questions prévues dans des ordres du jour préparés, mais surtout leur implication personnelle par leur prière pour leur communauté, comme leur participation à un partage de la Parole de Dieu quand il est proposé.
 Le souci de susciter et développer une communication du travail du conseil à l’ensemble des paroissiens en nourrissant des relations suivies autour de l’Eucharistie dominicale comme en étant attentifs aux questions et aux suggestions de chacun. Veiller à susciter chez le plus grand nombre le sens de la mission de l’Église.
 Le désir de prendre les moyens pour développer la capacité de discernement du conseil pastoral. Comment progresse-t-il dans la capacité à exprimer des objectifs qui orienteront la vie de la communauté pour un an ou plus ? Comment perçoit-il et travaille-t-il sur les enjeux spirituels et pratiques des projets présentés ? etc.
 La recherche patiente et confiante des ressources nécessaires pour la vie de la communauté (ressources économiques, mais surtout ressources humaines). Comment le conseil devient-il un lieu de prospection des forces apostoliques et missionnaires de la paroisse ? J’y reviendrai dans un instant.

III. L’année 2013-2014

J’en viens maintenant à notre programme de cette année. Il nous reste à clôturer l’année de la foi et à lancer le travail de l’année qui vient. Nous le ferons par un rassemblement diocésain le 30 novembre ici même. Je vous rappelle ce que je vous avais annoncé l’an dernier : « Ce sera une année de l’appel. Je voudrais que chaque conseil pastoral mette en œuvre une pratique de l’appel pour le service de la mission. Qui peut-on appeler pour réaliser la mission de l’Avent 2014 ? Qui peut-on appeler pour assurer les services courants de la communauté paroissiale ? Comment appelons-nous ? Comment vivons-nous cette mission d’appeler dans nos relations, nos familles, etc. Évidemment, parallèlement à cette campagne d’appel, nous aurons à cœur de proposer des formations soit locales, soit diocésaines. »

Vous vous souvenez sans doute du but que je vous avais fixé : mettre en pratique une mission dans tout le diocèse pour l’Avent 2014. Nous reviendrons tout à l’heure sur les modalités de cette mission. Pour l’instant notre objectif de cette année est de poursuivre la mobilisation des fidèles pour la mission de l’Église. Nous mettre paisiblement en recherche des personnes que nous pouvons appeler pour participer à cette mission.

Nous avons une réelle habitude de chercher des personnes pour des tâches à assumer pour le service de la communauté : catéchistes, membres d’équipes de solidarité, etc. Nous sommes moins entraînés à détecter celles et ceux qui sont capables, pendant un temps limité et défini de s’engager dans une relation de témoins avec leur entourage : famille, voisinage, milieu de travail, cercles de loisirs et aussi bien des inconnus. C’est ce que je vous demande pour l’Avent 2014 : nous appuyer sur le fait que, pour beaucoup de nos contemporains, en France, Noël a encore une certaine signification, même si elle nous paraît souvent éloignée du sens chrétien de la foi. Je voudrais que chacune des paroisses de Paris aille au-devant des personnes de leur quartier pour leur annoncer la Bonne Nouvelle dont nous sommes les bénéficiaires. Mais pour entrer dans une telle démarche, il faut s’y préparer et il nous faut déjà penser à ce que nous pourrons faire, à qui pourra le faire, et comment les préparer. Ce sera cette année de l’appel que je vous invite à vivre.

J’ai parlé quelquefois d’une culture d’appel. Je voudrais m’en expliquer brièvement. La culture de l’appel n’est pas simplement un effet de mode ou de nécessité, mais cela fait intrinsèquement partie de la tradition judéo-chrétienne, comme l’acte initial de l’alliance. Tout le développement qui s’est enclenché d’après le Livre de la Genèse, après l’appel d’Abraham, repose principalement sur cet appel initial. D’ailleurs, on pourrait approfondir théologiquement comment le récit de la création lui-même induit une perspective d’appel.

En tout cas, on peut dire qu’historiquement, dans le développement de l’élection du Peuple saint et de l’approfondissement de la révélation du Seigneur, l’appel est un élément constitutif. C’est à travers l’appel de Dieu que se construit le choix particulier de ce peuple, et à l’intérieur de ce peuple, le choix d’un certain nombre de personnes pour des missions particulières, que ce soit Abraham comme Père fondateur, ou ultérieurement Moïse et les prophètes, et d’autres personnes encore qui sont évoquées dans l’Écriture, jusqu’à Marie incluse.

Je rappelle cela car, avec toutes les nuances qu’il faut ajouter en fonction de l’histoire particulière de chacune de nos vies, en fait nous sommes plus marqués par une culture de transmission. Souvent éduqués dans la foi chrétienne, nous sommes plus sensibles à la continuité de la transmission qu’à l’irruption novatrice d’un appel de Dieu qui conduit à changer de vie. Pour la plupart, l’engagement dans la vie chrétienne relève d’une décision initiale qui n’était pas la réponse à un appel personnel. C’est dans le développement et la maturation de cette vie chrétienne reçue que nous avons pu entendre et recevoir un appel du Seigneur. Si bien que nous avons, inconsciemment, des réflexes de gens qui n’ont pas toujours une vision forte des commencements. Le renouveau et le développement du catéchuménat des adultes et des jeunes, nous font redécouvrir partiellement cette dimension de l’appel qui change la vie.

Mais si chacun de nous réfléchit bien à son histoire, il peut retrouver des moments décisifs dans lesquels il a perçu un appel : appel de Dieu dans l’intime de son cœur ou appel de Dieu médiatisé par l’Église à travers des hommes et des femmes qui font appel à nous. Ce sont ces appels qui nous aident à surmonter nos hésitations, à aller au-delà de nos faiblesses, à nous laisser porter par un dynamisme généreux auquel il nous arrive de résister, mais auquel aussi nous pouvons céder pour notre plus grande joie.

Appelés à vivre de la foi, nous sommes aussi consacrés pour être porteurs de l’appel que Dieu adresse au cœur de chacune de ses créatures. Et cet appel passe par le partage des richesses que nous avons reçues, par le témoignage de notre vie. Je vous invite maintenant à prolonger cette réflexion sur l’appel.


Conclusion

En conclusion de notre rencontre de ce matin, je voudrais vous proposer quelques réflexions sur la mission de l’Avent 2014. Pour introduire ces réflexions, reportons-nous à quelques passages du Nouveau Testament :

« Jésus se manifesta aux Onze, alors qu’ils étaient à table, et il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur cœur, parce qu’ils n’avaient pas cru ceux qui l’avaient vu ressuscité. Et il leur dit : ‘Allez par le monde entier, proclamez l’Évangile à toutes les créatures. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné.’…Donc, le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel, et s’assit à la droite de Dieu. Quant à eux, ils partirent prêcher partout : le Seigneur agissait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l’accompagnaient. » (Marc 16, 14-16…19-20).

« Après avoir vu, ils (les bergers) firent connaître ce qui leur avait été dit au sujet de cet enfant. Et tous ceux qui les entendirent furent étonnés de ce que leur disaient les bergers. Quant à Marie, elle retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. Puis les bergers s’en retournèrent, chantant la gloire et les louanges de Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, en accord avec ce qui leur avait été annoncé. » (Luc, 2,17-20).

« Le disciple n’est pas au-dessus de son maître, ni le serviteur au-dessus de son seigneur. Au disciple, il suffit d’être comme son maître, et au serviteur comme son seigneur…Ne les craignez donc pas ! Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est secret qui ne sera connu. Ce que je vous dis dans l’ombre, dites-le au grand jour ; ce que vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur les terrasses. Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme ; craignez bien plutôt ceux qui peuvent faire périr âme et corps dans la géhenne. » (Mt. 10, 24-28).

« Au lieu d’être seulement une Église qui accueille et qui reçoit en tenant les portes ouvertes, efforçons-nous d’être une Église qui trouve de nouvelles routes, qui est capable de sortir d’elle-même et d’aller vers celui qui ne la fréquente pas, qui s’en est allé ou qui est indifférent. Parfois celui qui s’en est allé l’a fait pour des raisons qui, bien comprises et évaluées, peuvent le conduire à revenir. Mais il y faut de l’audace, du courage. » (Interview du Pape François aux revues culturelles jésuites août 2013).

Le sens de la mission commence quand nous mesurons quelle chance est la nôtre, parce que, sans qu’il y ait beaucoup d’explications raisonnables, ou de justifications, il se trouve que, sans aucun mérite de notre part, nous avons été choisis pour faire partie des disciples du Christ. Nous avons été appelés, accueillis par le Christ dans son Église pour devenir membres de cette Église, et pour entrer dans une relation particulière avec lui. Lorsque nous regardons autour de nous, les gens qui nous entourent, qui constituent le tissu de nos relations quotidiennes, nous sommes mieux à même de comprendre quelle chance est la nôtre, quand nous voyons ceux qui sont sans foi, non pas parce qu’ils refuseraient nécessairement la foi, mais tout simplement parce que leur chemin ne s’est pas trouvé croiser celui de l’annonce de la Bonne Nouvelle.

C’est donc un premier mouvement de remerciement, d’action de grâce, auquel je vous invite, pour faire mémoire des moyens par lesquels la Bonne nouvelle est arrivée jusqu’à vous, des personnes qui en ont été les porteurs, de vos familles, de votre entourage, bref des gens qui ont été pour vous des signes, les signes que le Christ, aujourd’hui, continue à parler aux hommes. Et cette Bonne nouvelle que vous avez reçue et à laquelle vous avez répondu en l’accueillant, vous avez pu mesurer qu’elle était suffisamment forte pour transformer votre vie, c’est-à-dire pour vous rendre capables de découvrir un chemin de bonheur à travers les événements de l’existence.

Deuxièmement c’est un moment de joie, un moment où nous prenons conscience que nous sommes dépositaires d’une richesse extraordinaire. Être chrétien, c’est connaître le Christ, vivre en communion avec lui, recevoir sa parole, l’accueillir dans notre cœur, la méditer, en faire notre nourriture et la mettre en pratique, vivre de ses sacrements, tout cet ensemble de caractéristiques constitue une richesse extraordinaire. Nous sommes bénis de Dieu, nous avons reçu une faveur particulière non pas simplement la faveur de vivre, la faveur d’éprouver des bons sentiments, mais de connaître Jésus, celui qui est le cœur et le centre de tout renouvellement de ce monde. Cette action de grâce, cette reconnaissance et cette joie que nous pouvons éprouver en prenant conscience de la richesse reçue, nous devons essayer de mieux y réfléchir. Qu’est-ce qui provoque notre joie ? Qu’est-ce qui nous établit dans la joie ? Ce n’est pas que les difficultés auraient disparues, ce n’est pas que nous aurions une vie plus facile que les autres, ce n’est pas que nous serions préservés des problèmes de la vie que rencontre tout le monde, ce qui provoque notre joie, ce qui nous établit dans la joie, c’est la certitude qu’à travers tous les événements de cette vie, heureux ou malheureux, nous ne sommes, et nous ne serons jamais seuls.

Celui qui est devenu disciple du Christ, celui que Jésus a appelé à devenir son ami, est entré dans une communion avec lui que rien ne peut détruire. Bien sûr, nous, nous pouvons nous éloigner de lui, nous pouvons nous détourner de lui, mais, lui, jamais il ne se détourne de nous, jamais il ne nous abandonne et c’est cette certitude de la fidélité de Dieu, de la permanence de sa présence, de la force de son action qui nous rend capables d’affronter les difficultés de l’existence non pas comme des gens désespérés, des gens qui n’ont pas d’espérance, mais comme des gens qui sont confiants et qui savent que Dieu n’abandonne jamais ceux qu’il a choisis pour être ses amis. Cette joie, nourrie de la certitude de la fidélité de Dieu, doit, normalement, transparaître à travers notre vie. En ce moment, on nous dit beaucoup que les Français ont un mauvais moral, ils sont désespérés, ils n’ont pas confiance en l’avenir, etc. Mais, vous, êtes-vous dans une sorte de tristesse permanente parce que les choses ne se passent pas comme vous le souhaiteriez ? Ou bien avez-vous la certitude que l’amour qui vous habite peut vous permettre d’affronter cette existence sans défaillir ? Dans ses épîtres, saint Paul nous donne des exemples de ces fruits que produit l’Esprit Saint au cœur des croyants, et parmi ces fruits il y a l’endurance, la persévérance, la sérénité et la joie. Celui qui est disciple du Christ, celui qui vit dans la communion avec le Christ connaît l’endurance, la persévérance, la sérénité et la joie devant tous les événements de sa vie et cette capacité d’endurer les difficultés, de traverser les difficultés, de rester serein dans les difficultés, de continuer d’être joyeux dans les difficultés est le premier témoignage que nous devons rendre à l’amour de Dieu vivant en nous.

Cette force qui nous habite, cette force qui travaille notre cœur, est un dynamisme qui nous pousse à partager avec les autres ce que nous avons reçu. Nous sommes immergés dans une culture de la vie privée, de la discrétion, de la distance. On peut dire d’une certaine façon : dans une culture du complexe. Or, la joie, par définition, c’est une expérience qui ne peut se vivre que dans la relation avec les autres. On ne peut pas se contenter d’être joyeux tout seul, on ne peut pas se contenter d’être heureux tout seul. Si on est heureux ou joyeux, on est animé du désir de faire partager ce trésor à ceux qui nous entourent. Ce mouvement de reconnaissance, d’action de grâce, cette joie du trésor reçu, c’est la première source de la mission à laquelle nous sommes appelés. Il n’y a pas de mission possible si nous n’avons pas conscience de posséder quelque chose à partager. Ce n’est pas la peine que l’on vous envoie en mission si c’est pour traîner vos problèmes avec vous ! Cela n’intéresse personne, les gens ont leurs propres problèmes, ils n’ont pas besoin des vôtres. Si vous allez en mission, c’est pour les aider, ce n’est pas pour les accabler, c’est pour leur apporter quelque chose qui peut ouvrir un chemin nouveau dans leur vie, pas pour tomber avec eux sur le chemin où ils sont engagés.
Cette expérience de la force de Dieu, de la grâce de Dieu agissant en vos cœurs, de la puissance de Dieu qui traverse notre faiblesse et nous permet de surmonter les difficultés de la vie, qui nous permet de nous tenir debout et d’avancer malgré les difficultés, cette richesse, c’est notre premier trésor que nous voulons partager avec nos frères et dont nous voulons être témoins auprès de celles et de ceux qui nous entourent.

L’apôtre Paul, qui a beaucoup éprouvé dans son expérience ce bouleversement que représente la rencontre du Christ, lui qui était pharisien et qui a été transformé par l’apparition du Christ sur le chemin de Damas, a conscience d’avoir vécu une expérience utile pour tous. Et c’est pourquoi il dit à plusieurs reprises, « l’amour du Christ nous presse », comme si c’était une force intérieure qui nous attirait et qui nous invitait à partager la richesse que nous avons reçue. Il dit plusieurs fois : « malheur à moi si je n’évangélise pas » (1 Co 9, 16), c’est-à-dire si je n’annonce pas la Bonne nouvelle que j’ai moi-même reçue. C’est cette expérience de l’amour de Dieu venu rejoindre notre faiblesse, Dieu qui se fait homme, cette expérience de l’amour de Dieu vivant en nos cœurs qui devient le foyer et l’énergie du témoignage auquel nous sommes invités.

À quoi reconnaitra-t-on ceux qui sont disciples du Christ ? Voilà une question intéressante. Quelquefois, du moins quand on est jeune, on s’imagine que la vie chrétienne ce sont des discours. Mais le vrai témoignage ce n’est pas simplement le témoignage de la parole, c’est le témoignage de la vie. Ce qui fait réfléchir quelqu’un, ce n’est pas que nous ayons les arguments les plus forts, que nous puissions imposer notre point de vue par les arguties de l’intelligence et de la sagesse, c’est que nous soyons vraiment habités par la force du Christ et que cette force du Christ construise en nous une manière de vivre qui permet aux autres de se poser des questions. Tant que les gens ne se posent pas de questions, il n’y a pas besoin de réponses ; et ce qui déclenche la question, c’est de voir quelqu’un qui vit autrement, qui vit autre chose.

Nous venons de franchir deux étapes. La première étape est la prise de conscience de la richesse que nous avons reçue, la deuxième est le témoignage que nous rendons au Christ à travers notre manière de vivre tous les jours, à travers nos réactions, à travers les engagements de notre vie, et voici la troisième étape, qui est celle de la mission universelle à laquelle le Christ invite ses disciples en leur disant qu’il les envoie annoncer la Bonne nouvelle à toutes les nations.

Pour nous aujourd’hui, ce n’est pas toujours très clair. D’abord il faut comprendre que, dans l’évangile, les « nations » cela ne veut pas dire les « États » représentés par l’O.N.U. ! Les nations, ce sont les peuples païens, par différence avec Israël qui est le peuple de Dieu. Ainsi quand Jésus invite ses disciples à aller porter la Bonne nouvelle à toutes les nations, cela veut dire qu’il les invite à annoncer la venue du Royaume aux païens et pas simplement aux Juifs. Deuxièmement, quand nous portons, nous, au XXIe siècle, notre attention sur les peuples païens, cela nous pose une vraie question ! Finalement, sommes-nous convaincus qu’il leur manque quelque chose ? Car s’il ne leur manque rien, ce n’est pas la peine de continuer à réfléchir à la mission. Il n’y a qu’à les laisser vivre tranquilles, plus ou moins honnêtes, plus ou moins fidèles à leur conscience, tout cela est prévu dans l’Écriture. Dans l’épître aux Romains, saint Paul explique que les païens qui ne connaissent pas la Loi de Dieu ont une conscience et ils sont capables de savoir ce qui est bien ou mal, et qu’ils seront jugés d’après la manière dont ils auront mené leur vie selon les lumières reçues. Alors, a-t-on besoin de s’inquiéter de savoir pourquoi ils devraient en savoir plus ? Cela ne leur suffit-il pas d’avoir une conscience morale et de savoir ce qui est bien et ce qui est mal ? Pourquoi voudrions-nous tellement leur faire connaître Jésus-Christ ? Cette question nous est posée à nous : avons-nous conscience qu’il leur manque quelque chose ? Avons-nous conscience que tant qu’ils ne connaissent pas le Christ, ils peuvent mener une vie honnête, ils peuvent faire des choses utiles, peut-être même des choses admirables, mais ils n’atteignent pas la plénitude de leurs possibilités. C’est-à-dire de pouvoir connaître Dieu et d’entrer en communion avec Lui.

Je voulais faire une référence au grand mouvement missionnaire qui a traversé la France du XIXe siècle, vous savez comment des jeunes hommes, des jeunes femmes ont quitté leur village, leur pays pour aller à l’autre bout du monde sans aucun espoir de revenir, car 80 % d’entre eux mouraient soit pendant le voyage, soit à l’arrivée, soit au bout de quelques années. Nous sommes donc les héritiers d’une foule d’hommes et de femmes, pour qui le fait d’aller à la rencontre de leurs semblables qui ne connaissent pas le Christ, mérite qu’on y engage toute sa vie. Ces hommes et ces femmes partaient de nos provinces françaises. Quelquefois, ils en sortaient pour la première fois de leur vie. Au moment de la Première guerre mondiale, cela fait juste 100 ans, ce n’est pas si loin, un certain nombre des hommes mobilisés pour la guerre, arrivaient à la caserne illettrés, connaissant à peine le français, n’ayant jamais porté de chaussures ! Il y a 100 ans dans les provinces de France, il y avait des gens qui pouvaient vivre toute leur vie dans leur village ou dans leur canton sans jamais en sortir ! Et c’est parmi ces gens-là, qui n’avaient jamais dépassé 25 km au-delà de leur lieu de naissance, que l’on a recruté des hommes et des femmes pour aller évangéliser l’Afrique, l’Océanie ou l’Asie, pour partir à l’autre bout du monde. Qu’est-ce qui les entraînait dans ce chemin ? Ce n’était pas simplement le goût de l’aventure ! C’était la certitude qu’ils avaient quelque chose à apporter à des gens qui en avaient besoin. S’ils n’avaient pas eu cette motivation forte, ils n’auraient certainement pas entrepris quelque chose d’aussi extraordinaire.

Alors, je nous pose la question à nous aujourd’hui, au XXIe siècle ! Pour nous, le monde est tout petit par rapport à ce qu’il était pour eux. Il n’y a pratiquement plus de terres inconnues, il n’y a plus de peuples inconnus, tout le monde est localisé, identifié, étudié. Toutes les sagesses anciennes sont connues, mais sommes-nous vraiment convaincus que les Japonais ou les Chinois, ou les Hindous qui vivent dans leurs traditions orientales manquent quelque chose ? Sommes-nous convaincus que les païens de nos pays, en France, qui ne connaîtront jamais le Christ, manquent quelque chose ? Ou bien nous disons-nous : finalement c’est bien comme cela, ce sont de braves gens, ils n’ont pas spécialement besoin d’être évangélisés ? Car évidemment, l’appel du Christ à ses disciples : « Allez annoncer la Bonne nouvelle à toutes les nations », suppose que nous soyons convaincus que nous apportons quelque chose dont les autres ont besoin. Nous ne sommes pas une entreprise commerciale destinée à acquérir des clients. Nous ne sommes pas une entreprise de marché idéologique, nous ne tenons pas spécialement à prendre possession des autres. Mais nous sommes entraînés, par un mouvement intérieur de la richesse que nous avons reçue, à partager avec nos semblables. Mais pour cela, il faut que nous soyons convaincus que ce que nous avons, il faut le leur donner, que si nous ne l’avions pas nous-mêmes, nous serions malheureux. Combien de chrétiens, dans nos pays, vivent comme si le Christ n’existait pas et s’en trouvent très bien ? Alors c’est cela la question de la mission. Acceptons-nous que le Christ soit devenu une sorte de statue cachée dans le secret de notre appartement ? Acceptons-nous que le Christ soit devenu un personnage inconnu ? Nous figurons-nous que ceux qui ne le connaissent pas, peuvent vivre aussi bien que ceux qui le connaissent ? Sommes-nous vraiment convaincus que si nous ne le connaissions pas, nous serions, comme le dit saint Paul : « les plus malheureux de tous les hommes » (1 Co 15, 19) ? « Si le Christ n’est pas ressuscité notre foi est vaine (…) et nous sommes les plus malheureux de tous les hommes » (1 Co 15, 17.19).
Le dynamisme de la mission à laquelle le Christ nous appelle, c’est d’abord cette conviction que les hommes et les femmes qui ne le connaissent pas perdent quelque chose, manquent quelque chose, qu’ils mènent une vie amoindrie, insuffisamment épanouie, insuffisamment accomplie à sa pleine dimension, ils vivent une vie restreinte, réduite, et ils ont besoin pour atteindre la plénitude de leur espérance, que le Christ leur révèle qui ils sont. Cette révélation passe nécessairement par l’annonce que nous devons leur faire du Christ ressuscité.

Cette mission, nous la mesurons quelquefois à partir de nous-mêmes. Nous nous disons : qui suis-je pour aller annoncer Jésus Christ ? Évidemment, ce n’est pas chacun de nous qui se décide et qui se désigne pour être l’acteur principal de la mission. La mission que Jésus confie à ses disciples, c’est une mission d’Église. Il les appelle à être ensemble dans la communion, témoins de la Bonne nouvelle. On ne peut pas être vraiment témoin de la Bonne nouvelle tout seul, même s’il arrive que quelques-uns s’imaginent être devenus les nouveaux prophètes de la société contemporaine. Ils annoncent davantage leur propre histoire que la réalité du Christ. Pour être d’authentiques missionnaires, nous devons être enracinés dans cette communion ecclésiale à travers la Parole du Christ, à travers l’expérience des sacrements, à travers la communion avec nos frères. La mission de l’Église se constitue quand nous acceptons de nous écouter les uns les autres, de recueillir des uns et des autres des expériences, de réfléchir ensemble à la lumière de l’Évangile et de mieux comprendre comment nous pouvons atteindre le cœur de nos contemporains. Nous avons besoin de cette vie de l’Église, ce n’est pas nous qui sommes porteurs de la parole du Christ, c’est l’Église qui porte la parole du Christ, et nous en sommes un des éléments, un des ouvriers, mais nous ne sommes pas la totalité de l’Église chacun tout seul.

La mission de l’Avent 2014 doit être un temps où nous serons assez convaincus de notre chance d’être chrétiens, assez joyeux de la foi qui nous habite pour oser aller au-devant de notre prochain pour lui annoncer cette Bonne Nouvelle : Dieu se fait homme !

Je souhaite que vous profitiez de cette année pour identifier le plus grand nombre des membres de vos paroisses qui pourraient participer à cette mission, que vous les appeliez et que vous prépariez ensemble cette grande mission de l’Avent 2014.

+ André cardinal VINGT-TROIS
Archevêque de Paris

Interventions

Interventions