Interview de Mgr Michel Aupetit par Paris Notre-Dame

Paris Notre-Dame – 4 janvier 2018

Paris Notre-Dame du 4 janvier 2018

À quelques jours de son installation comme archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit évoque, pour Paris Notre-Dame, les défis qu’il devra relever à la tête du diocèse et le ministère qui lui est confié. Propos recueillis par Priscilia de Selve.

« Le premier rôle de l’évêque est d’unir »

© Guillaume Poli / CIRIC

Paris Notre-Dame – Quel est votre état d’esprit à quelques jours de votre installation ?

Mgr Michel Aupetit – Quand j’ai appris la nouvelle de ma nomination, j’étais plutôt comme Jésus à Gethsémani : « Père, si c’est possible, que cette coupe passe loin de moi. » Mais vous connaissez la fin... C’est ce que j’ai dit un jour, il y a longtemps : « Que Ta volonté soit faite. Pas ma volonté, mais la Tienne. » Depuis, c’est un peu mon état d’esprit. Aujourd’hui, je ne fais aucune projection sur l’avenir ; je préfère prendre une chose après l’autre, car j’ai remarqué que c’est le seul moyen de ne pas se laisser déborder.

P. N.-D. – Il est encore trop tôt pour évoquer ce que vous allez faire à la tête du diocèse de Paris, mais vous êtes conscient de l’attente que génère votre nomination ?

M. A. – L’attente a quelque chose de bon, car elle signifie que les gens ont un grand désir, mais cela ne suffit pas. Il y a 2000 ans, ils espéraient le Messie et ils sont passés à côté. Ce n’est donc pas tant l’attente qui est importante, que la capacité de se laisser surprendre. Si on attend que l’évêque fasse ce que chacun a dans le cœur, beaucoup seront déçus car nous avons tous dans le cœur quelque chose de différent. La question est donc : est-on capable de se laisser bouleverser ? Et moi le premier...

P. N.-D. – Vous connaissez bien le diocèse de Paris pour y avoir été ordonné prêtre, puis nommé vicaire général, avant d’y être ordonné évêque. Comment appréhendez-vous les défis pastoraux qui vous attendent ?

M. A. – La situation à Paris n’est pas très différente de celle que je connaissais à Nanterre. Entre Neuilly-sur-Seine et Gennevilliers, il y a la même différence qu’entre N.-D. de Grâce de Passy (16e) et St-Germain de Charonne (20e). Mon interrogation porte plutôt sur la façon de permettre aux paroisses qui ont le moins de moyens d’accomplir leur mission. Comment donne-t-on aux prêtres la possibilité de porter l’Évangile, quelles que soient les ressources humaines et financières ? Et comment fait-on pour permettre à chacun d’être heureux dans la mission qu’il a reçue ?

P. N.-D. – Vous avez la réputation d’être un homme au franc-parler. Or, la parole de l’archevêque de Paris dépasse souvent les limites de son diocèse et son écho est national. Appréhendez-vous cette mise en lumière ?

M. A. – Un peu, oui, car je vois bien que lorsque l’évêque de Paris se mouche, cela provoque une tempête ! Donc, je devrai sans doute faire attention à ce que je dis, mais je garderai une parole libre. Car la vraie question, c’est la liberté : par rapport à ce qu’on dira sur moi ; par rapport aux regards des autres. Suis-je capable de porter une parole qui, parfois, peut déranger ? Pourquoi le Christ a-t-il été crucifié, alors qu’il a passé son temps à faire du bien sur terre ? Parce qu’il a dit une parole qui bouleversait. La parole de l’Église peut donc être dérangeante, et il faut accepter qu’elle puisse l’être. Non pour faire du mal, mais pour réveiller les consciences, tout simplement.

P. N.-D. – L’Église est-elle dans son rôle quand elle joue les garde-fous ?

M. A. – L’Église peut être dérangeante, mais elle peut aussi ne pas l’être. Sur certains sujets, elle doit faire entendre sa voix pour permettre aux personnes de prendre conscience. Quand tout le monde va dans le même sens, le danger est que les consciences soient anesthésiées. À nous, catholiques, de savoir réveiller nos concitoyens, en permettant à chacun d’être libre par rapport à la bien-pensance. Que pouvons-nous dire, non pas pour les contrarier, mais pour leur permettre d’avoir une véritable réflexion, au-delà des prêts-à-penser ?

P. N.-D. – Vous êtes une voix qui compte quand on évoque les sujets de bioéthique, de transhumanisme... Sujets qui seront au cœur du débat national en 2018, avec la révision des lois de bioéthique. Est-ce que nous vous entendrons sur ces questions-là ?

M. A. – Oui, certainement. Mais ma passion, ce n’est pas la bioéthique. Ma passion, c’est l’Évangile, c’est le Christ. Et donc l’homme. Ma réflexion a toujours porté sur ce qui faisait l’homme dans son humanité. La bioéthique permet seulement de savoir si les progrès techniques s’accompagnent de progrès humains. C’est cela qui est important. Les gens comprennent très bien qu’un progrès technique peut être bien employé – et il faut être pour le progrès technique –, mais il peut aussi être mal employé. Qu’est-ce qui permet alors de savoir si quelque chose est bien ou mal employé ? La réflexion éthique, tout simplement.

P. N.-D. – Vous succédez à Mgr André Vingt-Trois, que vous connaissez bien pour avoir été un de ses proches collaborateurs. Que retenez-vous de ces années ?

M. A. – En premier lieu, la grande liberté qu’il nous laissait dans notre mission. Certains pensent parfois que nous venons chercher des ordres auprès de notre archevêque. Eh bien, pas du tout ! Nous discutions beaucoup avec lui car Mgr Vingt-Trois a une grande sagesse et une analyse très fine des situations. C’est important d’avoir un homme comme lui au sein de l’Église, avec cette hauteur de vue, cette prise de distance qui permet de ne pas réagir systématiquement à chaque événement.

P. N.-D. – Cela peut-il inspirer votre action à la tête du diocèse ?

M. A. – Certainement. Cependant, chacun a sa personnalité et il est toujours difficile de dire ce que l’on va reprendre ou reproduire. En revanche, à chaque fois que l’on reçoit une mission, on apprend de cette mission, et donc on évolue.

P. N.-D. – Comment définir le ministère apostolique qui vous a été confié ?

M. A. – Je pense que le premier rôle de l’évêque est d’unir, ce qui ne veut pas dire uniformiser. Dans l’Église, il y a différentes réalités sociologiques, différentes sensibilités. L’évêque doit être celui qui rappelle que ce qui nous unit est bien plus fort que ce qui pourrait nous diviser. Je crois que c’est vraiment la chose première. Comment permet-on aux personnes de travailler ensemble : prêtres, diacres, laïcs... chacun ayant une vraie responsabilité ?

P. N.-D. – On sait de vous que vous aimez sculpter, chanter et jouer de la guitare. Est-ce que vous continuez aujourd’hui ?

M. A. – Je n’ai plus trop le temps de sculpter ni de jouer de la guitare, mais peut-être qu’à Paris ce sera possible ! D’ailleurs, à Nanterre, ils m’ont offert une chaise longue, car ils pensent qu’ici je pourrai me reposer ! (rires)

P. N.-D. – Avez-vous un message pour les catholiques parisiens ?

M. A. – Je voudrais leur dire que je souhaite aller à leur rencontre afin de les écouter. Je pense que c’est ce qu’il faut faire quand on arrive quelque part : écouter, observer et admirer, car ils ne vous ont pas attendu pour se mettre en action. Et puis après, je demanderai à tous les Parisiens, à tous ceux qui sont investis dans la mission, de réfléchir à ce qui fait du bien. Le pape rappelait que pour être missionnaire, il faut avoir envie de rendre les gens heureux. Je pense que c’est très juste. À Nanterre, je priais pour que le Seigneur me permette de rendre les prêtres heureux, de faire en sorte qu’ils soient dans des lieux ou des missions qui puissent les rendre heureux. Car s’ils le sont, ils rendront également heureux ceux qui les entourent.

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