Interview de Mgr Michel Aupetit par le Quotidien du Médecin

Le Quotidien du Médecin – Lundi 7 mai 2018

Propos recueillis par Coline Garré et Jean Paillard.

Le Quotidien : Vous avez exercé la médecine pendant plus de dix ans. Comment passe-t-on de la vocation de médecin à celle de prêtre ?

Mgr Michel Aupetit : Vocation vient de vocare, appeler. La médecine est un appel intérieur : on sent qu’on a envie de se mettre à la disposition des gens qui souffrent. Pour être prêtre, c’est quelqu’un qui vous appelle, c’est Dieu.
Quand j’étais petit, je voulais être médecin. Je ne sais pas pourquoi, certainement pas par mimétisme, car il n’y avait pas de médecin dans ma famille. Puis, une fois médecin, je ne pensais pas être prêtre : je pensais que le médecin avait plus de chance d’apporter l’Évangile au monde, puisqu’il touchait un public varié.

J’ai toujours eu la foi, bien que ma famille ne fût pas versée dans ce domaine. Seule ma mère était croyante. Je priais tous les jours, j’allais à la messe, souvent seul. À 20 ans, j’ai acheté ma première bible quand j’étais en faculté de médecine. Mes amis me posaient des questions, je ne savais pas y répondre. J’ai commencé à travailler tout seul, j’ai acheté des bouquins sur la science et la foi.

Puis, c’est venu progressivement, même si je vois un jour précis où l’appel a été très clair. Je pense qu’un appel extérieur rejoint toujours un appel intérieur, dont vous n’avez pas toujours conscience. Je n’y étais pas prêt, cela m’a déstabilisé, je me suis battu contre le Bon Dieu, et puis j’ai dit : « Mon Dieu, que Ta volonté soit faite ». Je ne savais pas où j’allais, je ne savais pas si Dieu m’appelait à être moine, prêtre, religieux… J’ai frappé à la porte de l’Église. C’était en mars. On m’a dit que si je devais rentrer au séminaire, c’était en septembre. Ce fut rapide ! J’ai quand même pris le temps de prévenir ma patientèle, que ma remplaçante habituelle a reprise. Elle exerce toujours. Par la suite, devenu évêque de Nanterre, je revoyais parfois mes anciens patients de Colombes. C’était drôle !

Comment qualifieriez-vous les évolutions de la médecine et, en parallèle, celles de la bioéthique ?

La médecine évolue et c’est important : plus on a de moyens à disposition, mieux l’on peut soigner les patients. La question bioéthique est : que fait-on de ce progrès technique ?

J’ai peur que nous pratiquions une médecine à l’anglo-saxonne, fondée sur le contrat, et non plus une médecine fondée sur la relation de confiance entre le médecin et le patient, qui est pourtant la tradition médicale française. Je crois beaucoup à cette médecine fondée sur la confiance : la confiance fait partie prenante du soin. L’homme n’est pas seulement une mécanique ou un complexe moléculaire ou chimique ; c’est aussi une personne qui entre en relation. Et cette relation fonde le soin, l’accompagnement et la thérapie. Ce glissement vers le contrat m’inquiète. Je crois à la rencontre de deux libertés : le patient doit avoir la liberté de choisir son médecin ; et le médecin, sauf urgence, n’a pas l’obligation de répondre à tous les desiderata des patients. C’est le pacte fondateur de la médecine.

Le corps médical est dans une situation difficile.Aujourd’hui, il tend à être considéré comme un prestataire de service. Et ça c’est terrible. « C’est possible, donc je vous le demande » : face à de telles sollicitations, le médecin a-t-il encore une latitude pour réfléchir, ou est-il simplement là pour exécuter des ordres ?

Dans la façon d’aborder l’éthique, y-a-t-il une différence, selon qu’on est religieux ou médecin ?

Sur l’éthique, proprement dit, je ne crois pas. Je pense que l’homme est naturellement éthique ? Nous avons un néocortex, lieu de discernement et de jugement. Tout homme est juge de ses propres actes et de leurs conséquences. Il a la capacité de discerner le bien et le mal qu’il peut faire. La preuve en est que nous devons en répondre devant la société.

Être religieux nous donne un regard plus vaste, mais pas fondamentalement différent. Comme le montrait déjà le tribunal d’Osiris dans « Le livre des morts » de l’Égypte ancienne, Dieu transcendant s’introduit dans l’acte moral de l’homme comme son moteur principal. Qu’est-ce qui fait que je ne tue pas : la peur de la punition ? La conscience du bien et du mal ? Il y a plusieurs raisons. En introduisant la dimension religieuse, une autre raison intervient : la relation personnelle avec Dieu. « Parce que je suis Dieu, tu vas agir de bonne manière ; et Moi, je te donnerai les moyens de discernement et d’accompagnement ».

Quels sont les critères qui doivent guider la réflexion bioéthique ?

La dignité intrinsèque de l’homme. Pas celle que défendent certains qui disent que l’homme n’est digne que tant qu’il répond à certains critères de performance. Comme s’il y avait une normativité en deçà de laquelle on n’est pas digne. C’est effrayant ! La personne handicapée est digne. En exerçant la médecine, j’ai découvert combien ces personnes sont extraordinaires. Elles m’ont appris l’humanité, l’affection, la gratuité dans la relation.

Comment l’Église appréhende-t-elle le débat autour des lois de bioéthique ? Les catholiques sont-ils unanimes sur ces questions ?

À peu près oui. Personne ne revient sur les documents publiés par le magistère et les différents papes. Il y a un accord sur le principe. Après, des divergences peuvent exister dans l’application de ce principe sur des cas particuliers.

L’Église n’est pas là pour faire des lois, mais pour éveiller les consciences. Quelle société voulons-nous pour demain ? Il y a un vrai enjeu de société. Nous sommes à un carrefour entre deux sociétés. L’une est fondée sur la fraternité, elle repose sur les relations interpersonnelles, et sur un droit qui cherche la défense du plus faible.

Mais aujourd’hui, un autre type de société se construit, fondée sur l’individualisme et sur le principe de l’autonomie. Le droit change et s’aligne sur les désirs individuels. Cela devient, comme pour la médecine, un contrat entre l’État et la personne. Il n’y a plus de principe commun. Avec le risque de verser dans le communautarisme.

L’Église est pour une société fraternelle, car nous pensons que Dieu est Père, et que nous sommes tous frères et sœurs. Et nous sommes pour la défense du plus faible, comme le révèle le message du Christ.

L’Église est-elle favorable à une évolution des lois de bioéthique ?

La loi de bioéthique doit être réévaluée, en fonction des avancées techniques, et non des modifications de la société. Il faudrait une bonne raison pour la réviser…

À propos de l’AMP, la question est : y-a-t-il un droit de l’enfant ou un droit à l’enfant ? A-t-on droit à l’enfant ? Non, c’est le chosifier. Ceux qui nés par AMP il y a vingt ou trente ans se posent des questions. L’identité tient à nos relations interpersonnelles, mais aussi à ce qui nous constitue, dont la biologie. La Convention relative aux droits de l’enfant adoptée en 1989 avec la participation de la France, mentionne le droit d’être élevé par son père et par sa mère. Voulons-nous une société du désir individuel aux conséquences terribles ? Ou celle qui prône le respect des personnes, du droit de l’enfant, des plus fragiles…

Quant aux avancées techniques, la question est : qu’en fait-on ? Le progrès technique est-il ordonné au progrès humain ? Le diagnostic prénatal est formidable pour détecter des problèmes et anticiper des soins. Mais s’il ne sert qu’à éliminer les trisomiques, ça ne va pas. C’est entrer dans une société eugéniste où les plus faibles n’ont plus leur place.

Et sur le dépistage préimplantatoire, pourquoi l’Eglise se montre-t-elle si réticente ?

Ce qui pose problème, c’est que l’on procède à un tri sélectif. Or nous sommes tous porteurs d’une pathologie, quelle qu’elle soit. De prime abord, pouvoir avoir des enfants qui ne sont pas porteurs d’une pathologie semble bien. Mais, ceux qui en sont porteurs n’auraient-ils pas le droit de vivre ? Les trisomiques eux-mêmes se disent : « Et moi, est-ce que la société m’accepte ? » « Est-ce que j’aurai le droit de vivre »…

Au Collège des Bernardins, le Président de la République, a dit qu’il entendait la voix de l’Eglise sur la thématique de l’AMP, mais qu’en même temps, il lui demandait d’ouvrir les yeux sur la réalité sociétale. Cela vous rassure t-il ?

Je ne juge pas des intentions du Président. Il a dit ce qu’il avait à dire, et aussi que nous avions le droit de nous exprimer, ce que nous faisons.

Jusqu’à présent, l’AMP compensait la souffrance d’un manque pour un couple victime d’infertilité. La médecine est réparation d’un dommage. L’adoption quant à elle, est la compensation d’une situation malheureuse existante.
Mais créer un enfant qui n’aurait pas de père, ce n’est pas réparer une injustice, c’est en créer une ! L’AMP sert ici à maîtriser la procréation et à jouer aux apprentis sorciers. Voyez ce qui se passe aux États-Unis, où l’on commence à choisir les bébés sur catalogue dans certaines cliniques.

Sur la fin de vie : vous avez salué la position des 70 médecins en faveur du maintien des soins à Vincent Lambert, qui prend le contre pied de la décision de trois médecins différents à Reims...

Ces médecins proposent aussi de l’accueillir. Il y a 1700 pauci-relationnels en France. Si l’on prend une décision envers Vincent Lambert, est-ce que ça conditionne la vie de ces 1 700 personnes ?

La question est de savoir si l’alimentation et l’hydratation sont des soins. Si ce sont des traitements, on peut considérer qu’il s’agit d’un acharnement thérapeutique. Or nous sommes contre l’acharnement thérapeutique. Mais si ce sont des soins, ce n’est pas un acharnement thérapeutique, c’est ce qu’on doit à toute personne. Un enfant qui naît meurt si on ne lui donne pas à manger. Nous considérons que cette alimentation et cette hydratation sont bien des soins.

Quel regard portez-vous sur la législation actuelle sur la fin de vie ?

La loi Leonetti de 2005, bien élaborée, avait fait l’unanimité des parlementaires. Or on a voulu aller plus loin… Alors que la loi de 2005 n’est toujours pas généralisée : les soins palliatifs n’existent que dans quelques lieux où les médecins et infirmières sont formés. Avant de changer les lois, il faut mettre en place celles qui existent. La loi Leonetti-Claeys introduit la question de la sédation profonde et terminale. Auparavant, on dispensait de la morphine à une personne dans une souffrance extrême, tout en sachant que c’est un dépresseur respiratoire. Mais le but est bien de soulager, et non de faire mourir. La sédation en phase terminale est légitime pour accompagner une personne qui souffre trop et le demande. Mais la sédation terminale est ambiguë : c’est suggérer qu’on peut l’utiliser pour terminer la vie.

Il y a deux ans, le pape s’est rendu au Congrès de l’ESC, expliquant que l’Église était favorable et soutenait la recherche. À votre avis… jusqu’où ?

Jusqu’au bout ! Il faut soutenir la recherche. On le dit depuis longtemps. Tous les derniers papes ont encouragé largement la recherche. Le problème pour nous, c’est que la voie de recherche privilégiée passe par la destruction de l’embryon. Et pour nous , l’embryon, ce n’est pas n’importe quoi. S’il était possible de faire des recherches sur l’embryon sans le détruire ou sans en fabriquer exprès, pourquoi pas ? La question est la suivante : est-ce que la fin justifie les moyens ? Certains disent qu’on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs… Nous ne sommes pas d’accord. Les moyens doivent être proportionnés à la fin. Si la fin est bonne, les moyens doivent être bons.

En tant que médecin, avez-vous une position un peu différente de vos prédécesseurs sur la question de l’usage du préservatif ?

Ma position a toujours été claire : il faut éviter de transmettre le danger. Mais le principe le plus sûr demeure une vie bien ordonnée : si vous êtes fidèle dans le mariage, comme le préconise l’Église, vous ne risquez pas de transmettre le sida. En revanche, si on a affaire à quelqu’un qui ne veut pas vivre cela, on doit protéger la société. En Afrique, l’Église avait mis en place le principe « ABC », qui signifiait Abstinence, Be Faithfull, Condom, en fonction de ce que les gens sont capables de vivre.

Outre l’AMP et la fin de vie, beaucoup d’autres thèmes figurent au programme des Etats généraux. L’Eglise est-elle intervenue sur tous ces points ?

Oui, à différents niveaux : au CCNE, au Conseil d’État, etc. On a édité par exemple sur Paris un petit livret à 110 000 exemplaires. On l’a fait simple et sérieux avec onze questions. Nous essayons de réveiller les consciences. On voit bien que les gens ne se rendent pas compte de la gravité des enjeux, même parmi les chrétiens. Nombreux sont ceux qui se disent encore : « Après tout, c’est le sens de l’histoire ». Or rien n’est inéluctable !

Dans une récente interview, vous faisiez de la robotisation et de l’intelligence artificielle - peu abordées dans ces Etats Généraux - des enjeux très importants…

Effectivement, si vous allez sur le site des Etats généraux, les gens ont beaucoup cliqué sur le début et la fin de vie, mais pas sur l’intelligence artificielle. Les méga-données posent la question de notre espace personnel d’intimité. Jusqu’à quel point est-on intrusif ? Il y a des règles à poser pour préserver le droit des personnes. Le robot, c’est très bien s’il reste un outil comme le stéthoscope ou pour faire de la chirurgie. Mais il faut que l’homme garde la main.

Peut-être ces questions intéressent-elles moins les gens car ils n’en voient pas les enjeux immédiats. Pourtant, en Europe, on a mis au point une commission pour savoir si on pouvait octroyer le statut de personne électronique au robot. Qu’est-ce que cela veut dire ? La qualification de personnes est une qualification juridique qu’on n’a pas reconnue à l’embryon humain, qui n’a toujours pas de statut personnel…

« L’homme augmenté », pour vous, est-ce encore un homme ?

Quand on met des valves cardiaques, on répare. Mais vouloir que l’homme soit plus performant, c’est dangereux, ne serait-ce que parce que l’on va séparer l’humanité en deux : les riches pourront payer, les pauvres non et on va créer un groupe de sous citoyens qui seront les nouveaux esclaves. On est en train de créer une société à deux vitesses, entre les pauvres et ceux qui pourront se payer ces moyens-là en pensant qu’ils peuvent vivre plus longtemps. Ce qui est faux ; on le sait depuis la découverte en 1973 de l’apoptose. Même si l’on arrive à retarder ce phénomène, il ne faut quand même pas s’illusionner sur le pouvoir que l’on aura sur la vie.

Source : https://www.lequotidiendumedecin.fr

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