Interview de Mgr Michel Aupetit par Paris Match

Paris Match – 26 décembre 2019

Interview réalisée par Caroline Pigozzi.

PARIS MATCH. Monseigneur, où vous trouviez-vous le 15 avril 2019 lorsque l’incendie de Notre-Dame de Paris a commencé ?

MONSEIGNEUR AUPETIT. À l’archevêché qui est loin de Notre-Dame, avec la responsable de la communication du diocèse quand elle a reçu sur son portable une première alerte ; c’était une photo de la cathédrale avec un filet de fumée. Nous n’avions alors pas encore pris la mesure de la gravité de ce qui arrivait, puis il y a eu des images de plus en plus inquiétantes. Du coup, nous avons rejoint la préfecture de police face à la cathédrale, où le général Gallet à la tête de la brigade des sapeurs pompiers de Paris nous a donné une idée précise de la situation. Ce qu’il a fait ensuite heure par heure. J’ai immédiatement prié pour qu’il n’y ait pas de victime humaine et le Seigneur m’a exaucé.

Vous êtes l’homme de l’année, on vous a vu dans les médias du monde entier.

Je vous laisse la responsabilité de cette affirmation. Ce qui est vrai est que maintenant lorsque je me rends en province, à Rome ou ailleurs, les gens ne me demandent pas comment je vais mais comment va Notre-Dame et si sa reconstruction avance.

Il faut dire que l’hashtag Notre-Dame a été le plus twitté de 2019.

La cathédrale de Paris est au plus profond du cœur des Français. Elle symbolise l’âme de notre pays et son histoire. L’incendie qui a touché tout le monde a rappelé combien les racines sont importantes, que la mémoire est vivante et que ceux qui ne sont pas proches de la religion ont aussi une âme…

Est-il compliqué d’être dépossédé de l’usage de sa cathédrale ?

Pour la gloire de Dieu je suis prêt à m’installer n’importe où, y compris sur les Champs Élysées ! Le premier devoir d’un archevêque est d’être capable de s’adapter à toute situation. Saint-Germain-l’Auxerrois est maintenant l’église de l’archevêque de Paris pour la messe du dimanche soir que je célébrais auparavant à Notre-Dame. Ce bel édifice érigé en partie du XIIe siècle se trouve face au Louvre, en plein centre de la capitale, c’est-à-dire bien placé et également assez vaste pour accueillir la maîtrise de Notre-Dame. Lumineux, il est par ailleurs idéal pour la télévision. Ainsi notre chaîne KTO qui vient de fêter ses 20 ans la semaine dernière peut quotidiennement y filmer les divers offices… Le Christ affirme que “ les renards ont des terriers et les oiseaux des nids ” mais qu’il “ n’a pas de pierre où reposer la tête ”… Moi je n’ai pas où m’asseoir ; le disciple n’est pas au-dessus du Maître !

Archevêque de Paris depuis à peine deux ans, vous ne vous imaginiez point devenir “chef de chantier” ?

Le vrai défi est de construire l’Église de Paris, de faire grandir les fidèles dans la joie d’annoncer l’Évangile. C’est là que la grâce de Dieu peut agir. Le reste, ce sont des pierres, fruit du génie de l’être humain, qui n’ont de sens que parce qu’elles portent l’homme à la prière. Mais si j’avais une cathédrale et pas de fidèles je n’aurais plus de raison d’être évêque !

Revenons justement au cœur de votre mission. Combien avez-vous ordonné de prêtres en 2019 ?

Le 29 juin dernier, j’ai ordonné à Saint-Sulpice huit prêtres pour le diocèse de Paris et les missions étrangères dans une ville qui compte 80 séminaristes et quelque 500 prêtres.

Qu’est-ce qui vous a le plus ému lorsque Notre-Dame brûlait ?

J’ai été ému de voir au moment de l’incendie des milliers de personnes dont beaucoup de jeunes autour de Notre-Dame qui priaient pour la sauvegarde de la cathédrale, “église mère ” de notre diocèse, mais aussi pour que les vies humaines des pompiers qui faisaient un travail exceptionnel soient épargnées. Il faut savoir que les habitués de Notre-Dame, qui n’est pas une paroisse, sont souvent des personnes simples, des pauvres qui avaient de l’affection pour cette église, la leur. On voit l’émotion, le choc, la sidération que cela a suscité près de nous et partout dans le monde. Maintenant les gens viennent à Saint-Germain-l’Auxerrois toujours plus nombreux et à Saint-Sulpice pour les grands événements.

“Vaste programme” disait souvent le général De Gaulle. Comment réagissez-vous devant ces futurs travaux, vous qui êtes désormais obligé de parler chiffres ?

Ce qui est certain, c’est que les dons continuent d’arriver. Au mois de décembre, on comptait 51 000 donateurs et un montant total collecté de 49,2 millions d’euros. Il y a chaque semaine entre 160 et 200 nouveaux dons, modestes, d’enfants par exemple qui envoient quelques euros scotchés sur une lettre, comme de croyants, de touristes, de mécènes… Or les promesses confirmées par les conventions s’élèvent à 330 millions d’euros à travers de généreux mécènes ayant déjà contribué tels Bernard Arnault, François Pinault, le conseil général d’Ile-de-France qui a versé 10 millions d’euros auxquels s’ajouteront d’ici le 31 décembre 10 millions d’euros de la société Decaux et 5 du groupe Axa. Ont déjà été versés au ministère de la Culture pour les travaux de consolidation et sécurisation 31 millions. Par ailleurs le fonds cathédrale de Paris, la fondation Notre-Dame reçoit des sommes affectées à la restauration. De plus ils récoltent de l’argent pour le programme cathédrale, le cœur liturgique, les aménagements et équipements. L’émotion ne retombe donc pas et montre combien toutes les personnes qui aiment Notre-Dame lui sont fidèles. La reconstruction va nécessiter d’immenses moyens et prendra également beaucoup de temps…

Quelles sont vos plus récentes décisions ?

Nous sommes en train de repenser l’avenir de la cathédrale dont les travaux commenceront concrètement au début de 2021. Néanmoins nous voulons déjà réfléchir à son ouverture. Il faudra un parcours plus adapté aux 14 millions de visiteurs annuels, afin de les accueillir au mieux et les aider à entrer dans le Mystère de ce lieu qu’ils admirent.

Le personnel technique est-il au chômage et les prêtres déstabilisés ?

Si l’évêque n’est pas déstabilisé alors les prêtres ne le sont pas non plus. Ils participent toujours nombreux aux diverses manifestations religieuses de la vie du diocèse. L’incendie nous a renouvelé dans la conscience de notre mission d’annoncer le Christ et de porter au monde l’espérance de la Foi en Jésus ressuscité, quelles que soient les épreuves. Concernant le personnel laïc, certains employés de la cathédrale ont pu être orientés vers d’autres lieux au service du diocèse. Les autres ont été accompagnés pour trouver un nouvel emploi.

Médecin des âmes, le Docteur Aupetit reste réactif lorsque pendant un office une dame tombe ?

Vous faites allusion à une sortie de messe à Saint-Germain-l’Auxerrois où une femme a fait récemment une chute sur l’épaule. On est venu me chercher, car chacun savait qu’il y avait “un médecin dans la salle ”… Je l’ai examinée afin de voir s’il s’agissait d’une luxation. Dans ce cas, j’aurais pu la remettre à chaud, malheureusement c’était une fracture. Après tout mon premier métier et mon état de prêtre sont en pleine cohérence. Le travail d’un médecin comme celui d’un prêtre est de prendre soin des personnes. C’est même le sens du mot curé qui vient de “curare”, prendre soin.

Vous allez célébrer la messe de minuit sous le chapiteau de la compagnie Alexis Grüss et celle de Noël à la prison de la Santé. Pourquoi ces choix ?

N’ayant plus de cathédrale, je suis heureux de venir au cirque, porte de Passy, dire la Messe accompagné par le chœur de la maîtrise Notre-Dame et cent choristes pour rencontrer des personnes touchées par la grâce de Noël, bien au-delà des habitués. La famille Grüss jonglera avec des torches pendant la lecture de l’Evangile. Quant à la prison, il est de tradition que l’archevêque aille y célébrer l’espérance de la Nativité. “ J’étais en prison et tu m’as visité ”, dit le Seigneur. La prison de la Santé a été fermée pour travaux pendant quatre ans et demi. Evêque de Nanterre, j’allais à Noël ou à Pâques célébrer à la maison d’arrêt de la ville. C’est pourquoi je vais continuer de le faire le 25 décembre.

Des journées particulières dans la capitale ?

Je subis les mêmes affres que les Parisiens. Comme eux, je circule parfois en métro, en voiture ou à pied… Avant, j’avais un vélo, mais on me l’a volé. C’est ainsi que je partage leurs difficultés et leur énervement.

En profitez-vous pour prier dans les encombrements ?

Lorsque je suis au volant de ma petite Twingo grise, énervé, j’avoue que je n’ai pas vraiment envie de prier. Prier l’Esprit Saint dans ces moments-là pour qu’il me donne la paix n’est pas si facile ! C’est pourquoi je prie longuement la nuit.

Interventions

Interventions