Interview du cardinal André Vingt-Trois dans le Journal du dimanche

Le Journal du Dimanche – 25 octobre 2015

Après le synode sur la famille, Mgr André Vingt-Trois, cardinal-archevêque de Paris, assure que le pape a désormais “toute liberté pour prendre ses décisions”.

En moins d’un mois, le pape a fait l’objet de trois : le coming out d’un prêtre polonais, la lettre de 13 cardinaux que vous avez démenti avoir signée, la rumeur sur sa santé. Est-ce une tentative de “déstabilisation” ?

Je n’ai pas l’habitude de voir des complots partout. S’il y avait une tentative de déstabilisation, elle a échoué. Le coming out d’un prêtre de la curie est un triste événement qui aurait pu se produire n’importe quand. Dans la presse romaine, la santé des papes fait régulièrement l’objet d’informations “sûres” qui ne sont jamais vérifiées. La lettre des cardinaux, non seulement je ne l’ai pas signée, mais je ne l’ai même pas vue. Si elle a existé, elle correspond à une façon de faire surprenante venant de gens qui sont chaque jour en réunion avec le pape et qui auraient besoin d’une lettre “clandestine” pour lui parler.

François sort-il affaibli ou renforcé du synode ?

Il en sort renforcé parce que les choses se sont passées comme il le souhaitait. Le choix d’un synode sur deux ans, la consultation, même partielle, du peuple chrétien, la liberté d’expression dans le cours du synode ont été autant d’éléments qui confirment son choix. Le fait que le synode, sur une question aussi difficile, ait assumé les différences laisse au pape toute liberté pour prendre ses décisions.

Ce synode s’achève sans recommandations fortes. La réforme de la doctrine de l’Église est-elle impossible ?

Il n’a jamais été question de ­réformer la doctrine de l’Église. C’est même un point sur lequel il y a une complète unanimité. D’ailleurs, samedi dernier, le pape lui-même a redit que sa mission se situait dans la fidélité à la tradition de notre église. Cela dit, je ne suis pas de votre avis. Il y a bien des recommandations fortes : l’attention à toutes les personnes, quelle que soit leur situation conjugale, en particulier les membres des familles blessées par la misère ou la violence ou contraintes à des migrations ; l’accompagnement des familles dans leur expérience de vie et leur mission éducative ; veiller à la solidarité familiale entre les générations, etc.

De nombreux divorcés remariés attendaient une ouverture sur l’accès aux sacrements. Pourquoi le statu quo l’a-t-il emporté ?

L’appartenance à l’Église et la vie chrétienne ne se limitent pas aux sacrements. Elle s’exprime par une participation habituelle et ­régulière à la vie d’une communauté concrète. Les sacrements ne sont pas un brevet de bonne conduite. Ils sont l’aboutissement d’un chemin par lequel nous essayons de mieux vivre. On ne peut donc pas décider par un décret universel que telle catégorie de personnes a accès aux sacrements sans tenir compte du véritable engagement dans la foi de chacun.

La question des homosexuels a été peu évoquée. Reste-t-elle taboue pour l’Église ?

Le sujet est d’autant moins tabou que c’est une réalité à ­laquelle sont confrontées un certain nombre de familles, et c’est pourquoi nous en avons parlé. Mais il ne s’agissait pas du sujet principal du synode, qui était la mission de la famille. D’autre part, je ne crois pas que les personnes homosexuelles se définissent elles-mêmes par rapport à la famille conçue comme une cellule hétérosexuelle.

Le synode a révélé la variété des pratiques sociétales selon les pays. L’Église peut-elle rester universelle ou doit-elle accompagner au cas par cas ?

Par rapport à d’autres organisations internationales, notre expérience de l’universalité supporte facilement la comparaison. Nous sommes au moins aussi universels que la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont je crois savoir que certains pays ne pensent pas qu’elle les concerne. Avoir une foi commune et un attachement commun à la personne du Christ et à son Église ne signifie pas l’uniformité. Il suffit de voir les pratiques des Églises orientales pour s’en convaincre.

En différentes pratiques, l’Église ne court-elle pas le risque d’une désunion ?

Pour prendre trois exemples, la préparation d’un mariage à Paris n’est pas identique à celle en Afrique ou en Asie. Les réalités vécues ne sont pas les mêmes. De même, la catéchèse des enfants est indissociable de leur contexte de vie et on n’utilise pas le même catéchisme en Russie et en Amérique latine. Enfin, la liturgie se célèbre dans les différentes langues et cultures. Ces différences sont connues depuis longtemps. Elles n’ont pas à être "ratifiées" par une autorité centrale qui se contente de vérifier qu’il n’y a pas de déviance par rapport à la foi commune, en respectant les particularités locales. À ce jour, ces différences n’empêchent pas la communion de l’Église.

Source : lejdd.fr.

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