Interview du cardinal André Vingt-Trois dans Le Parisien pour Pâques

Le Parisien – 27 mars 2016

Ce dimanche est célébrée la fête la plus importante dans le cœur, ou plutôt la foi des chrétiens : Pâques. Mais l’annonce de la résurrection du Christ dans les églises de l’Hexagone prend cette année une tonalité grave. D’abord, parce que la barbarie qui a endeuillé Bruxelles est plus que jamais dans les esprits et que les fidèles, eux-mêmes, vivent avec la menace d’être la cible d’un attentat.

LES ATTENTATS A BRUXELLES : « Le combat ne se fera pas par une guerre des religions »

Comment avez-vous réagi quand la terreur a frappé à Bruxelles ?

C’est d’abord une réaction d’effroi et d’horreur, avec l’impression que le scénario était assez proche de ce qui s’est passé au mois de novembre à Paris, c’est à dire un attentat aveugle qui ne cible pas des individus en fonction de ce qu’ils sont mais qui vise à provoquer une sorte de déstabilisation. Ensuite, j’ai pensé que probablement nous avions eu quelques difficultés à intégrer que nous étions dans un état de guerre durable. Pour nous, l’attentat est de l’ordre de l’imprévisible, avec un côté un peu unique. On est dans une société qui a, depuis 50 ans, complètement évacué le fait de la guerre. Nos esprits n’étaient pas préparés. La répétition montre qu’on n’est pas simplement devant des coups isolés mais devant une volonté stratégique qu’il nous faut essayer de contrer.

Comment expliquez-vous que des hommes soient capables de commettre de tels actes de barbarie ?

Quand on est devant un acte inhumain, il est dérisoire de penser qu’on va l’expliquer. On n’explique pas l’absolu du mal, on le constate. Ceci dit, on peut essayer de comprendre comment des jeunes ayant été scolarisés ont pu basculer. D’une part, ils ont manqué d’esprit critique, ce qui aurait dû être quand même l’un des fruits d’un parcours scolaire, d’autre part, ils ont été séduits. La conjonction des deux aboutit à une aliénation. Une fois que celle-ci est enclenchée, que l’intelligence est prisonnière, il devient très difficile de faire machine arrière.

L’Eglise a-t-elle un rôle à jouer dans la lutte contre les phénomènes de radicalisation ?

Le véritable combat, c’est : Comment désarmer ou désamorcer les pulsions violentes du salafisme ? Cela ne se fera pas par une guerre des religions, donc l’Eglise ne cherche pas un ennemi à combattre : il faut développer au maximum des relations avec des musulmans de façon à ce que la réflexion telle que nous la pratiquons dans nos traditions chrétiennes - l’association de l’intelligence à la démarche de foi - soit un soutien pour les musulmans qui essayent de se dégager de ce courant salafiste. Tous les efforts qui peuvent être entrepris pour introduire une vision critique à l’intérieur de cette mouvance doivent être encouragés.

Doit-elle s’impliquer davantage dans les cités ?

Les quartiers font, bien sûr, partie de nos priorités. Mais déjà dans beaucoup de cités en Île-de-France, les interlocuteurs les plus proches sont des chrétiens qui essaient de faire tout ce qu’ils peuvent pour rendre plus dense le tissu social, éviter l’effet de ghettoïsation, empêcher que les clans se durcissent et deviennent des bandes ennemies. On essaie d’accroître ce rôle tous les jours mais on ne fonctionne pas comme un service public, on est un système de convictions, pas un système de contraintes.

PÂQUES SOUS TENSION : « Une certaine crainte et un sentiment de gravité sont inévitables chez les fidèles »

Quel sens prend Pâques face à tant de haine ?

Les événements fondateurs pour le christianisme, c’est à dire le jugement et l’exécution de Jésus de Nazareth puis l’expérience de la résurrection, portent un double message. Le premier, c’est que l’amour peut aller jusqu’au don total, y compris celui de sa vie, et que c’est ce dynamisme de l’amour qui peut transformer la réalité, et non celui de la haine. Le second message auquel nous croyons, c’est que le don que Jésus a fait de sa vie dans l’amour a été plus fort que la mort. Cela explique notre sérénité dans ces périodes dramatiques. On est confronté à des situations critiques mais on sait que sur la totalité de l’histoire, c’est l’amour qui sera victorieux. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut y avoir des actes de haine. Mais l’histoire de l’humanité ne se résume pas à l’histoire de notre vie.

Pour qui allez-vous prier ?

Je vais prier en priorité pour les nouveaux chrétiens qui auront été baptisés dans la nuit de Pâques, à Paris plus de 400 adultes et 150 jeunes. Je prierai également pour que nos concitoyens entendent un message à travers les événements que nous vivons. Ce message, c’est que le fait d’être attaqués par des barbares ne veut pas dire que nous n’avons rien à corriger dans notre manière de vivre. Il faut accepter que le mal n’est pas seulement ailleurs, mais qu’il est aussi chez nous, en France. Et qu’il ne suffit pas de rappeler les valeurs de la République pour que tout devienne beau.

Les églises vont être pleines ce dimanche. Sont-elles suffisamment sécurisées ?

Les mesures de protection prises par la puissance publique sont utiles et nécessaires ; elles manifestent une capacité de résistance disponible. Mais on sait très bien que le principe de l’attentat est de frapper dans les trous du dispositif et comme celui-ci ne peut être sans trous, il y a toujours le risque d’un attentat même si les forces de l’ordre font le maximum. Tout le monde est invité à être plus vigilant sans pour autant vivre dans la psychose. Une certaine crainte et un sentiment de gravité sont inévitables chez les fidèles, mais on n’est pas dans un processus d’affolement.

L’AFFAIRE BARBARIN : « Je soutiens le cardinal, c’est mon frère »

L’archevêque de Lyon, Mgr Barbarin, est actuellement dans la tourmente pour avoir laissé en fonction des prêtres soupçonnés de pédophilie et d’agressions sexuelles. Lui apportez-vous votre soutien ?

Je ne suis pas le juge du cardinal Barbarin. Je lui apporte mon soutien parce que c’est mon frère, que j’ai confiance en lui et je pense que tout ce qu’il fait ou a fait dans sa responsabilité d’archevêque de Lyon a été significatif d’un engagement très fort dans la lutte contre la pédophilie. Et jusqu’à présent, du moins dans un régime démocratique, ça n’est pas l’opinion publique qui se substitue à la justice.

Avez-vous été choqué par les propos de Manuel Valls qui a invité le cardinal à « prendre ses responsabilités » ?

C’était ce que le cardinal Barbarin avait dit lui-même. A moins de faire du décryptage d’égyptologue, Manuel Valls reprenait les mots de Barbarin.

Mgr Barbarin doit-il démissionner ?

Il n’y a pas de raisons qu’il démissionne.

Ce qui paraît clair, c’est qu’à un moment donné, il a connaissance de faits et au final, le prêtre est maintenu dans ses fonctions...

C’est à l’enquête de le dire.

Peut-on maintenir en poste un curé qui, dans le passé, a commis des actes pédophiles ?

Evidemment, on doit faire tout ce qui est en notre pouvoir pour le mettre dans une situation où il n’a pas de responsabilités à l’égard d’enfants ou de jeunes. On doit le faire, on le fait mais on ne peut l’empêcher de se promener dans la rue et d’aller au supermarché. Les risques ne sont donc pas seulement liés à la mission confiée, c’est un risque lié à la personne.

Peut-on rester prêtre après avoir commis des agressions sexuelles ?

On est prêtre pour toujours, ce n’est pas un costume qu’on accroche à un porte-manteau. La question est de savoir si les responsables hiérarchiques lui confient ou non une mission. Dans la mesure où ça dépend de moi, je ne confie pas de mission qui aurait un rapport avec les faits reprochés et présenterait un risque, de telle façon que cela ne se reproduise pas. Il m’est arrivé par le passé de retirer un prêtre de son ministère auprès de jeunes parce qu’il avait commis des actes de pédophilie.

L’avez-vous dénoncé à la justice ?

Mon devoir, ça n’est pas d’accuser quelqu’un mais de signaler à la justice des faits dont j’ai connaissance. J’encourage les victimes à porter plainte et je peux encourager le prêtre lui-même à se présenter à la justice, mais moi, je ne suis pas juge. Dans un cas précis, j’ai eu connaissance de faits et j’ai été voir le procureur. A lui de faire son enquête. Les victimes qui viennent nous voir sont toujours entendues. Je les invite à faire des dépositions de façon à ce que les faits soient établis.

Etes-vous favorable à la mise en place d’une sorte de numéro vert anti-pédophilie à destination des victimes ?

Cela peut aider mais ce n’est pas la panacée. La ligne téléphonique, c’est un moyen de prendre contact, rien de plus. Même si vous avez des spécialistes en face, ils ne vont pas résoudre le problème au bout du fil. Ce qui compte, c’est la garantie que l’on offre aux victimes qu’elles soient entendues. Rien ne les empêche de parler, d’écrire.

La pédophilie est-elle encore tabou au sein de l’Eglise ?

Je ne vois pas de tabou. Je pense que c’est une épreuve difficile à franchir, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’institutions en France qui l’ait franchie avec facilité. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y en a aucune qui s’est autant investie pour mettre en place une politique de prévention et d’écoute des victimes. Personnellement, j’ai fait appel à des professionnels - magistrat, psychologue… - pour m’aider à examiner certains cas et améliorer la prévention.

Selon notre sondage paru dimanche dernier, 56% des Français ont une mauvaise image de l’Eglise...

C’est bien possible, oui ! Et alors ? Vous me posez la question dans la semaine où Jésus a été arrêté, jugé et mis à mort. Je ne pense pas qu’il avait une très bonne image... Nous ne travaillons pas pour fabriquer notre image. Il n’est jamais agréable d’être mal perçus, mais ça n’est pas vraiment très nouveau.

LES PAPES FRANÇOIS ET BENOIT XVI : « Le pape n’est pas moderniste du tout »

Rome (Italie), jeudi. Le pape François se prête au jeu du selfie avec un réfugié. (Reuters/L’Observatore Romano.)

Contrairement à l’Eglise, les Français ont une très bonne image du pape François...

Il ne fait pas partie de l’Eglise, lui ? Les journalistes ont construit un personnage, tant mieux. Moi, je peux dire que c’est d’abord profondément un homme de foi et de prière, un homme courageux qui ne recule pas devant des décisions difficiles.

Est ce qu’il vous agace parfois ?

Ce n’est pas de l’agacement, c’est plutôt un sentiment d’appréhension dans la mesure où toute une part de ce qu’on montre de lui est essentiellement médiatique. Or, tout ce qui est construit de façon médiatique est fragile, c’est à dire que ça peut se retourner en 24 heures.

Il n’est pas tendre avec la curie et les cardinaux. Vous êtes-vous senti visé par ses attaques ?

J’ai entendu un appel très fort à la conversion, un appel à mener une vie plus conforme à l’Evangile. Si vous êtes surpris que ça s’adresse aux cardinaux, ça signifie que vous imaginez que les cardinaux ne sont pas des chrétiens comme les autres ! Je n’y vois pas d’attaques particulières. C’est au contraire une provocation à mieux faire.

Trouvez-vous ce pape trop moderniste ?

Je ne trouve pas qu’il est moderniste du tout. Ce n’est pas parce qu’il a un comportement sud-américain qu’il est moderniste. Sa culture relationnelle, son estime pour la religion populaire, tout ça, c’est sa personnalité.

Faites-vous partie de ses proches ?

Je pense qu’il en a suffisamment, si j’en crois les rumeurs qui circulent : tout le monde est proche du pape. Je suis l’un de ses collaborateurs, mais on est 200, alors je ne suis pas forcément dans le premier cercle.

Va -t-il venir en France ?

La seule chose que je sais, parce qu’on en a parlé, c’est que dans sa tête, il a des priorités : visiter les Eglises dont il pense qu’elles sont dans une situation fragilisée.

C’est le cas de l’Eglise de France en ce moment, non ?

Peut-être qu’il n’a pas la même appréciation que vous. Il pense qu’il est plus utile d’aller en Centrafrique qu’en France pour dire les choses de manière brutale. De même qu’il a considéré qu’il était plus fécond pour son ministère d’aller à Mexico et La Havane qu’à Madrid.

Benoît XVI « s’éteint lentement » selon son secrétaire particulier. Est-ce que vous avez des nouvelles ?

Je n’ai pas d’information particulière. Compte tenu de son âge, il n’est pas surprenant qu’il s’affaiblisse...

LES CHRÉTIENS D’ORIENT : « On doit aider les chrétiens d’Orient à rester »

Le monde a-t-il suffisamment pris conscience du drame subi par les chrétiens d’Orient ?

Je ne crois pas du tout, mais ce n’est pas nouveau, parce que la situation difficile des chrétiens d’Orient ne remonte pas à l’année dernière, mais à plusieurs dizaines d’années. J’ai plaidé avec ma modeste voix, quand je suis allé à Jérusalem, pour dire que le soutien aux chrétiens d’Orient n’était pas une faveur confessionnelle, mais que c’était une condition de l’équilibre politique du Moyen-Orient. Si les chrétiens disparaissent de cette région, on laisse en face à face des ennemis irréconciliables. Cela suppose qu’on aide les chrétiens d’Orient non pas à venir en France même si ça peut être le cas dans certaines circonstances, mais qu’on les aide à rester. C’est pour ça que la conférence épiscopale de France s’est engagée à financer un plan pour des étudiants à Kirkouk en Irak.

Propos recueillis par Vincent Mongaillard.

Source : leparisien.fr.

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