Catéchèse du cardinal André Vingt-Trois lors des JMJ : Soif d’espérance, soif de Dieu

Paroisse Jésus Ressuscité, Rio de Janeiro (Brésil) – Mercredi 24 juillet 2013

Rencontre avec des jeunes francophones des JMJ de Rio.

Bonjour à tous,

Je suis heureux de vous saluer tous. Je suis le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris. Je suis envoyé aujourd’hui auprès de vous pour transmettre une catéchèse et je suis heureux de rencontrer un groupe aussi nombreux et aussi divers. J’ai rencontré des jeunes de beaucoup de régions différentes de l’Aveyron, de l’Orne, du Pays de Gex, de Nice, de Chambéry, et peut-être encore d’autres lieux.
Ce matin j’inaugure une série de trois catéchèses qui portent sur l’Espérance et sur la mission qui nous est confiée par le Christ d’être témoins de la Bonne nouvelle parmi les Nations.

Dans un premier temps je vais essayer de réfléchir avec vous sur la nature et la force de l’espérance qui nous habite, ou plus exactement sur l’espérance que nous souhaiterions voir nous habiter et qui ne nous habite pas toujours, car nous avons peut-être des raisons de ne pas être très confiants ni dans le présent ni dans l’avenir. C’est une des caractéristiques de notre situation présente. Mais je suis sûr que la semaine dernière que vous avez vécue pour entrer dans les JMJ et les temps que nous vivons ces jours-ci à Rio, l’accueil que nous recevons dans les différentes communautés brésiliennes, comme celles de cette paroisse de Jésus Ressuscité ce matin, sont une première occasion de prendre un peu de distance par rapport à la situation dans notre pays. L’une des difficultés récurrentes, c’est de ne pas se laisser enfermer dans les difficultés que nous rencontrons et à réussir à prendre conscience que la richesse de l’expérience humaine à travers le monde dépasse de beaucoup, non seulement ce que chacun peut vivre dans son existence, mais encore ce qu’il vit dans son milieu, dans son environnement : sa famille, ses amis, le cadre de ses études ou de son travail, bref ce qui fait son petit microclimat.

Chacun de nous a son microclimat où il y a des éléments favorables et défavorables. Il y a des éléments favorables parce que nous en prenons mieux conscience quand nous rencontrons des gens et des jeunes d’autres pays, d’autres nationalités, d’autres situations. Même si les choses nous paraissent difficiles chez nous, nous comprenons que nous sommes finalement dans une situation extrêmement privilégiée, non seulement par les conditions économiques, mais aussi par l’environnement, par le climat, la richesse culturelle, la richesse agricole, bref beaucoup d’éléments qui font que ce que nous découvrons comme éléments de pauvreté et de misère autour de nous représentent finalement une certaine prospérité par rapport à ce que connaît le reste du monde. Mais, il n’empêche, que nous ne vivons pas dans le reste du monde et qu’il faut affronter la réalité qui est la nôtre.

Je disais tout à l’heure que le fait d’être originaires de différentes régions de France nous aide aussi à relativiser un certain nombre de choses tenues comme vérités sociologiques, simplement parce que le journal dans lequel elles sont imprimées, ou le reportage télévisé qui les annonce, donnent l’impression que c’est la situation de tout le monde. Or nous savons bien que ces images ou cette représentation de la situation de notre société est toujours partielle, pour ne pas dire partiale. Beaucoup de gens dans notre pays vivent -si on pouvait encore employer cet adjectif- une vie « normale » ! Évidemment je me rends compte de ce qu’il y a d’anormal à parler de normalité mais enfin la plupart des gens vivent une vie normale, certes pas facile tous les jours, dans laquelle ils rencontrent des difficultés, mais ils ont une vie qu’ils peuvent affronter et assumer. Et c’est une des difficultés peut-être, de la période que nous vivons et pour votre tranche d’âge, d’arriver à se représenter comment les gens vont pouvoir affronter la situation et comment ils vont pouvoir mettre en œuvre les conditions d’une vie normale. Est-ce que cela sera à travers l’engagement du travail ? Nous sommes pris dans une sorte de logique où l’ensemble du système -c’est-à-dire les institutions qui nous entourent, et en particulier les institutions éducatives, mais aussi les familles, les parents qui s’inquiètent pour l’avenir de leurs enfants-, tout le monde tient à entreprendre des études de plus en plus poussées, étant supposé qu’une fois obtenu le diplôme ils seront sauvés. Vous voyez bien dans votre propre histoire ou autour de vous, comment des jeunes qui se sont engagés dans une voie, sans trop savoir pourquoi parfois, changent plusieurs fois de voie, soit parce que peu à peu ils ont découvert des choses plus intéressantes à faire, soit parce que l’objectif c’est d’avoir un diplôme quel qu’il soit. Ensuite, si vous leur demandez s’ils vont vraiment travailler dans le domaine correspondant au diplôme, ils n’en savent rien. Vous conviendrez que ce genre de situation n’est pas de nature à galvaniser une manière d’approcher l’avenir. On a plutôt l’impression que l’on essaye de décrocher une assurance-vie quel que soit le contenu des activités qui y sont liées.

C’est une des questions auxquelles la jeunesse de notre pays est confrontée : est-ce qu’il y aura réellement un champ d’application pour ces qualifications qu’on les presse d’obtenir en leur disant que la formation est le salut de tout ? Mais on ne leur dit pas que la formation ne sert vraiment que si on peut s’en servir...
Un autre chapitre auquel nous sommes très attachés, c’est celui de l’équilibre familial. Nous savons, pour l’avoir éprouvé, que la famille est un lieu d’expérience très riche, un lieu de sécurité, d’affermissement, de maturation. Nous savons que les enfants et les jeunes qui grandissent dans une famille qui tient, acquièrent des qualités personnelles qu’ils peuvent ensuite mettre en œuvre dans leur propre vie. Et nous savons aussi que ce laboratoire, cette expérience formatrice de la vie familiale est fortement compromise dans notre société, non seulement en raison des péripéties que vous avez pu connaître au cours de cette année autour de la loi sur le mariage pour les personnes homosexuelles, mais plus profondément et plus gravement en raison de l’instabilité des familles. Car le problème majeur n’est pas qu’il y ait 2% de couples qui soient homosexuels. Le problème majeur, c’est qu’il y ait 30% de couples qui se séparent. Le problème majeur, ce n’est pas qu’il y ait quelques enfants qui soient élevés par deux hommes ou par deux femmes, c’est plutôt qu’il y ait des milliers d’enfants qui ne sont élevés par personne. Le débat, la polémique et la contestation qui ont vu le jour au cours de cette année à propos du mariage de personnes homosexuelles a eu le grand mérite de nous aider à prendre conscience que la famille est un enjeu important et que cet enjeu ne sera pas défendu par la loi. On peut le regretter, on peut même penser que c’est une erreur, on peut penser aussi que cela ne change pas grand-chose.

Je veux dire par là qu’il y a beaucoup de choses qui sont défendues par la loi et qui n’empêche pas que l’on fasse autrement. Vous avez une limitation de vitesse sur les autoroutes pour éviter les accidents, cela n’empêche pas que les gens conduisent plus vite ! Vous avez des mesures de protection contre les addictions de différents genres, cela n’empêche pas les gens de se droguer. La loi joue un rôle important parce qu’elle veut nous soutenir, nous aider, nous encourager dans des choix difficiles. Mais elle ne peut pas se substituer à nos choix, elle ne peut pas choisir notre vie à notre place. Et c’est une erreur assez répandue dans notre société, dans le monde politique en particulier, que confronté à une difficulté, on va faire une nouvelle loi et tout va s’arranger ! On peut faire une nouvelle loi et tout ne s’arrangera pas. Le problème ce n’est pas d’avoir le système de lois le plus perfectionné possible, c’est de savoir ce que nous cherchons. Qu’est-ce que les hommes et les femmes cherchent ? Que sont-ils prêts à faire pour réussir leur vie ? Dans ce domaine je pense que la réflexion provoquée sur le sens et la force du mariage est très utile car elle nous aide à comprendre que la réussite du mariage, et la réussite de la famille qui en découle, dépendent des décisions, des orientations, des choix de vie personnels et donc dépendent uniquement de notre liberté, y compris pour adopter des modes de vie qui ne se conforment pas à ce que l’on considère comme la loi générale, c’est-à-dire la représentation que se font quelques milieux parisiens sur l’existence humaine…

Voilà un point qui me paraît un point très important, car si beaucoup espèrent et souhaitent une vie de famille harmonieuse, nourrissante, faire l’expérience entre mari et femme d’un soutien mutuel, avoir la joie d’accueillir et d’élever des enfants, tout cela n’est pas gagné d’avance ni fixé définitivement par l’engagement pris devant le maire ou devant le curé. Il faut un réel engagement personnel.
Un troisième ordre de difficulté qui concerne une part importante de la jeunesse de notre pays, c’est sa difficulté à trouver sa place dans la société, pour des raisons très différentes.

Une première raison que l’on n’évoque pas souvent mais qu’il faut avoir présente à l’esprit, c’est une raison statistique. Essayez de chercher dans vos souvenirs, cela ne va pas vous demander de remonter très loin ! Imaginez des familles composées d’un père, d’une mère et de 4 ou 5 enfants, la place des enfants dans la famille c’est 5/7e. Si une famille est composée d’un homme, d’une femme et d’un enfant, la place de l’enfant dans la famille c’est un tiers. Transposez cela au plan de la société, quand la promesse de vie augmente, avec des familles nombreuses rares, les enfants deviennent une denrée précieuse et forcément il y a moins de place pour eux. Si l’on transpose cela sur le plan du choix budgétaire, la question est simple : il va falloir payer des retraites ! Est-ce que c’est un avenir, une perspective d’avenir encourageante de savoir que l’on aura à fournir la retraite pour trois ou quatre personnes ? La difficulté à trouver sa place vient d’abord de la disproportion numérique, mais elle vient aussi de la difficulté d’ouvrir des postes de travail, des professions, dans un système économique de plus en plus performant, où les aptitudes sont donc plus difficiles à réunir. On ne peut pas être performant du premier coup, il faut forcément commencer un jour et acquérir une certaine expérience. Toujours est-il que beaucoup de jeunes ont le sentiment de ne pas trouver leur place dans la société.

À travers tout cela, il y a-t-il une espérance ? Y a-t-il quelque chose à attendre, à construire, pouvant donner la force d’affronter le temps présent ?

Je voudrais dire d’abord que l’espérance est congénitale à l’existence humaine. On a tous besoin d’espérer quelque chose. On a tous besoin d’avoir un objectif, une idée de l’avenir. On a tous besoin de rêver et de travailler pour faire quelque chose de mieux, construire une existence meilleure. Cette espérance chevillée au cœur de l’homme, dans la foi chrétienne, nous l’identifions comme la trace de la création de l’homme par Dieu, qui l’a créé comme nous dit le psaume : « un peu moindre qu’un Dieu ». Cela veut dire que cette création par Dieu a inscrit au cœur de l’homme une ambition formidable, non seulement de réussir sa vie, non seulement de trouver le bonheur, mais encore d’améliorer le monde.

Cette aspiration naturelle à aller vers quelque chose de mieux se trouve combattue par deux types de difficultés. Les premières difficultés que j’évoquais tout à l’heure sont les difficultés que l’on rencontre dans l’existence quotidienne. Et un deuxième type de difficultés apparaissent dans notre cœur. C’est notre résistance devant le combat, non pas notre résistance dans le combat, c’est-à-dire notre timidité ou notre peur, ou notre inquiétude pour savoir si nous sommes -non pas prêts, on n’est jamais prêts- mais si nous sommes décidés à affronter les difficultés. Va-t-on aller au choc ou bien va-t-on renoncer à tout combat et se laisser aller ? On peut vivre de façon très réduite, très resserrée, à l’économie, pendant des dizaines d’années !

C’est cela l’enjeu de l’espérance. Cet attrait pour une vie meilleure, et qui demande de ma part un engagement, un travail, un effort sur moi-même et un effort sur le monde, cette aspiration vais-je lui faire droit, vais-je me laisser conduire par elle ou bien au contraire, vais-je l’étouffer et me recroqueviller dans une sorte d’existence protégée ? L’existence protégée, c’est tout simplement l’existence d’un enfant dans sa famille. Un jour, il faut accepter de quitter le nid pour devenir sujet autonome. Ce n’est pas forcément drôle, cela ne donne pas forcément un genre de vie aussi confortable, une sécurité aussi grande, mais il faut pourtant sortir de cette existence que j’appelle recroquevillée, protégée, et finalement en contradiction avec l’espérance qui habite le cœur de l’homme.

Si on accepte d’entrer dans le combat, si on accepte de devenir vraiment les auteurs de ce qui existe dans notre vie, si on accepte de se retrousser les manches et de se débrouiller, pas forcément dans la matière qu’on a choisie, pas forcément au niveau de diplôme que l’on a obtenu, pas forcément avec la considération de tous ses voisins, qu’est-ce qui va nous permettre de croire que c’est vraiment ce qui va nous rendre heureux ? Sommes-nous vraiment dans la réponse à ce don que Dieu nous a fait en inscrivant l’espérance au fond de notre cœur ?
C’est le cœur de notre foi et le cœur de notre espérance : Dieu a appelé l’homme à la vie pour qu’il vive et pour qu’il connaisse le bonheur. À travers des siècles et des siècles d’histoire, les hommes ont découvert qu’ils pouvaient donner la mort et empêcher leurs voisins d’être heureux. Par conséquent, d’une certaine façon, s’empêcher aussi d’être heureux. Ils ont découvert qu’ils avaient ce pouvoir extraordinaire d’empêcher que le programme s’accomplisse, et ils ont découvert cela en voyant les dégâts, les conséquences, les ruines, les existences brisées. La question à laquelle l’humanité a été confrontée à travers le peuple d’Israël est celle-ci : est-ce que, malgré ses erreurs, malgré ses fautes, malgré les actes de destructions que l’homme a posés, Dieu a abandonné l’humanité ? Ou bien est-il toujours là ? Dieu a-t-il laissé tomber les hommes ou bien Dieu est-il resté fidèle à son acte initial ? Et toute l’histoire du peuple d’Israël est l’histoire de ces réconciliations, de ces renouvellements d’alliance, de ces nouvelles démarches de Dieu qui vient à la rencontre de l’humanité à travers ses prophètes pour l’appeler à une vie nouvelle. Et comme le dit le début de l’épître aux Hébreux, « après avoir parlé aux hommes de différentes manières, en ces temps qui sont les derniers » (c’est-à-dire que c’est la dernière carte, ce n’est pas qu’il n’y aura plus de temps après, c’est qu’il n’y a plus de carte après, plus de nouvelle chance), « il a envoyé son Fils dans le monde et il l’a envoyé pour conclure une alliance nouvelle ».

Jésus de Nazareth, né de Marie et Fils de Dieu, est venu dans le monde non pas pour condamner le monde mais pour que le monde ait la vie. Il est venu vers le monde non pas pour juger mais pour appeler à la conversion -cela ne veut pas dire qu’il est venu approuver tout ce que l’on fait- mais cela veut dire qu’il est venu ouvrir un chemin nouveau qui est la nouvelle alliance conclue dans le don qu’il fait de sa vie. Cette certitude habite notre cœur. Mais ne me demandez pas comment ni pourquoi Dieu a choisi Israël parmi tous les peuples du Moyen-Orient, il y en avait des biens plus forts et des biens plus grands. On ne sait pas pourquoi il a choisi Samuel, on ne sait pas pourquoi il a choisi David, parce qu’il choisit qui il veut, et il ne choisit pas forcément les meilleurs ni les plus forts. Il nous a choisis par toute sorte de mécanisme, d’intermédiaires, de moyens, bref il a fait que la parole du Christ arrive jusqu’à nous. Cette parole du Christ affirme que nous pouvons vivre dans l’histoire de ce monde en étant fidèle à Dieu, et en améliorant le sort des hommes. C’est une richesse, c’est une grâce, c’est une force extraordinaire, et plus nous prenons conscience des difficultés du monde qui nous entoure, plus nous sommes habités par la conviction que cette richesse reçue sans l’avoir méritée, nous oblige vis-à-vis des autres.

Pour terminer je voudrais citer un exemple. Frédéric Ozanam est un jeune bourgeois lyonnais du XIXe siècle qui étudie le droit et se prépare à exercer la profession de juriste ou d’enseignant du droit. Il vient à Paris pour terminer ses études et rencontre des jeunes chrétiens, comme lui, étudiants. Il participe à des rencontres de controverse, et l’un de ses contradicteurs lui dit : vous les chrétiens, vous avez servi à un moment c’est vrai, mais aujourd’hui vous ne représentez plus rien parce que vous ne faites rien pour les pauvres. Frédéric Ozanam est touché par cette parole et avec des compagnons, à 20 ans, loin de sa famille, il se réunit avec ses amis et ensemble, ils vont fonder ce qui deviendra la Conférence Saint-Vincent de Paul, c’est-à-dire une union de jeunes étudiants au service de la misère du quartier de la Montagne Ste-Geneviève. Il continuera durant sa brève vie de professeur à la Sorbonne, car il mourra assez jeune. Je cite Frédéric Ozanam, car on fête cette année le bicentenaire de sa naissance.

Je souhaite que ces Journées Mondiales de la Jeunesse où vous allez pouvoir partager les uns avec les autres cette richesse reçue vous donne la force d’affronter l’existence dans l’espérance que Dieu ne nous abandonne pas et que nous ne serons pas déçus.

Je vous remercie.

+ André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris

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