L’édito de Mgr de Sinety du 22 novembre 2018

« Le risque est grand de nous voir grandir les uns à côté des autres, nous regardant d’un œil méfiant pour ne pas dire défiant, tout en cherchant à se préserver et donc à cultiver un “entre soi” mortifère. » À lire ou écouter : « Nous ne nous rencontrons plus » Chaque semaine, Mgr Benoist de Sinety, vicaire général, donne son regard sur l’actualité au micro de RCF.

Contrairement au XXe siècle où les élites avaient tout intérêt à régler les problèmes des pauvres parce qu’ils étaient militairement et économiquement vitaux, au XXIe siècle la stratégie la plus efficace pourrait être de se débarrasser des classes populaires et de pans entiers des classes moyennes pour permettre aux plus riches de vivre « à fond » : c’est par ce résumé du livre à la mode de Yuval Noah Harari, « Homo Deus, une brève histoire de l’avenir » que la Fondation Jean Jaurès achève la présentation de son rapport intitulé : « 1985-2017 : quand les classes favorisées ont fait sécession ».

Les chiffres sont lapidaires : en trente ans, à Paris tandis que le nombre d’employés et d’ouvriers était divisé par deux, celui des professions intellectuelles et des cadres doublait. Et les chiffres sont assez comparables dans la plupart des grandes villes comme Lyon, Nantes ou Toulouse. Dans les centres, les derniers quartiers où sont cantonnés les plus modestes sont de plus en plus circonscrits tandis que se dilate l’espace où prennent place les plus aisés.

Ces chiffres traduisent, entre autre, le divorce qui semble s’opérer dans notre société : nous nous connaissons de moins en moins les uns les autres car nous ne nous rencontrons plus. La fin du service militaire qui, quoiqu’on en dise permettait à 70% des hommes d’une même classe d’âge de vivre ensemble pendant un an, comme la disparition progressive des colonies de vacances, n’arrangent rien à cela. Si le quartier, l’école, les loisirs, ne permettent plus ces rencontres, le risque est grand de nous voir grandir les uns à côté des autres, nous regardant d’un œil méfiant pour ne pas dire défiant, tout en cherchant à se préserver et donc à cultiver un « entre soi » mortifère.

Les grands stades de foot, où se pressent chaque dimanche des dizaines de milliers de personnes sont eux aussi des lieux témoins de cette évolution. Sport populaire promu en religion mondiale, les tribunes désormais distinguent les riches des pauvres, comme les escaliers qui y mènent. Ce clivage entre la France d’en-haut et celle d’en bas énoncé à la suite du premier tour des Présidentielles de 2002, doit être pour L’Église un appel puissant. Sous nos clochers, qu’il n’y ait ni place réservée, ni ostracisme d’aucune sorte.

Quel défi pour chaque chrétien de se sentir appelé à avancer à contre-courant de ces faux prophètes de la modernité. Si nul n’est étranger pour Dieu, alors nul ne doit être étranger pour les disciples du Christ : ayons soif de rencontrer, de connaitre, d’accueillir… Dans une société qui se morcelle et considère l’autre d’abord comme un problème à régler ou comme un risque potentiel, que les chrétiens soient les prophètes de la seule vraie fraternité, celle que Dieu établit entre tous.

Chroniques de Mgr Benoist de Sinety sur RCF

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