Cardinal André Vingt-Trois : « L’Église n’est pas abandonnée »

Paris Notre-Dame – 28 février 2013

Paris Notre-Dame du 28 février 2013

Alors que Benoît XVI quitte sa charge pontificale dans la soirée du 28 février, le cardinal André Vingt-Trois invite les catholiques à rendre grâce pour son pontificat et à prier pour lui. Dans ce moment où s’ouvre la vacance du siège apostolique, il appelle aussi les fidèles à prier l’Esprit Saint afin qu’il éclaire dans leur choix les électeurs du prochain pape, dont il fait partie. Entretien sur l’actualité de l’Église avec l’archevêque de Paris.

Le cardinal André Vingt-Trois, président de la Conférence des évêques de France, saluant Benoît XVI lors de sa rencontre avec les évêques français, dans l’hémicycle Sainte-Bernadette à Lourdes, le 14 septembre 2008.
© Jean-Michel Turpin

Paris Notre-Dame – Vous attendiez-vous à ce que le pape démissionne maintenant ?

Cardinal André Vingt-Trois – Non, je n’attendais pas que le pape se retire au moment où il l’a fait. Je savais qu’il y avait réfléchi, mais n’avais aucune idée du moment qu’il choisirait s’il devait le choisir un jour. En tout cas, connaissant Benoît XVI comme nous le connaissons, nous sommes assurés que c’est une décision qu’il a mûrement pesée. C’est pourquoi j’ai parlé d’une décision « lucide ». D’ailleurs, malgré sa brièveté, son discours indique bien le cheminement de sa pensée et les arguments qu’il a pris en compte.

P. N.-D. – Pourquoi trouvez-vous cet acte « très courageux » ?

Card. André Vingt-Trois – Nous comprenons bien que c’est une rupture par rapport à la pratique des temps modernes. Benoît XVI n’est pas un esprit séduit par les ruptures. S’il a décidé celle-ci, c’est en surmontant son penchant naturel. C’est pourquoi je pense qu’il lui a fallu beaucoup de courage.

P. N.-D. – Vous avez dit que le pape brisait un tabou avec cette décision. Dans quel sens ?

Card. André Vingt-Trois– En prenant cette décision, Benoît XVI pose un acte libérateur pour ses successeurs. Tout le monde croyait que le pape devait rester en fonction jusqu’à sa mort. Maintenant, on sait qu’il peut se retirer s’il n’a plus les moyens nécessaires pour assumer sa mission.

P. N.-D. – Vous avez connu Benoît XVI comme archevêque, puis cardinal, puis pape. Que retenez-vous de lui ?

Card.André Vingt-Trois – Ce qui me paraît le plus marquant dans la personne de Benoît XVI, c’est évidemment son intelligence et sa culture exceptionnelles dont tout le monde a vu les fruits. Mais plus que cela, je crois que c’est à la fois un homme très humble et très engagé dans la prière et la vie spirituelle. Il a vraiment vécu son pontificat comme une mission reçue de Dieu au service de l’Église et de la vérité pour le bien des hommes.

P. N.-D. – Que retenez-vous de sa venue en France comme pape en 2008 ? Et, plus particulièrement, à Paris ?

Card. André Vingt-Trois – Sa visite en France en 2008 a été un événement très important. Il a permis à notre Église de se rassembler et de manifester sa vitalité réelle, à Paris comme à Lourdes. D’autre part, sa visite au Collège des Bernardins a été l’occasion d’une réflexion sur la relation entre foi et culture qui nous donnait des indications précieuses sur le programme du Collège.

P. N.-D. – Quel a été l’impact du pontificat de Benoît XVI sur la France, sur le diocèse de Paris ?

Card. André Vingt-Trois – Je crois, d’une part, que sa lecture fidèle du concile Vatican II a redonné confiance à beaucoup de catholiques et leur a permis de reprendre une lecture du concile avec conviction. D’autre part, tous les contacts que nous avions avec le pape (lors de son voyage en France ou des rencontres à Rome) ont montré combien il suivait avec attention et bienveillance ce que nous essayons de vivre pour être fidèles à notre mission. Jean-Paul II a aidé les catholiques à reprendre confiance dans le Christ. Benoît XVI a poursuivi cette mission en nous invitant à une plus grande intériorisation de notre foi.

P. N.-D. – Pourquoi célébrer une messe à Paris le 28 février, à 20h ?

Card. André Vingt-Trois – Il me paraît assez naturel d’inviter les catholiques à rendre grâce pour le pour lui au moment où il entre dans une nouvelle étape de sa vie.

P. N.-D. – Vous avez également côtoyé le pape cet automne lors du Synode sur la nouvelle évangélisation d’abord, puis lors des visites ad limina. Que dire de ces moments en sa présence ?

Card. André Vingt-Trois – Dans un cas comme dans l’autre, j’ai été très frappé par la qualité de la présence du pape, sa capacité et sa détermination à écouter les évêques qu’il rencontrait. Nos rencontres, lors de visite ad limina en ont été un exemple frappant. Ce fut d’abord un temps d’échange et de dialogue sur des questions pastorales que nous souhaitions aborder avec lui. Alors que, de mois en mois, nous pouvions constater son affaiblissement physique, nous avons été témoins de la permanence de ses facultés intellectuelles et de son intérêt pour la réflexion commune.

P. N.-D. – Vous sentez-vous un peu orphelin à l’approche de la vacance du siège apostolique ?

Card.André Vingt-Trois – Benoît XVI n’est pas mort. Il nous donne un très grand exemple de foi : c’est Jésus qui est le pasteur de son Église. Le pape n’est que son vicaire. Son retrait ne signifie pas que l’Église est abandonnée et nous sommes invités à un acte de foi plus profond que nos impressions.

P. N.-D. – Et maintenant, quel nouveau chapitre s’ouvre ? A court terme et à moyen terme ?

Card. André Vingt-Trois – Eh bien, il va y avoir un nouveau pape dans les semaines qui viennent et la vie de l’Église va continuer sans aucun doute. Il y aura probablement une période d’adaptation pour le nouveau pape qui découvrira sa mission et pour l’Église qui apprendra à le connaître.

P. N.-D. – Vous allez régulièrement à Rome, pourquoi ? Quel est votre rôle dans les dicastères dont vous êtes membre ?

Card. André Vingt-Trois – Je vais à Rome en moyenne une journée chaque mois pour la réunion de la Congrégation des évêques qui est chargée de préparer les nominations des nouveaux évêques pour un certain nombre de pays. Dans les autres congrégations, nous sommes plutôt des conseillers qui nous réunissons environ une fois par an ou tous les deux ans.

P.N.-D. – Qu’allez-vous faire à Rome ces prochaines semaines en tant que cardinal électeur et membre de congrégations ?

Card. André Vingt-Trois – Nous aurons d’abord une quinzaine de jours de rencontres entre cardinaux pour faire ensemble le point de la situation de l’Église avant d’entrer en conclave pour l’élection du pape proprement dite. Ces rencontres journalières vont aussi nous permettre de mieux connaître l’ensemble des cardinaux.

P. N.-D. – Connaissez-vous les autres cardinaux ?

Card. André Vingt-Trois – Bien sûr, je connais un certain nombre des cardinaux que je rencontre dans les congrégations et les synodes. Et les cardinaux français mieux que les autres évidemment.

P. N.-D. – Qu’attendez-vous du prochain pape ? Quelles qualités doit-il avoir en priorité d’après vous ?

Card. André Vingt-Trois – Évidemment il faut quelqu’un qui ait beaucoup de qualités… Je mettrais en avant sa piété, son humilité, sa capacité à écouter et à comprendre ses interlocuteurs. Mais, pardessus tout qu’il soit un témoin de la foi.

P. N.-D. – Après les congrégations, comment va se passer le conclave concrètement ? Quel sera votre rôle ? Où logerez-vous ?

Card. André Vingt-Trois – Chaque jour, nous aurons des temps de prière communs et des tours de scrutin qui se dérouleront dans la chapelle Sixtine. Nous logerons dans le Vatican, à la Maison Sainte- Marthe qui est réservée à cette fonction. Nous vivrons complètement isolés de l’extérieur.

P. N.-D. – Tout est-il secret dans ce qui va se passer ?

Card. André Vingt-Trois – Oui. Tout est strictement secret. C’est pourquoi je suis toujours rêveur ou scandalisé devant les gens qui vous « racontent » le conclave. En fait, ils n’en savent rien. Ou alors ils sont parjures…

P. N.-D. – Que pouvons-nous, membres du diocèse de Paris, faire pour accompagner ces moments forts de l’Église ?

Card. André Vingt-Trois – Prier l’Esprit-Saint avec ferveur pour qu’il nous éclaire. J’ai proposé qu’on ajoute une oraison à l’intention de l’élection du pape, dans les messes célébrées à partir du 1er mars jusqu’à l’élection. Il faut aussi éviter de se laisser embarquer dans les interprétations fantaisistes qui ne manqueront pas. • Propos recueillis par Ariane Rollier


 Voir le dossier Benoît XVI .

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