L’entretien du cardinal André Vingt-Trois du 21 novembre 2014

La visite du Pape à Strasbourg. Le 40e anniversaire de la loi sur l’avortement en France.

L’entretien du cardinal André Vingt-Trois du 21 novembre 2014
La visite du Pape à Strasbourg. Le 40e anniversaire de la loi sur l’avortement en France.

Retranscription de l’entretien. Le style oral a été conservé.

Radio Notre Dame – On va commencer par la visite du Pape à Strasbourg, c’est mardi prochain avec deux discours attendus devant les institutions européennes, que peut-on en attendre précisément ?

Cardinal André Vingt-Trois – Je pense tout simplement que le Pape va s’adresser au Conseil de l’Europe en rassemblant un certain nombre de propos qu’il a déjà tenus sur l’Europe et en particulier sur la mission de l’Europe dans le monde d’aujourd’hui.

Précisément, la dernière visite c’était Jean-Paul II, et cela remonte, et cela avait marqué les esprits.

Oui bien sûr, et Benoît XVI avait été invité mais n’avait pas eu la possibilité d’y aller, et donc maintenant François répond à cette invitation renouvelée, et je pense aussi avec la conscience que depuis la visite de Jean-Paul II, la situation s’est beaucoup transformée en Europe.

Sur quoi peut-il faire porter précisément, selon vous, son allocution, sur quels terrains est-il attendu ? Le terrain éthique ? Le terrain politique ? Quelle question ?

Je pense qu’il y a trois questions principales en cause. La première est l’essoufflement ou la dispersion des visions européennes sur l’avenir. L’Europe a été fondée sur la base d’une coopération économique entre les six pays fondateurs, et elle s’est développée ensuite, mais cette fondation originelle a toujours marqué les modes de coopération entre les pays européens trop souvent limités à des questions économiques si bien que la conscience que les Européens peuvent avoir de la réalité de l’Europe se réduit souvent à la compétition économique entre les pays ou la compétition économique entre l’Europe et le reste du monde. L’économie est importante pour la vie des gens, mais elle n’est pas le seul critère important, elle n’est pas l’objectif qui permet de mobiliser les énergies pour une vision d’avenir.
Le deuxième point est certainement la question de la fermeture de l’Europe par rapport au reste du monde. Nous voyons bien qu’il y a des tendances lourdes à travers les pays européens pour considérer que notre principal objectif, c’est de préserver notre prospérité et de refouler au loin ceux qui voudraient y participer. En refoulant ceux qui voudraient y participer on refoule évidemment des gens qui ont besoin économiquement de survivre mais on refoule aussi des énergies et des ressources pour l’avenir de l’Europe. Je pense que le symbole que représente Lampédusa dans le paysage européen va certainement apparaître dans le discours du Pape. Lampédusa est le symbole type d’une situation qui concerne l’Europe entière et qui est assumé principalement par l’Italie sans que les autres soient vraiment engagés dans le processus.

Le troisième point, c’est évidemment la question des législations nationales et des législations européennes. Un certain nombre de parlementaires européens voudraient imposer à tous les pays une conception de l’homme qui ne correspond ni à ce que ces pays espèrent, ni à ce qui serait le modèle de référence chrétien d’une humanité épanouie.

Voilà les trois points si je les résume, c’est l’essoufflement de l’idée européenne, comment redonner du souffle au-delà de l’économie. L’autre point c’est la prospérité et l’idée d’Europe forteresse, c’est une conception que le Pape aborde régulièrement. Et puis cette question des législations, de l’éthique. Alors justement, cela nous emmène sur un terrain qui est celui du 40e anniversaire de la loi Veil sur lequel vous voudriez vous exprimer avec un projet de résolution qui sera présenté à l’Assemblée le 26 novembre. Que peut-on en dire ? Pouvez-vous déjà nous livrer quelques réflexions là-dessus ?

Quarante ans, cela fait une génération, donc on a un peu de recul par rapport aux intentions exprimées par la loi Veil et aux espérances qu’elle avait pu susciter chez un certain nombre de gens. On voit qu’elle n’a pas répondu à cet objectif. Si l’on considère, ce qui est toujours sujet à discussion, que les chiffres donnés au moment de la loi Veil sur les avortements clandestins – c’est toujours difficile de déchiffrer les avortements clandestins par définition – mais enfin, si on accepte les chiffres donnés à ce moment-là, on s’aperçoit que contrairement au souhait qui avait été exprimé par Mme Veil et par la loi qu’elle a fait voter, les avortements ne sont pas en régression. Et donc, le fait d’avoir dépénalisé l’avortement n’a pas été une mesure palliative, cela a été au contraire une mesure incitative. Deuxièmement, c’est la dérive qui s’est produite depuis la loi de dépénalisation jusqu’à l’affirmation de l’avortement comme un droit fondamental de la liberté féminine. Or l’avortement, que je sache, n’est pas simplement une question qui concerne le corps des femmes, c’est une question qui concerne un couple, qui concerne au moins deux personnes, et qui concerne l’ensemble de la société. Et donc présenter l’avortement comme un acte égalitaire et libérateur, c’est une entreprise idéologique mais elle ne résiste pas à l’examen. Troisièmement, c’est l’oubli, l’occultation et la dissimulation complète des conséquences tragiques de l’avortement que nous connaissons bien quand on rencontre des femmes qui l’ont subi.

Alors précisément, ce qui sera proposé, c’est une résolution visant à réaffirmer le droit fondamental à l’IVG en France et en Europe. Cela veut dire que c’est une forme, le 26 novembre sera la date anniversaire, d’obstination dans ce que vous dénoncez ?

Oui, c’est un militantisme qui n’est pas nouveau et qui n’est pas surprenant mais qui n’est pas pour autant meilleur. C’est vraiment le développement que nous avions annoncé il y a quarante ans de l’instauration de l’avortement comme moyen contraceptif parmi d’autres. C’est donc vraiment entraîner la jeunesse dans une spirale d’irresponsabilité, c’est-à-dire vers l’idée que, quoiqu’on fasse, il y a toujours des solutions mécaniques qui effacent les conséquences de nos actes.

Comment se fait-il, Mgr, que l’on ne puisse pas poser sereinement ce débat ? Que ce débat soit immédiatement passionnel ? Et que l’on ne puisse pas s’entendre sur le fait que ce n’est pas palliatif mais incitatif, qu’il y aurait une volonté de rendre service aux autres et à chacun en des termes sereins, ce qui est impossible ?

Oui, c’est assez normal car c’est forcément un sujet qui touche aux décisions intimes des gens, entraînant un ressenti très douloureux pour les femmes qui le subissent et qui portent une charge de culpabilité. La manière la plus simple de se débarrasser de la culpabilité… c’est de supprimer le problème, mais quand on a supprimé le problème on n’a pas supprimé la réalité !

L’Église est suspectée d’être en embuscade morale derrière l’avortement ?

L’Église est suspectée de beaucoup de choses mais elle est en embuscade morale derrière toutes les mesures qui peuvent brider et briser la dignité humaine.

Il y a-t-il des mots à trouver pour parler de cette question, un aspect plus consensuel pour toucher le cœur des gens et atteindre cette dimension de l’intimité ?

Non, je crois surtout que ce ne doit pas être un débat purement verbal, mais un débat actif ; le poids de notre parole dépend de notre capacité réelle à accueillir les femmes, à les accompagner, à les écouter, à les suivre quand elles ont subi un avortement, à les accompagner quand elles sont en menace d’en avoir un, et d’être vraiment une instance de recourt.

Merci à la semaine prochaine.

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