L’entretien du cardinal André Vingt-Trois du 8 janvier 2016

Réflexions sur la volonté de créer une unité nationale en France alors que les décisions politiques fragilisent le tissu familial et social. Les questions éducatives et la radicalisation des jeunes.

L’entretien du cardinal André Vingt-Trois du 8 janvier 2016
Réflexions sur la volonté de créer une unité nationale en France alors que les décisions politiques fragilisent le tissu familial et social. Les questions éducatives et la radicalisation des jeunes.

Extrait à partir de l’entretien du cardinal Vingt-Trois le 8 janvier 2015 sur Radio Notre-Dame – anniversaire des attentats de Paris de janvier 2015

[…] Le Président, depuis plusieurs mois, fait appel à la cohésion nationale, au rassemblement, à l’union des Français pour faire face aux dangers qui les menacent. Mais la question est de savoir quels sont les moyens dont les hommes et les femmes de notre pays disposent pour développer un tissu de relations sociales. Il ne suffit pas simplement d’un appel à l’unité. Si le gouvernement traite les Français uniquement comme des individus qui n’ont ni famille, ni solidarité, ni enracinement communautaire, ni foi, ni religion, alors il devient très difficile de constituer un tissu social. Ce sont les corps intermédiaires qui permettent aux hommes de vivre des relations apaisées. Si on les affaiblit ou si on les détruit, on ne permet plus d’avoir cette vision de cohérence. Est-ce qu’on peut, par exemple, développer une vision de l’école dans laquelle les élèves sont perçus comme individus sans famille et sans conviction, sans croyance, sans référence extérieure à l’école ? Ce sont alors des êtres complètement isolés. On dit : on va en faire des citoyens. Mais on ne construit pas des citoyens s’il n’y a pas de solidarité concrète vécue.

Ce n’est pas du communautarisme. L’homme n’est pas fait pour vivre seul. L’expérience humaine montre que l’on vit des solidarités, des relations, des effets de réseaux. Si la République veut faire progresser la cohésion entre les citoyens, il faut qu’elle intègre cette dimension communautaire de l’être humain.

J’attends de la République qu’elle ne nie pas les appartenances, qu’elle ne les traite pas comme des agressions ou comme des fautes.

Au mois de décembre, il y a eu un certain nombre de festivités – on est dans un régime de commémoration perpétuelle – pour le 110e anniversaire de la Loi de 1905 sur la laïcité. On voit bien qu’il y a deux approches différentes de la laïcité. La première est une approche respectueuse des croyances et des possibilités de les exprimer en respectant l’ordre public. Et puis il y a une deuxième perspective qui est l’élimination des croyances. C’est celle des gens convaincus que, pour que l’être humain accède à la liberté, il faut qu’il soit affranchi des religions en général, et des conditionnements en particulier, y compris des conditionnements familiaux. Ce fut un propos très clair de l’ancien ministre de l’Éducation Nationale. Il fallait que l’école puisse affranchir les enfants de leur conditionnement familiaux.

Je pense que c’est une vision erronée de l’être humain, indépendamment de la question des religions. Dire qu’une famille est un conditionnement insupportable pour un enfant, cela veut dire qu’il n’y a plus de réseau familial, que la naissance d’un enfant est le fruit d’une expérience d’éprouvette et que les liens qui unissent des parents à leurs enfants et des enfants les uns avec les autres sont des liens aliénants ! Ce n’est pas une question de religion, c’est une question de compréhension des conditions dans lesquelles se développe l’être humain.

La capacité de résister à des appels fanatiques ou à des risques d’embrigadement ne peut pas se réaliser simplement par une sorte de thérapeutique individuelle. Ce n’est possible que s’il y a réellement une intégration des individus dans une vie sociale. Imaginer que l’on va éviter à des jeunes d’être embrigadés dans le fanatisme uniquement par des parcours individuels, c’est une vision qui me paraît vouée à l’échec. Si l’on veut vraiment que des jeunes échappent à cette tentation, cela suppose qu’on les aide à trouver le tissu social dans lequel ils vont vivre. Cela suppose qu’il y ait des associations, des clubs de sport, des maisons de loisirs, des adultes qui favorisent cette mise en place du tissu social.

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