L’évêque, un éveilleur qui suscite la mission

Paris Notre-Dame du 8 octobre 2013

Le cardinal André Vingt-Trois a été ordonné évêque le 14 octobre 1988, en la cathédrale Notre-Dame de Paris, par le cardinal Jean-Marie Lustiger. Le diocèse de Paris fêtera ce jubilé le dimanche 13 octobre à Notre-Dame, à la messe de 18h30. Entretien avec Mgr Vingt-Trois.

Mgr André Vingt-Trois et Mgr Georges Soubrier, le jour de leur consécration épiscopale par le cardinal Jean- Marie Lustiger, le 14 octobre 1988 à Notre- Dame de Paris.
© D.R.

Paris Notre-Dame : Vous fêtez vos 25 ans d’épiscopat. Qu’est-ce que cela représente pour vous ? Quelles actions de grâce avez-vous envie de rendre ?

Cardinal André Vingt-Trois  : Un quart de siècle cela n’est pas rien ! Cela représente déjà 25 ans de vie, pour moi personnellement cela n’a pas grande importance, il n’y a pas grand mérite à avoir résisté 25 ans, cela dépend des forces que l’on a ! Ce qui est plus intéressant, je trouve, c’est de considérer comment cette convention d’un anniversaire de 25 ans, car c’est une convention finalement, est une occasion de relire les années écoulées, de revoir les grandes composantes fortes du ministère épiscopal à travers ce que j’ai vécu, et je dirais qu’il y a trois époques dans ces 25 ans.

Il y a la première période, de 1988 à 1999, durant laquelle j’étais auxiliaire et vicaire général pour le diocèse de Paris. Une période très intense ! J’avais la chance de participer à des projets assez stimulants comme l’École Cathédrale, les projets médiatiques, ou le séminaire, et en même temps j’avais la charge d’un certain nombre de paroisses dans lesquelles je faisais des visites pastorales de manière perpétuelle : quand j’en avais fini une, j’en recommençais une autre, si bien qu’il y a des paroisses où je suis passé trois fois en dix ans !

P. N.-D. : Vous étiez peu de vicaires généraux ?

Cardinal André Vingt-Trois  : On était le même nombre qu’aujourd’hui, mais il se trouve que j’avais un certain nombre de petites paroisses dans le centre-ville et donc numériquement cela faisait plus de paroisses. J’ai donc effectué ces visites pastorales avec beaucoup d’intérêt : rencontrer les prêtres dans leur cadre, les conseils paroissiaux, voir les différentes initiatives que prenaient les curés pour animer la vie de leur communauté, tout cela était très riche et très diversifié.
La deuxième époque, de 1999 à 2005, comme archevêque de Tours, a été surtout celle de l’ouverture et de la disponibilité pour découvrir une Église, une population, un département, que j’ignorais complètement. Alors que dans la première phase à Paris j’étais « chez moi », je connaissais presque tout le monde, en arrivant à Tours, j’étais un « étranger ». Il me fallait découvrir cette Église, son histoire, ses différences aussi entre l’agglomération de Tours, les petites villes chefs-lieux de cantons et les campagnes, et apprendre à découvrir cette vitalité d’une Église tout à fait différente de celle que j’avais connue à Paris. Là aussi, j’ai fait beaucoup de visites pastorales dans tout le diocèse, et j’ai eu la chance d’arriver à Tours peu de temps après le voyage du Pape et l’année jubilaire de saint Martin. Cela a été un tremplin pour lancer un projet missionnaire pour l’Église de Tours, que nous avons construit progressivement avec le presbyterium et avec les laïcs.

Et la troisième époque, c’est de 2005 à 2013 : cela fait huit ans que je suis archevêque de Paris, mission tout à fait différente car j’ai l’avantage inestimable de connaître Paris et la plupart des organismes, des prêtres, des diacres, etc. J’ai donc une capacité d’imaginer de quoi on parle, ce qui est un avantage considérable, mais je me rends compte que mes possibilités pour rencontrer les paroisses sont très minces. Je me tiens scrupuleusement à visiter chaque dimanche une paroisse de façon à garder un contact physique et spirituel avec le peuple de Dieu, mais je sais bien que ce n’est pas moi qui ai la connaissance fine de l’action pastorale des paroisses, ce sont les vicaires généraux qui ont la charge de faire ces visites pastorales que je faisais autrefois.

Et puis, j’ai la grâce tout à fait particulière, en étant archevêque de Paris, d’être au confluent d’un certain nombre de réalités et de représentants de la société : civils, économiques, politiques, et d’avoir accès à une possibilité de réflexion et de discussion avec eux. Et puis il y a la force considérable que représente le Collège des Bernardins, qui a commencé à fonctionner il y a 5 ans mais qui était déjà très fortement engagé par le cardinal Lustiger. Je pense encore à la grâce très particulière de la cathédrale Notre-Dame de Paris, où je célèbre le plus possible quand je suis à Paris le dimanche soir, là aussi pour entretenir un contact direct avec des chrétiens. Notre-Dame est une sorte de levier, de force spirituelle. Nous avons la chance maintenant d’avoir pu établir la Maison diocésaine dans le voisinage immédiat de la cathédrale, qui ressert ainsi le dispositif autour du centre du diocèse, et encore la grâce de nombreuses collaborations dans toutes sortes de domaines, à la fois de personnes qui exercent leur métier, de volontaires qui acceptent de mettre leurs compétences au service de l’Église d’une façon remarquable à la fois par le nombre et par la qualité des personnes.

P. N.-D. : Je reviens sur votre position d’archevêque de Paris qui n’a pas la chance de visiter les paroisses comme vous pouviez le faire comme évêque auxiliaire ou comme archevêque de Tours. Est-ce un regret ?

Cardinal André Vingt-Trois  : Ce n’est pas un regret, c’est une ascèse. C’est une frustration, que j’assume. Par exemple, depuis 25 ans et même un peu plus puisque j’étais vicaire général avant d’être évêque, depuis 30 ans je n’ai plus de communauté fixe. Chaque dimanche je célèbre avec des gens différents, cela veut dire qu’il faut que je m’adapte à la communauté dans laquelle je me trouve. Par exemple, un dimanche récemment j’étais à Ste-Rosalie dans le XIIIe arrondissement, dimanche prochain je serai à Ste-Claire à la Porte de Pantin, et le dimanche suivant à St-François de Sales dans le XVIIe arrondissement. Ce sont des paroisses tout à fait différentes par la taille, par la population, par la sociologie, par l’histoire pastorale. Je suis leur archevêque à tous et quand je viens, il faut que je sois leur pasteur, mais je dois accepter de le faire en m’appuyant en confiance sur ceux que j’ai envoyés en mission dans ces secteurs-là.

P. N.-D. : Quelle est l’importance et la signification du jubilé d’un évêque pour le diocèse ? En quoi le diocèse est-il concerné ?

Cardinal André Vingt-Trois  : Je crois que ce qui est important ce n’est pas le jubilé de l’évêque au sens personnel. On peut avoir des relations très fraternelles, très cordiales avec beaucoup de gens, je reçois des petits mots très gentils à cette occasion, mais ce qui est important pour un diocèse, ce sont les moyens de vivre une continuité. Il se trouve que je n’ai pas exercé mes 25 ans d’épiscopat à Paris, mais j’avais exercé à Paris auparavant. J’y suis revenu et je crois que ce qui importe pour le diocèse de Paris, lieu très atomisé par la vie urbaine, la circulation, les gens qui passent, c’est qu’il y aient des figures fixes, des figures fortes représentant l’unité dans le présent et une histoire dans la durée. C’est pour cela que je propose des dynamiques pastorales sur plusieurs années, pour que les gens, petit à petit, comprennent qu’ils font partie d’une histoire. Mes 25 ans d’épiscopat font partie de cette histoire.

P. N.-D. :Votre jubilé a lieu à une date proche de la fête de saint Denis. Qu’est-ce qui vous touche particulièrement chez ce saint martyr ?

Cardinal André Vingt-Trois  : Je dirais que ce qui est très fort pour moi, c’est la mission à l’œuvre. C’est-à-dire que ce sont des chrétiens, et parmi eux l’évêque, qui sont immergés dans un monde païen. L’immersion peut être pacifique, inodore, sans accrocs ou sans événements spéciaux, et puis il peut y avoir un moment de folie de l’empereur à Rome qui déclenche une persécution contre les chrétiens et la petite communauté chrétienne se trouve brusquement prise dans un tourbillon. Mais principalement ce qui me frappe, c’est cette disproportion entre le petit nombre, la semence très faible dans l’immense appareil de l’Empire Romain, la semence très faible de quelques personnalités qui ont assuré la vitalité de l’Église et les témoignages de l’Évangile. Je pense que, toute proportion gardée, nous n’avons plus les mêmes contraintes ni les mêmes difficultés, mais nous connaissons la même situation d’une Église immergée dans des cultures qui ne sont pas chrétiennes, et il faut donc rendre témoignage à l’Évangile dans ces cultures.

P. N.-D. : Et comment en tant qu’évêque invitez-vous à évangéliser ? Comment nous aider à ne pas nous décourager ?

Cardinal André Vingt-Trois  : L’évêque doit à la fois être un éveilleur, un initiateur, il doit susciter la mission, constamment appeler à la mission et relancer, car nous avons dans nos communautés chrétiennes des gens qui peuvent avoir des périodes de lassitude, d’assoupissement, d’indifférence. Ils ont des contraintes de vie qui les empêchent d’agir et si on ne relance pas l’appel, ils s’endorment. Il faut donc appeler, relancer, remotiver, c’est le rôle d’initiateur et d’éveilleur de la mission. Et puis il y a le rôle qui consiste à conforter la foi et l’espérance de ceux qui essayent de vivre du Christ, de leur donner des éléments de réflexion qu’ils peuvent utiliser eux-mêmes. Je dois, par la manière de faire, les paroles que je dis, apporter aux gens du « combustible » pour qu’ils fassent fonctionner leur intelligence. Je ne peux pas réfléchir à leur place mais je dois les encourager à réfléchir et à agir, les conforter et les encourager dans la foi. Et puis je dois aussi être témoin de l’espérance – il y a une oraison dans le missel qui dit « sans Toi notre vie tombe en ruine » -, c’est-à-dire que nous sommes perpétuellement dans une société sujette à la dégradation, une société qui va vers la mort, et donc si on n’a pas une espérance chevillée au corps, chaque fois que quelque chose disparaît, c’est une catastrophe, on pense que le monde va s’écrouler. Si Dieu est Dieu, si le Christ est ressuscité et si l’Esprit travaille le cœur des hommes, ce qui disparaît laisse place à autre chose qui apparaît. Mais cela, il faut que je le vive pour le communiquer aux autres.• Propos recueillis par Anne-France Aussedat

PRATIQUE

Messe d’action de grâce dimanche 13 octobre à 18h30 à Notre-Dame de Paris.

Article de Paris Notre-Dame – 8 octobre 2013

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