L’œcuménisme entre dans les mœurs et pratiques locales

Le pasteur évangélique Jean-Jacques Meylan est président de la Communauté des Églises chrétiennes dans le canton de Vaud. À l’occasion de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, Protestinfo l’a rencontré pour lui demander comment se porte l’œcuménisme aujourd’hui.

Propos recueillis par Joël Burri
On a l’impression que plus personne ne parle d’œcuménisme. Est-ce passé de mode ?
En effet, on parle parfois de l’« hiver œcuménique », mais en même temps les Églises n’arrêtent pas de dire que l’œcuménisme n’est pas une branche à option ; c’est une dimension fondamentale de notre pratique ecclésiale. En utilisant mes propres mots, je dirais que l’on est passé d’un œcuménisme « spectacle » à un œcuménisme « de communion », plus profond.

C’est vrai que l’œcuménisme a été « tendance » après Vatican II et les grandes mutations de société des années 1960. Dans les années 1970-1980, l’œcuménisme était un évènement rassembleur qui suscitait l’adhésion et l’enthousiasme – c’est ce que j’appelle un spectacle, sans que cela soit péjoratif. Après il y a eu quelques désillusions, mais je ne suis pas pessimiste. Je crois que désormais le dialogue est installé entre les Églises.

Les célébrations de la Communauté des Églises chrétiennes dans le canton de Vaud (CECCV) en sont un exemple. Au début dans les années 2000, il nous arrivait de remplir la cathédrale de Lausanne. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Je crois que c’est parce que l’on est passé de quelque chose d’attirant par son côté novateur à quelque chose qui fait appel à plus de profondeur. Ceux qui étaient attirés par le caractère novateur, disent aujourd’hui, « c’est du déjà vu, j’ai déjà assisté à une célébration orthodoxe ou adventiste. Zut ! Je n’y vais plus ! » Ça, c’est la culture de consommation caractéristique de notre époque.

Si l’œcuménisme reste au stade de la culture de consommation alors, oui, les gens le désertent. Mais l’œcuménisme a passé au stade d’une valeur profonde, il s’est inscrit dans la durée. Et il est encore d’actualité, il est encore un moteur de progression. D’ailleurs si l’œcuménisme est d’une manière visible un mouvement de société, je crois qu’il est fondamentalement l’expression d’une action divine.
Pratiquement comment se vit l’œcuménisme alors ?

Il y a des exemples positifs, moins spectaculaires qu’avant, mais très nombreux ! Il y a des exemples locaux, comme les célébrations dans chaque région, ou en des lieux comme les camps de Vaumarcus ou à Taizé. Là, ce qui était une innovation dans les années 1980 est maintenant inscrit dans les mœurs et dans une culture. Pour les plus jeunes, c’est devenu naturel. Cela n’a plus l’attrait de la nouveauté, mais c’est quand même là.

On le dit peu, mais l’œcuménisme avec les Églises orientales (non chalcédoniennes) a aussi beaucoup progressé. Par exemple avec les Arméniens, les Syriaques, les Coptes. Les catholiques ont accueilli les orthodoxes à l’eucharistie. L’œcuménisme sera l’un des dix thèmes du Concile panorthodoxe. En 2014, nous avons célébré en Suisse la reconnaissance réciproque des baptêmes. On peut aussi parler de la mise sur pied du Forum chrétien mondial à la fin des années 1990, qui intègre les Églises de quasiment toutes les obédiences.

Donc il y a de nombreuses choses dont on parle peu, mais qui montrent bien que l’œcuménisme reste vivant. Il y a peut-être un certain repli identitaire, mais cela n’a pas fait reculer l’œcuménisme. Il s’est inscrit dans les mœurs et les pratiques locales. On ne peut plus raisonner comme c’était le cas avant en termes d’exclusivité confessionnelle. Quasiment dans tous les milieux on sait que l’on n’est pas le centre de la chrétienté.

Mais c’est vrai que les collègues en activité sont débordés, et souvent l’œcuménisme n’est pas le thème qui est favorisé en cas de surcharge de travail. Quoique ! Il reste des paroisses qui maintiennent des rencontres œcuméniques hebdomadaires de prière, de recueillement ou de célébration de la Parole.

Finalement, on a un changement de posture. Les fidèles aujourd’hui ont appris à vivre des évènements interconfessionnels sans se braquer sur leurs différences.
En effet, il y a un changement de posture. Je ne suis pas dans le secret des cœurs, mais je crois que le sentiment de peur vis-à-vis de la différence confessionnelle de l’autre a disparu.

Même au niveau catholique, où au nom de l’unité de pratique universelle on a fait preuve de réserve – en particulier sur les questions eucharistiques – il semblerait que l’on manifeste aujourd’hui une certaine ouverture offrant plus de liberté aux diocèses et aux communautés locales, ce qui facilite la pratique œcuménique.

Dans le canton de Vaud, les missions communes en sont un exemple ?
Paradoxalement, le processus de reconnaissance et la mise en place des missions confiées aux Églises par la constitution de 2003 et la loi de 2007 ont plutôt affaibli le dialogue œcuménique multilatéral. Par exemple les instances réformées ont développé un autre type de rapport avec la CECCV, après la mise en place des missions communes. C’est comme si leur énergie pour les questions œcuméniques était reportée sur ces missions où seules les Églises reconnues, catholique et réformée sont représentées. D’une certaine manière, le dialogue œcuménique s’est replié sur ces seules communautés puisqu’il se déroule dans des lieux dont les autres Églises chrétiennes sont écartées.

La CECCV a été comme poussée dans les marges des activités comme les aumôneries et d’autres secteurs ce qui affaiblit indéniablement l’œcuménisme qui devrait englober toutes les communautés chrétiennes. Curieusement l’esprit de l’œcuménisme vaudois est comme déterminé et envahit par le rapport des Églises à l’Etat de Vaud alors que c’est notre fondement commun en Christ qui devrait en être le critère ! Il y a de la myopie dans cette attitude, car les missions communes écartent au moins 40% des chrétiens actifs du canton. Par exemple, cela a eu pour conséquence que les négociations des Églises sur la question des migrants et des réfugiés se sont faites sans avoir fait appel aux Églises majoritaires dans les pays dont ils viennent qui ont pourtant une bonne connaissance en la matière.

L’ordination des femmes ou l’accueil des homosexuels semblent être les enjeux qui sont aujourd’hui le plus à même de diviser dans l’Église. Ils ont d’ailleurs été au cœur de la rencontre des primats anglicans la semaine passée. Posent-ils aujourd’hui un défi au dialogue œcuménique ?

Non, je ne crois pas que cela mette à mal l’œcuménisme. Si je prends la situation vaudoise, c’est vrai que la position de l’Église évangélique réformée (EERV) qui a ouvert la possibilité à un rite pour les couples homosexuels a choqué. Elle a crispé les orthodoxes et les évangéliques. Mais cela n’a pas mis à mal notre dynamique communautaire. Nous avons énoncé nos divergences par écrit, mais cela n’a pas péjoré la poursuite de nos activités et de notre dialogue. Cela a permis de clarifier ce qui est commun aux Églises et ce qui est propre à chacune d’elle.

Aujourd’hui, l’interreligieux semble être plus porteur que l’interconfessionnel. Est-ce que l’on va assister un élargissement du dialogue entre croyants ?

Je crois que l’on va un peu vite en besogne. L’interreligieux fait appel à des présupposés qui sont radicalement différents de ceux de l’œcuménisme. Nous construisons notre œcuménisme sur une confession de foi commune : la confession de foi de Nicée-Constantinople rédigée en 381. Toutes les Églises peuvent adhérer à ce fondement commun. Mais quel est le terrain commun dans l’interreligieux, si ce n’est la volonté de vivre ensemble, et la volonté de défendre la cohésion sociale ? Ce qui est certes vertueux voire nécessaire, mais cela ne constitue pas une communauté de foi car nous ne partageons pas les mêmes textes fondateurs ni le même rapport au Christ. L’interreligieux est un problème éminemment politique au sens noble du terme.
Source : Protestinfo.

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