L’Union de Florence (Père Jérôme Bascoul)

Cet article expose à grands traits la problématique historique de ce concile de 1438-39 et ensuite vous dire en quoi son étude a déjà eu et pourrait encore avoir des conséquences positives dans le dialogue œcuménique

Les sources
Concilium Florentinum, Documenta et Scriptores, Institut d’Etudes Orientales de Rome. (Pontificio Istituto Orientale)
a) Documents relatifs à la préparation, du concile (R.P. Georges Hoffmann)
b) Textes faisant connaître le déroulement du concile :
  Acta graeca (édition par le R. P. Joseph Gill).
  L’histoire latine d’André de Santacroce (édition par le R. P. Georges Hoffmann).
  L’histoire de Sylvestre Syropoulos.
  Sermons dogmatiques sur l’union de Bessarion.
c) Littérature polémique
  Visions sur le décret florentin sur l’union avec les grecs de Jean de Torquemada…

En dépit de l’importance du concile de Florence, les sources pour reconstituer son histoire sont limitées et partiales. Quand le pape Grégoire XIII fait rechercher les Actes vers 1520 dans les archives vaticanes, on n’en retrouve aucune trace ! Celles qui sont accessibles sont constituées par les notes d’André de Santa Croce, notaire latin, les Acta latina. La chronique de Jean Plousiadénos – copiste grec unioniste – constitue les Acta graeca. Nous avons enfin Sylvestre Syropoulos anti-unioniste, qui publie ses Memorie ou Description. Sylvestre Syropoulos est un témoin direct du concile dans l’entourage du patriarche Joseph II. Dans ses Mémoires, il s’intéresse à la chronique des événements, mais il le fait pour justifier le « viol » dont les Grecs aurait été victimes du fait du retard du versement des allocations dues. Cette thèse est reprise par l’historien Michel Doukas dans son Histoire byzantine. Parlant du retour des signataires à Constantinople, il leur fait dire : « Nous avons vendu notre foi. » Si la délégation grecque vivait sur les subsides des Latins comme prévu avant le concile, les débats et la possibilité même que Marc d’Éphèse puisse élever ses protestations montrent que les débats furent libres.

Introduction
À travers l’étude du concile de Florence, nous touchons l’actualité du dialogue entre l’Orient orthodoxe et l’Occident catholique et protestant. L’Église du Moyen-Âge qu’on accuse de tous les maux a compris au cours des dix siècles de sa durée que la situation de division n’était pas normale et qu’il convenait que tout soit fait pour réduire le schisme. Florence, c’est la fin d’un processus qui aboutit à un accord doctrinal et à une reconnaissance effective qui durérent une dizaine d’années. Par son rejet Florence entraîne aussi la consolidation du confessionnalisme, qui se définit comme un positionnement qui durcit les désaccords pour les rendre irréductibles. C’est ce processus qui sera à l’œuvre dans la consolidation de la Réforme en Occident. Entretenir la mémoire douloureuse pour consolider les fossés est un risque que prend par exemple le métropolite de Volokolamsk, responsable des relations extérieures du patriarcat de Moscou, quand il déclare qu’il « n’est pas d’accord avec ceux qui considèrent que les Églises orthodoxe et catholique-romaine surmonteront, en fin de compte, leur séparation historique. Car, pour lui, "bien que les fondements de notre foi soient identiques, et le credo presque semblable, les catholiques ont eu une autre représentation de la procession du Saint-Esprit. C’est le premier point. Deuxièmement, pendant presque mille ans d’histoire d’existence séparée, nous avons accumulé beaucoup de contradictions et de désaccords", pour le métropolite il y a aussi les multiples tentatives d’imposer le catholicisme aux orthodoxes, qui ont été entreprises par les catholiques à l’époque des croisades, tandis que de nos jours les uniates en Ukraine déploient une activité anti-orthodoxe . »

Un colloque sur le Concile de Florence
Le concile de Florence illustre le paradoxe d’un concile qui accumule tous les critères d’œcuménicité : présence du pape, du patriarche de Constantinople, de l’empereur d’Orient, d’un grand nombre d’évêques latins et orientaux. Il met au point une véritable procédure de participation pour un authentique débat, arrive à un consensus avec la publication de la bulle Laetentur Caeli et il se trouve pourtant oublié de l’histoire du côté catholique et vu comme un repoussoir du côté orthodoxe. La diversité confessionnelle des intervenants du colloque qui s’est tenu au Collège des Bernardins, le samedi 17 mars 2018, a permis de poser la question : peut-on élaborer une histoire commune entre catholiques et orthodoxes ? Sur le plan académique, la cause est entendue depuis longtemps, mais il faut aussi préparer les matériaux intellectuels nécessaires à l’élaboration d’une histoire commune. L’historiographie du concile de Florence souligne le fait que le pape veut l’union pour mieux asseoir sa primauté face au mouvement conciliaire. C’est dans cet esprit que furent fondées les études orientales chrétiennes du XIXe siècle. La recherche scientifique sert aussi la cause de l’union des Églises, mais selon l’idée que chacun se fait de sa possible réalisation. Un important travail dont nous sommes toujours tributaire fut réalisé par les jésuites et les assomptionnistes dans les années trente en vue de la commémoration du cinquième centenaire de Florence. Ces travaux voulaient contribuer à rallier l’Église grecque à l’Église romaine, avant d’être réorientés dans une perspective plus œcuménique après le concile Vatican II. Le dialogue œcuménique et la recherche scientifique n’échappent jamais complétement au risque d’instrumentalisation, même pour une juste cause. Prier ensemble, travailler ensemble, nous mettre ensemble en quête de la vérité sont les fondements de cette recherche commune de notre unité en Christ.

La problématique historique
Je voudrais donc vous exposer à grands traits la problématique historique de ce concile de 1438-39 et ensuite vous dire en quoi son étude a déjà eu et pourrait encore avoir des conséquences positives dans le dialogue œcuménique. Le dialogue œcuménique, nous le savons, a plusieurs dimensions et enjeux : l’établissement d’une vérité historique qui prenne en compte les sensibilités mémorielles des partenaires. Le dialogue doit distinguer les mystères de la foi commune et les langages qui servent à l’exprimer. Il doit aussi voir dans les causes de dissensions celles qui sont théologiques et celles qui ne le sont pas et on pourrait inclure les lieux communs perpétués par la division qui empêchent le début d’un dialogue : la sainte Vierge Marie entre catholiques et protestants, le Filioque entre catholiques et orthodoxes... Heureusement pour chacun des partenaires, l’expérience d’un partage spirituel dans la prière commune et le témoignage rendu en commun face aux défis du monde contemporain sont plus féconds qu’un dialogue sans précautions, qui tournera vite court. L’histoire est un récit qui tend à se simplifier pour définir un cadre de pensée pratique, ce que l’on appelle le roman. L’historien va devoir revenir aux sources, plus ou moins bien conservées et abondantes, pour redéfinir un nouveau récit. Bien qu’assez récent, le concile de Florence avait perdu beaucoup de ses sources : les chroniques des sessions, du côté latin, les sources « polluées » par la nécessité de la justification d’avoir signé l’union, du côté grec.

Soutenir le dialogue catholique orthodoxe
Chaque dialogue bilatéral connaît ses difficultés. Quand on dialogue avec le protestantisme, il semble que nous n’ayons pas la même conception du dialogue en vue de l’unité. Pour beaucoup de protestants, l’unité doit se conjuguer non seulement avec une légitime diversité, mais avec un pluralisme. La recherche du consensus est perçue comme une volonté de puissance hégémonique, ainsi les divergences portant sur la foi elle-même ne doivent pas être réduites. Le pluralisme dogmatique n’est, de ce point de vue, pas contradictoire avec une participation commune à la même eucharistie. Du point de vue catholique cette conception du dialogue œcuménique est une impasse. Le dialogue entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe pourrait sembler plus simple, puisque nous nous reconnaissons la même foi et les mêmes sacrements. Or, les difficultés - bien que d’un autre ordre - ne semblent pas moins insurmontables. Le dialogue bilatéral engagé officiellement depuis la conférence de Rhodes en 1980 connaît une première grave difficulté avec la non-réception du document de Balamand de 1993 sur l’uniatisme, « méthode d’union du passé ». Il faut en effet attendre la réunion d’Emmitsburg-Baltimore aux États-Unis, du 9 au 19 juillet 2000, sur les « implications ecclésiologiques et canoniques de l’uniatisme » pour constater que le dialogue devait recevoir une nouvelle impulsion des hiérarchies, car les documents de Balamand en 1993 et d’Arricia en 1998 « ont rencontré, parfois des deux côtés, une certaine réserve et même une nette opposition ». C’est pourquoi on a jugé nécessaire que la Commission mixte poursuive sa réflexion pour parvenir à une compréhension commune de cette question extrêmement épineuse. Euphémisme de la Commission qui ne se réunira à nouveau qu’en 2007 à Ravenne. Depuis cette neuvième réunion, celle de Chieti, la quatorzième, s’est tenue en 2016, avec un menu ambitieux : « synodalité et primauté durant le premier millénaire : vers une compréhension commune au service de l’unité de l’Église ».

L’intérêt pour les études orientales dans l’Église catholique
Pour le pape Pie IX (1846-1878) la politique envers les chrétiens est celle du retour au bercail de l’Église et passe par la « mission » auprès des chrétiens orientaux ; la conséquence pour les Églises orientales unies est une latinisation des liturgies, du droit et des modalités de la piété. Que les ordres religieux, franciscains et dominicains, doivent mettre en œuvre. L’inflexion de la politique pontificale se fait sentir quand la tutelle des Églises orientales unies à Rome passe de la Congrégation pour la propagande de la foi à une nouvelle Congrégation pour les Églises orientales en 1917 ainsi que de l’Institut Pontifical pour les études orientales, confié aux Jésuites la même année. Ainsi l’inflexion se fait progressivement sous les pontificats de Léon XIII, Benoît XV et Pie XI ; il s’agit encore de réunir les orientaux dissidents, mais ils doivent conserver l’intégrité de leurs rites (droit propre, liturgie, traditions et piété). « Le concile de Florence a fait l’objet de nombreux travaux d’édition de sources et d’analyses dans les années 30, alors que se préparait la célébration de son cinquième centenaire. Ces ouvrages furent édités par les deux grands centres d’études orientales : celui de Kadiköy (lieu de l’ancienne Chalcédoine, fondé par les Assomptionnistes en 1895) et l’Institut pontifical oriental de Rome. Le but de l’historiographie catholique était alors de démontrer que Rome n’avait jamais failli sur le plan de la foi. Ce champ historiographique était alors complètement investi par des ecclésiastiques, assomptionnistes et jésuites notamment, engagés dans un retour des Grecs à l’obédience romaine . » Toutes cette activité missionnaire va se muer en une approche beaucoup plus respectueuse et pourra au moment du concile Vatican II achever de se convertir en une activité œcuménique, considérant les Églises orthodoxes comme des « Églises sœurs ».

Étudier le concile de Florence, un authentique dialogue pour l’unité
Après quatre siècles de rupture, il y eut une union dogmatique entre les Grecs et les Latins qui fut signée en 1439 et scellée par la Bulle Laetentur Coeli. Elle permettait une alliance politique et militaire pour contenir la pression ottomane. Les attentes d’aide militaire de la part de l’Occident ne furent pas à la hauteur ; la bataille de Varna au Kosovo le 14 novembre 1444 est emblématique. Le roi de Pologne, Jagellon III, conduit la croisade contre Murad II ; la guerre de cent ans et la guerre de succession qui précèdent l’avènement des Habsbourg empêchent les grandes puissances occidentales de s’y investir. L’Union fut rapidement dénoncée par les opposants grecs, tant à Constantinople qu’à Moscou. Cependant, elle fut effective pendant trente-et-un ans, jusqu’au concile de Constantinople en 1484. L’union court donc formellement au-delà de 1453.

Quel profit pouvons-nous tirer de cette expérience historique ? Elle témoigne que les parties séparées et concurrentes de la chrétienté aspiraient à l’unité, une unité qu’elles pensaient pouvoir imposer dans le cadre d’un rapport de force, mais la situation de division était vue comme anormale. Ensuite, Florence témoigne qu’il est possible de souscrire à des formulations de l’un ou de l’autre parti, tout en faisant valoir des différences d’approches comme légitimes. Enfin malgré le poids des facteurs non-théologiques, Florence ne se réduit pas à un jeu politique, puisque des discussions et des échanges sur le fond ont bien eu lieu. En outre, le Mouvement œcuménique moderne lui-même pouvait avoir une dimension politique : celle d’un front confessionnel dressé face au catholicisme.

L’évolution de l’exercice de la primauté au second millénaire
L’étude de l’exercice de la primauté au second millénaire est au programme des discussions entre catholiques et orthodoxes, quand ils auront épuisé ce qu’il en était au premier millénaire. Il se trouve que justement c’est le concile de Florence qui a été la cause d’un certain nombre d’unions, notamment celle de Brest-Litovsk en 1596, qui a donné naissance à l’Église gréco-catholique d’Ukraine. Il est donc important de voir en quoi consiste cette évolution qui ne peut se comprendre que dans le contexte de la rupture entre l’Orient et l’Occident. Cette rupture a été consommée depuis 1054 mais est en fait effective bien avant. L’Église de Rome veut sauvegarder sa liberté face aux nations occidentales qui émergent et veulent affermir leur contrôle sur l’Église pour des raisons politiques et économiques, sans forcément négliger le bien de l’Église. Cette évolution de l’exercice de la primauté se réalise dans le cadre de ce que l’on appelle la Réforme grégorienne. Le pape renforce son pouvoir au moyen de l’exemption d’obédience des ordres religieux aux évêques ; ils dépendent directement de lui par-dessus eux. Ces religieux dévoués peuvent intervenir dans toute la chrétienté notamment pour les procès ecclésiastiques concernant les bénéfices. Les franchises pontificales octroyées aux universités augmenteront aussi l’influence du pape au détriment des souverains temporels et des évêques.

La crise de la papauté, l’échec de l’absolutisme pontifical et l’expérience conciliariste
La courbe historique de la papauté emprunte donc celle d’un absolutisme qui a été la condition historique d’une conquête de la liberté de l’Église en Occident mais au prix qu’elle devienne une puissance mondaine comme les autres nations occidentales. La captivité d’Avignon et le Grand Schisme sont un point d’aboutissement. La résolution du Grand Schisme d’Occident va être le concile de Constance (1414-1418) qui se termine par l’élection de Martin V. L’Église ne peut et ne veut pas se passer d’un pape, mais on aboutit à la promulgation du principe que le concile est supérieur au pape. Cela se traduit par le principe énoncé dans décret Frequens de l’instauration d’une périodicité des conciles pour régler les questions en matière de foi et de mœurs. C’est une réforme continue de l’Église dans sa tête et dans ses membres en matière d’hérésie et de réforme (disciplinaire, financière et administrative). L’Église apprend dans la douleur l’articulation de la conciliarité avec le ministère de communion pontificale. C’est à Constance que se conforte l’idée qu’un concile général de Réforme est la solution aux problèmes de l’Église... Le concile de Bâle (1431-1448) est, lui, l’aboutissement de la limite du principe conciliaire. Sur le fond, l’immensité et la complexité des chantiers engagés ne sont pas plus efficacement traités que s’ils l’étaient par le pape et sa curie, dans la mesure où, finalement, l’assemblée conciliaire conjugue les inconvénients du parlementarisme et l’incapacité à réformer efficacement le fonctionnement de l’Église. Cependant, le travail et la méthodologie du dialogue auront permis une pratique qui pourra porter des fruits pour Florence et pour Trente...

L’ecclésiologie médiévale pour restaurer l’unité
La lutte de l’Église pour limiter les efforts des nations qui cherchent à l’assujettir politiquement et économiquement va aboutir au Grand schisme. Cette crise est provoquée par la querelle du sacerdoce et de l’empire (1076-1122), où l’empereur germanique avait fini par renoncer à l’investiture des évêques par la crosse et par l’anneau. Mais le conflit ne peut que renaître en France. Les investitures sont réglées au profit de la couronne par la Pragmatique Sanction de Bourges (1438) puis par le Concordat de Bologne (1516). La France finit par contrôler la papauté. C’est la « captivité babylonienne » en Avignon. La papauté a donc développé les moyens de sa puissance et suscité l’utilisation de non moins puissants moyens par les nations chrétiennes. Les fondements théoriques de l’opposition à la primauté sont popularisés par Marsile de Padoue dans le Defensor pacis de 1324 qui place l’autorité suprême de l’Église dans les conciles et par Guillaume d’Occam dans son Dialogue de 1343.

Au XVe siècle, l’augmentation des rapports entre Orient et Occident va permettre une meilleure connaissance mutuelle : dans le contexte de la Renaissance, l’Occident s’intéresse aux sources grecques de sa culture, Manuel Chrisoloras ouvre une école de grec à Florence en 1397. Du côté oriental on édite Saint Augustin et Saint Thomas d’Aquin. Le péril extérieur de la pression de l’empire ottoman exercée sur l’empire chrétien d’Orient pousse plus que jamais l’Orient à rechercher des alliés en Occident et notamment auprès de la puissance, étatique et spirituelle, qu’est le pape. La faiblesse de la position du pape Eugène IV par rapport au concile de Bâle le pousse à accepter les modalités d’un dialogue avec examen des sujets de discorde fondé sur « l’Écriture, les conciles et les Pères ». La nécessité du retour des Grecs au bercail de l’Église qu’ils ont quittée selon le point de vue occidental n’empêche pas la reconnaissance d’une ecclésialité réciproque, et le pape ne peut imposer de manière trop absolue la primauté à laquelle il ne renonce pas et qu’il aspire à voir reconnaître par les Grecs.

Les théologies de l’Église au service de l’idéologie
Les doctrines qui vont se développer participent à ce que l’on qualifie parfois dans l’historiographie de judiciarisation de l’Église. « L’Église catholique développe une conscience d’elle-même façonnée par le droit canonique. » Elle oublie donc la dimension pneumatique de sa nature. Des auteurs orthodoxes qui l’affirment y opposent l’Église orthodoxe qui est l’Église du Saint-Esprit, pour reprendre le titre du livre de Nicolas Afanassieff. Il est vrai que le droit fut une arme efficace pour mener la réforme de l’Église et le contrôle de ses intérêts matériels. Ainsi, quand on lit que l’Église lutte contre la simonie et le mariage des prêtres au Moyen Âge, il ne s’agit pas de moraliser des comportements peccamineux, mais de lutter pour la liberté de l’Église face au pouvoir laïc. Ce sont souvent les princes laïcs qui concèdent des terres et des revenus à l’Église. Ils veulent cependant garder un droit de patronage sur des biens, certes ecclésiastiques, mais sur lesquels ils ne veulent pas perdre le contrôle. Le droit de l’Église va donc être un outil au service de la politique des papes. Il va se développer sur une conception de l’Église et va susciter aussi des conceptions qui viseront à affermir le droit des princes sur leurs Églises nationales.

Décrétales, décrétistes, décrétalistes et canonistes
Le moine Jean Gratien est l’auteur de la Concordia discordantium canonum, concorde des canons discordants, rédigée sur dix ans à partir de 1140. Il fait œuvre de compilateur et de commentateur et permet ainsi l’élaboration d’un outil juridique que seul le Code de droit canon de 1917 viendra remplacer. Le Décret de Gratien est aussi à l’origine de toute une littérature qui est l’œuvre des décrétistes. Huggucio de Pise (1140-1210) pose la question de savoir qui peut juger un pape hérétique. Les papes eux-mêmes, avec les décrétales, façonnent une théorie du gouvernement de l’Église, même si à ce stade les limites du pouvoir personnel du pape et celui du concile ne sont pas fixées. Les décrétalistes - ceux qui commentent les décrétales - en donnent aussi des interprétations d’école, notamment quand des questions nouvelles se posent qui n’étaient pas prévues par les décrétales. Après le XIIIe siècle et le développement du droit canonique, les canonistes sont les acteurs essentiels de la vie ecclésiale.

Le développement du gouvernement de l’Église
Après la séparation en 395 de l’empire romain d’Occident d’avec celui d’Orient, les deux parties ne vont cesser de s’éloigner tant au plan politique que culturel. L’autonomie relative des papes par rapport à l’empereur et la nécessité de trouver de nouveaux protecteurs comme les Francs vont permettre à la papauté de se prévaloir de la Donation de Constantin par laquelle le premier empereur chrétien était réputé avoir donné l’Imperium au pape Sylvestre pour prendre en main les destinées de l’Église latine. Les papes assument désormais une part des prérogatives et des modes de fonctionnement de l’empire et prennent aussi le titre de pontife autrefois dévolu à l’empereur. Face à l’empereur le pape est le princeps de l’Église qui est le princeps senatus. Il y a une symétrie entre les deux qui va s’exprimer dans la préséance à Florence où le pape et l’empereur, flanqué de son patriarche, se font face. Les cardinaux ne sont plus seulement des membres du clergé de Rome mais ils assument en collège la fonction du Sénat de Rome. Pour affermir la réforme intérieure, Léon IX (1002-1054), le pape de la rupture d’avec Constantinople, crée des cardinaux non italiens. Sous Nicolas II (1059-1061), les cardinaux obtiennent, à la place du peuple romain, le droit exclusif d’élire le pape. La réforme grégorienne se fait aux dépens des familles romaines et de l’empereur du Saint-Empire romain germanique qui suscite des antipapes. Le collège des cardinaux obtient des privilèges, au point qu’il devient incontournable pour le gouvernement de l’Église et qu’il possède en 1289 la moitié des revenus de la papauté .

La question du pouvoir plénier du pape
Si la primauté du pape sur toute l’Église s’affirme depuis Léon le Grand (440-461), au XIIIe siècle, l’absolutisme pontifical va être progressivement renversé. Sur le plan théorique, les canonistes sont majoritaires pour affirmer la suprématie du pape sur les conciles et sur le collège des cardinaux, mais certains affirment que celui qui est élu à la tête d’une corporation agit en son nom et non à titre personnel. C’est ainsi que l’Église est bien une congregatio ou aggregatio fidelium, qui exerce le dominium, donc le principe du pouvoir dans l’Église est bien dans le peuple, mais selon le pape Innocent IV (1180-1254) le pape seul en possède la plena potestas. Mais alors d’où lui vient ce pouvoir ? Le décrétaliste Henri de Segusia (+1271) répond qu’au moment de son élection le pape reçoit une délégation de pouvoir du collège qui l’a élu, collège qui représente lui-même toute l’Église et qui peut donc limiter le pouvoir qu’il délègue.

Le concile de Lyon II (1274)
C’est un concile d’union sans lendemain. Grégoire X et Michel VIII Paléologue ont un ennemi commun, Charles d’Anjou roi de Sicile, qui veut réduire Constantinople. Le pape veut d’abord reconquérir par la croisade la Terre Sainte perdue et réunir à lui Grecs et Arméniens et aussi amener à la foi les Tatars, qui, eux, ont envoyé une ambassade. L’empereur se rend à Lyon en 1274, mais ne réussit pas à imposer l’union à son clergé et à la cour. À cette époque, la théologie scolastique s’autonomise, devient plus spéculative et s’éloigne de la pratique grecque. Bien que discutées à Constantinople, les questions doctrinales sont rapidement arrêtées entre le 24 mai et le 6 juillet, l’ex-patriarche Germanos, secrétaire d’État de l’empereur, ne peut que s’incliner. La question du filioque est devenue le symbole de la soumission aux exigences latines, puisque le pape avait exigé que les Grecs l’insèrent dans leur récitation du symbole de Nicée. Cela permet de voir déjà le progrès qui sera accompli en 1439, dans la Bulle Laetentur Caeli. À Lyon, l’union ne peut être envisagée que comme une soumission des Grecs qui doivent ratifier une déclaration pontificale sans possibilité de la discuter. Michel VIII impose par la force ses vues unionistes, il fait incarcérer Jean Bekkos. Ce dernier étudie en prison le recueil de Nicéphore Blemmides (+1269) sur le filioque, notamment la problématique de l’équivalence ou non de ek et de dia dans la procession du Saint-Esprit, ce qui, lui, permet d’évoluer vers une position unioniste. Sorti de prison, il est choisi comme patriarche de 1275 à 1282 avant d’être à nouveau incarcéré par les anti-unionistes et de subir le martyre. Ses travaux pourront resservir dans les discussions de Florence.

Le contexte grec
Après le schisme de 1054 qui correspond à la situation du plus grand éloignement entre l’Orient grec et l’Occident latin, les croisades seront l’occasion d’une confrontation nouvelle qui aboutira à une incompréhension encore plus grande, mais qui ne sera pas sans influences réciproques sur les deux parties de l’Église. Au XVe siècle, le despotat de Morée dans le Péloponnèse, qui survivra quelques années à la chute de Constantinople, est l’illustration d’un affaiblissement progressif de l’empire byzantin à cause de ses divisions internes entre les dynasties Cantacuzène et Paléologue et la dépendance pour l’empire qui en résulte envers les Ottomans et les puissances occidentales. La figure de Gémisthe Phléton (vers 1355-1452) se détache dans ce contexte : ce philosophe néo-platonicien est le maître de deux personnalités byzantines importantes du concile de Florence, Basile Bessarion et Marc Eugénikos. Gémisthe Phléton renoue le lien idéologique entre la philosophie platonicienne des Grecs anciens et le christianisme byzantin. Il rencontre et influence à Florence l’humaniste paganisant Marcile Ficin.

À Thessalonique et Constantinople, deux des trois parties de l’empire qui ne sont pas encore ottomanes, l’empereur Manuel II Paléologue (1391-1425) peut soutenir une dispute théologique « avec un musulman » ou sur la procession du Saint-Esprit. Démitrios Cydonnes intellectuel pro-latin et Manuel Calécas, son disciple qui deviendra dominicain, sont les représentants d’une théologie chrétienne orientale spéculative et anti-palamite.

La doctrine de Grégoire Palamas (1296-1359), archevêque de Thessalonique, fonde la doctrine de la divinisation de l’homme, non par un accès à la nature ou essence divine, inaccessible et imparticipable en elle-même, mais à ses énergies incréés. Cette position que l’on pourra sans doute opposer à la théologie de Saint Thomas d’Aquin. Mais Palamas est aussi le soutien de l’hésychasme, pratique ascétique, qui permet d’accéder à la vision de Dieu, ce qui est une traduction de la vie de l’Esprit Saint en nous, mais qui fut l’objet d’une polémique entre les partisans d’une théologie scholastique latine et ceux qui, comme Palamas, voulaient défendre l’orthodoxie. À cet égard, les moines du Mont Athos sont les gardiens de l’hésychasme et du palamisme qui sont désormais les caractères confessionnels de l’orthodoxie anti-unioniste. Le palamisme devient la théologie officielle entre 1369 et 1397.

L’école du parlementarisme : Bâle 1531
Le contexte qui précède Florence est celui d’un pape, Gabriel Condulmaro, Eugène IV, prisonnier des décisions de son prédécesseur Martin V Colonna, concernant un concile qu’il n’a pas convoqué. Il est aussi obligé de confirmer comme légat le cardinal Julien Césarini, ce même Césarini que Martin V avait chargé de réduire la révolte bohémienne. La situation du nouveau pape est précaire, car ses ennemis sont nombreux, à commencer par la famille Colonna solidement installée dans les offices données par le pape précédent et qui défend ses intérêts contre le nouveau. Le duc de Milan, Philippe-Marie Visconti, l’empereur Sigismond qui poussent au concile sont en même temps des rivaux...

Les dispositions des Grecs à l’union au XVe siècle
L’empereur Manuel II et son fils Jean VIII co-empereur veulent l’union pour des raisons militaires et parce qu’une foi commune est un ciment idéologique, c’est l’espoir de la fin du triangle pervers entre Latins, Grecs et Turcs. Avec l’union, on a les chrétiens contre les musulmans. Du côté des opposants à l’union des Églises, il y a le clergé, mais il faut distinguer d’une part, le clergé de la cour et les évêques qui peuvent avoir des sympathies latines et, s’ils n’en n’ont pas, sont de toutes manières prudents face à l’empereur, et, d’autre part, les moines qui sont populaires avec leurs statut d’ascètes et de prophètes, et farouchement antilatins. D’une manière générale, le peuple grec garde contre l’Occident le souvenir des croisades, puis de l’hégémonie des conquérants occidentaux : Normands, puis Angevins et enfin la Grande Compagnie catalane. Tous ses acteurs faisaient des latins des ennemis comparables aux Turcs. Il y a aussi le ressentiment envers Venise et Gènes qui profitent par leurs établissements orientaux de privilèges et d’exonérations dans l’empire, alors que les Grecs sont écrasés d’impôts par la curie impériale. Le concile général était pour les Grecs unionistes la seule possibilité d’imposer les décisions au peuple et en particulier au parti monastique.

Le cas de la Grande Compagnie catalane ou les ambiguïtés de la présence occidentale en Orient
Le dynamisme des Espagnes dû aux débuts de la reconquête, vont amener les principautés ibériques à jouer un rôle croissant en Méditerranée. C’est l’empereur Andronic II qui fait appel à 6000 mercenaires catalans (Almograves) ; ces « routiers » sont présents avec femmes et enfants. Il s’agit de combattre les Turcs en Asie mineure, tâche dont ils s’acquittent avec une redoutable efficacité de 1303 à 1304. Leur commandant est un ancien Templier, exclu de son ordre pour vol, Roger de Flor, élevé à la dignité de mégaduc par le basileus qui le maria aussi à une princesse byzantine. Entre 1304 et 1308 la Compagnie vit du pillage en Thrace ; les Catalans se livrent à un massacre à Gallipoli en 1305 et y fondent un royaume. Le capitaine Bernat de Rocafort pille le Mont Athos en 1308. Les catalans sont aussi divisés entre eux, puisque Bernat de Rocafort tue un autre chef, Berenger d’Entença, en 1308. Les Catalans jouent donc leur propre partition, ils peuvent se retourner contre leur commanditaire byzantin, ce qui les rend plus redoutables que les Turcs, ou du moins autant parce que les Ottomans pratiquent la réduction en esclavage des populations conquises. Les Catalans n’y répugnent pas non plus ; ils se battent contre les Bulgares, ennemis des Grecs, mais aussi des Génois, des Vénitiens et des princes latins de Grèce comme Gautier V de Brienne duc d’Athènes. Ils arrivent à fonder un état en 1311 qui va se maintenir jusqu’en 1391. L’exemple de la Grande Compagnie catalane, nous rend conscients de la diversité des acteurs et des dynamiques qui rendent les choses plus complexes. Nous pourrions ajouter les guerres civiles qui touchent l’empire byzantin lui-même, et les rivalités internes à l’empire ottoman qui retardèrent l’engloutissement de l’empire romain. Enfin nous sommes encore dans le régime de la féodalité qui peut même l’emporter sur les solidarités confessionnelles.

Le concile à Ferrare en 1438
Si le concile convoqué à Ferrare se veut la continuité de l’assemblée de Bâle, c’est bien une autre étape qui s’ouvre sous le contrôle pontifical. Le pape Eugène s’y rend en personne. Il pourra accueillir le 4 mars l’empereur d’Orient et le 8 mars le patriarche Joseph II. Les Grecs ont définitivement opté pour se réunir autour du pape et l’empereur invite l’assemblée de Bâle à les rejoindre à Ferrare. L’empereur Sigismond soutient Bâle, mais meurt en décembre 1437. En mars, la diète de Francfort déclare sa neutralité entre Bâle et le pape. Le cardinal Julien Cesarini, légat et président du concile de Bâle dont les relations avec Eugène IV n’étaient pas simples, rejoint Ferrare le 9 janvier 1438. Le concile de Bâle poursuit sa dérive parlementariste qui va jusqu’à la déposition d’Eugène IV lors de la 39e session du concile de Bâle, le 25 juin 1439. Le pape ne peut mépriser le concile Bâle qui fut toujours soutenu par l’empereur Sigismond et l’influente université de Paris ; c’est donc officiellement un transfert. Dès le 9 avril il y a eu une proclamation conjointe des Latins et des Grecs sur l’œcuménicité du concile. C’est le 9 avril qu’a lieu la session inaugurale du concile. L’empereur et le pape déclarent le concile légitime et œcuménique. Les débats doivent être menés rapidement, parce que, du côté latin, il faut réussir là où Bâle a échoué et que le coût d’entretien de la délégation grecque n’est pas négligeable. Du côté oriental c’est bien la question de la défense de Constantinople qui est urgente ; c’est pourquoi la délégation grecque ne veut pas entamer les discussions avant qu’un maximum de princes soit représenté pour envisager la défense militaire de l’empire byzantin. Les Latins, eux, veulent entrer rapidement dans le vif du sujet.

Concurrence entre le concile et le pape Eugène IV
Dans la perspective de l’union, on institue des conférences gréco-latines avec Critoforo Garatoni, légat d’Eugène IV en vue de préparer le concile d’union en juin 1433. Mais, dès le pontificat de Martin V, les négociations avaient été engagées. Le lieu du concile devait être Constantinople, si la situation sécuritaire le permettait, à défaut une ville de la côte est de l’Italie, mais les Grecs n’ont jamais voulu envisager Bâle et le concile de Bâle n’avait pas l’intention de se déplacer. L’assemblée bâloise avait établit le décret Sicut pia Mater du 7 septembre 1534, fruit des négociations avec les émissaires grecs. Mais dans le préambule, les Grecs sont assimilés aux Bohémiens, ce dont ils s’offusquent violemment. Le concile de Bâle ne peut envisager son déplacement sans avoir l’air de se rendre aux exigences pontificales De plus, le concile finit par s’arroger tous les droits que le Pape lui contestait, en matière financière, notamment, en promulguant une indulgence le 14 avril 1436. L’empereur Sigismond désespère de l’assemblée et quitte Bâle en 1435. En 1437, des divisions se font jour entre les députations, et d’éminents conciliaristes partent : Nicolas de Cues, les évêques de Braga et de Porto. Deux flottes, celle du concile et celle du Pape, se présentent à Constantinople pour embarquer la délégation byzantine alors que les négociations ne sont pas terminées. Le risque d’affrontement est réel au point que Jean de Raguse, l’ambassadeur du concile, et l’empereur tentent la conciliation, un envoyé du concile en mission vers Constantinople avait été tué alors qu’il était sur un bateau commandé par Antonio Condulmaro, neveu du Pape. Le départ de l’empereur du patriarche et de leur suite a lieu le 24 novembre 1438. La victoire d’Eugène se traduira dans la bulle Moyses vir Dei du 23 aout 1439 où il règle ses comptes avec le concile "un assemblage de réprouvés" qu’il n’a plus besoin de ménager. Il tend à mettre en cause sa légitimité, alors qu’il a dû composer avec. Revenant sur le concile de Constance sur lequel Bâle fonde son action, Eugène IV minimise la portée du décret Heac Sancta, par lequel le concile s’élevait au-dessus de tous, puisque présidé par le Saint-Esprit et rassemblant toute la chrétienté, en affirmant qu’il ne représente qu’une seule obédience pontificale sur les deux.

Dispositions des Grecs à l’union
À Constantinople le ministre de Bâle, Jean de Raguse est isolé et n’arrive pas à décider au minimum les Grecs de venir ne fusse qu’à Avignon ville proposée par Bâle. Le 1er mars 1437, les Turcs font savoir qu’ils refusent la possibilité aux patriarches d’Antioche, d’Alexandrie et de Jérusalem un déplacement hors de leur territoire ; c’est ainsi que Marc Eugénikos et Georges Scolarios sont choisis pour représenter Alexandrie, et Isidore de Kiev pour représenter Jérusalem. Les mêmes sont choisi pour rassembler la documentation nécessaire pour les discussions futures ; le moine Athanase au Mont Athos est chargé de réunir des manuscrits pour étayer les débats à venir sur l’autorité de l’Écriture, des conciles et des Pères Grecs.

La question du purgatoire
C’est la question qui semble la plus simple à résoudre. Elle réunit les deux comités - latin et grec - du 4 juin au 7 juillet. Les discussions n’aboutissent pas et montrent aussi que la doctrine orientale n’est pas fixée, mais que la doctrine latine ne leur paraît pas acceptable.

Le concile à Florence 1439
Inauguré à Ferrare, le concile se transporte à Florence à l’invitation de la famille Médicis, qui se propose de prendre en charge les frais et indemnités promis pour l’entretien de la délégation grecque.

La discussion sur l’ajout du filioque dans le credo de Nicée par les Latins
Les 8 et 13 octobre ont lieu les 1re et 2e sessions. Le 16 octobre, lors de la 3e session, Marc d’Éphèse rappelle l’interdiction des conciles de changer la foi ; lors des 4e et 5e sessions des 20 et 25 octobre, André de Rhodes répond que développer n’est pas la même chose qu’ajouter. Aux 6e et 7e sessions des 1er et 5 novembre, Bessarion distingue l’ajout d’un développement à la foi d’un développement de la foi. Le 8 novembre, à la 8e session, André de Pirano affirme qu’un changement d’énoncé laisse la foi intacte. Enfin lors des 6 dernières sessions, du 11 novembre au 16 décembre, Julien Césarini argumente face à Marc d’Éphèse, en disant que pour connaître l’intention du législateur on doit distinguer le contenu de la foi de la forme de ses énoncés.

Le débat sur la procession du Saint-Esprit
C’est dans cette discussion, croyons-nous, que le concile produit le meilleur fruit : une question polémique qui joue le rôle de marqueur confessionnel va trouver une solution dans ce que l’on appelle aujourd’hui la pratique du consensus différencié. Sur la forme on adopte le débat, c’est-à-dire un exposé et une réponse, méthode préférée aux interminables monologues des autres sessions. Par commodité on discute en comité paritaire de quarante membres, étant entendu qu’ultimement c’est bien le concile avec tous ses participants qui doit se prononcer. La délégation grecque ayant accepté le transfert du concile à Florence, les sessions sur la procession du Saint-Esprit vont courir du 2 mars au 15 avril. Du 5 au 14 mars se tiennent les 2e, 3e, 4e et 5e sessions. Réponses de Marc Eugénikos au dominicain Jean de Montenero sur ses arguments scripturaires et patristiques. Du 17 au 24 mars, les sessions 6, 7 et 8 sont consacrées à un exposé d’Eugénikos sur la procession ex Patre et aux réactions de Montenero sur les différences de croyances entre Grecs et Latins sur le sujet. Il faut noter que Montenero était d’accord pour la spiration du Saint-Esprit par le Fils, qui se justifie par Jean 16, 15, car recevoir l’être du Fils signifie un engendrement. Comme argument patristique, Montenero se fonde sur le Contre Eunome de saint Basile de Césarée. Mais les différences entre manuscrits pouvaient donner raison à Marc ou à Jean . Il est à noter que les Pères de l’Église commentent Jean 14, 26 et 15, 26 avec profusion de vocabulaire, pour parler des Esprit Saint, Père ou Esprit Saint, Fils, certains affirmant qu’« il procède du Père
par le Fils ». Aucun ne parle de procession du Saint-Esprit par le Fils. Les théologiens grecs ultérieurs vont faire de cette absence d’expression de la procession du Saint-Esprit par le Fils une doctrine positive : « Le Saint-Esprit procède du Père seulement . »

La conclusion des débats
Le 18 mars, on fit allusion à la Lettre de saint Maxime le Confesseur à saint Marin de Chypre qui rapporte que le pape « ne faisait pas du Fils la cause du Saint-Esprit, car il ne connaissait qu’une seule cause au Fils et à l’Esprit : le Père ». Cette autorité ayant été agrée par Jean de Montenero, le patriarche alla rencontrer Joseph II pour plaider que cela suffisait à conclure l’accord. Le pape Eugène IV voulu quand même que le Dominicain réponde à Marc, qui ne voulut plus se présenter en session sur ce sujet. Le 21 mars 1439, Jean de Montenero articule son discours sur l’Écriture, les docteurs latins, les docteurs grecs et une réponse aux objections antérieures de Marc d’Éphèse. Sur le plan scripturaire l’expression l’Esprit du Fils implique qu’il s’agit d’une relation d’origine et non de prépondérance entre les deux personnes divines, même raisonnement pour le verset johannique « le Saint-Esprit que le Père enverra en mon nom » (Jean 14, 26) « la mission temporelle du Saint-Esprit présuppose nécessairement qu’il tient son origine de la Personne qui l’envoie » fait le raisonnement à partir de Saint Augustin : « L’Esprit procède principalement du Père en ce que le Père est le principe premier et source de toute divinité, qualité que ne possède pas le Fils ; néanmoins, comme la nature divine du Père et du Fils est une et la même et égale pour les deux, le Père n’est pas une cause plus complète et plus parfaite de l’Esprit que le Fils . Les deux sont un seul et même principe de L’Esprit, ils ne sont pas deux principes ou causes, même si Saint Basile dit que le Fils vient après le Père et l’Esprit après le Fils . » Si l’Esprit nous rend semblables au Fils, c’est que l’Esprit reçoit du Fils par mode de procession. Ensuite Montenero passe aux Latins citant entre autres le pape Hormidas : le propre de l’Esprit est de procéder du Père et du Fils en l’unique substance divine » position reprise ou avalisée par les conciles.

Réfutation des arguments de Marc d’Éphèse par Jean de Montenero (provincial des Dominicains de Lombardie)
Marc avance un texte de Grégoire de Nazianze qui affirme que l’Esprit est issu uniquement du Père. Pour Montenero cela ne veut pas dire que le Christ soit exclu de la procession car si « Nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils » pourtant l’Esprit connaît aussi donc un silence n’est pas une négation ! « Tout est commun aux trois personnes sauf lorsque les relations d’origine s’y opposent ». Ce qui est propre au Père c’est d’engendrer, le propre du Fils est d’être engendré, « le pouvoir de inspirer qui produit l’Esprit n’est propre que dans un sens plus large et cette fois propre à tous les deux ensemble, bien que la procession qui s’ensuit soit dans le sens le plus strict propre à l’Esprit » (p. 203) « le Fils tient ce pouvoir du Père, de sorte que le Père est la source première et le premier principe ». Montenero conclut : « Les Écritures Saintes et le témoignage réuni des Pères grecs et latins montrent que l’Esprit est bien du Père et du Fils et qu’ils sont un seul principe, et qu’on ne peut nier qu’ils sont un même principe à moins de faire une distinction, ainsi qu’ont fait les ariens, entre la nature du Père et celle du Fils. » (p. 204) Si Georges Scholarios et Bessarion sont convaincus que les Pères (Basile et Épiphane notamment) ont affirmés le per Filium, Marc affirma toujours ne pas reconnaître cette doctrine, sinon comme une altération de la foi par les latins.

Les saints ne peuvent errer en matière de foi
La délégation grecque à Florence est pauvre sur le plan théologique ; les prélats sont traditionalistes, c’est-à-dire antiphilosophiques. Aussi l’empereur avait-il eu soin de faire ordonner Marc Eugénikos, Bessarion et Denys et deux philosophes païens, Gémiste Pléthon et Georges Amiroutzès, font partie de la délégation grecque pour pouvoir conseiller les byzantins face aux champions scholastiques latins. Georges Scholarios et Sylvestre Syropoulos témoignent dans ce sens. Ce qui enlève l’adhésion des Grecs, c’est l’affirmation que les Latins ne conçoivent qu’une seule cause au Saint-Esprit, et que les Pères grecs invoqués par Montenero affirment que l’Esprit est issu des deux. Marc ne pouvait trouver un seul Père qui eut affirmé « L’Esprit procède du Père seulement » et l’Écriture affirme que l’Esprit procède du Père sans dire rien dire de la procession par le Fils. La diversité d’opinion entre les saints ne fait qu’expliciter la même foi puisqu’ils sont tous spirés par le même Esprit ; c’est cette conclusion qui enleva l’adhésion des Grecs. Le ek « du Fils » des Pères latins et le dia « par le Fils » des Pères grecs signifiait donc la même chose au niveau théologique et pas grammatical. Pour les Latins ce qui compte c’est que le Fils soit cause du Saint-Esprit avec le Père, pour sauvegarder sa divinité, même si le Père l’est de manière principielle pour ne pas attribuer deux causes au Saint-Esprit. Le « par le Fils » est, pour les latins, trop ambigu, car il semble réduire le Fils à n’être qu’un simple canal de transmission du Saint-Esprit, dans le cadre de sa mission temporelle, mais sans rien dire de sa procession éternelle. Jean de Montenero va produire en faveur de la spiration du Saint-Esprit par le Père et le Fils deux citations attribuées à tort à Basile de Césarée, mais il allègue aussi saint Épiphane, Didyme l’Aveugle, Athanase d’Alexandrie et Cyrille d’Alexandrie. Il s’agit pour ce dernier de passages antérieurement évoqués par Eugénikos, mais que Montenero interprétait différemment . L’argument de la concorde des saints latins et grecs avait suffisamment démontré la concordance de la foi sur la question pour une partie de la délégation grecque, mais la minorité restait intransigeante. C’est à partir de là que les pressions se firent, mais sans préjudice pour la liberté de conscience des Pères, comme le prouve la non-signature de l’union par certains d’entre eux, au premier rang desquels se tenaient Marc Eugénikos, Georges Scholarios (le futur patriarche Gennade II) et quatre autres métropolites dont deux signent finalement. Les Grecs acceptaient donc le filioque dans la mesure où ils reconnaissent que l’expression « Il procède du Père par le Fils » attribue au Fils d’être la cause du Saint-Esprit : « Jusqu’ici nous ignorions les saints latins et nous ne les avions jamais lus ; maintenant que nous en sommes venus à les connaître, nous les avons lu et nous les approuvons . » Le vote ne concernait que les membres de la délégation grecque.

Exposition à Florence de la primauté par Montenero à Bessarion
Restait donc après cet accord à finaliser au plus vite les autres questions qui apparaissaient comme moins importantes. L’affirmation de la primauté se fait en tenant compte de prétentions habituelles : Montenero allègue la tradition sous la forme de lettres de pape, mais Bessarion réclame des canons. Montenero répond que les lettres fondent les canons.

 La définition du pape comme « père et docteur des chrétiens » implique :
une certaine dignité parmi les patriarches pour Bessarion, une certaine autorité (juridiction spirituelle) qui entraîne une certaine obéissance pour Montenero,
 le pouvoir de convoquer les conciles : en Orient, c’est l’empereur qui les convoque,
Prérogative du pape selon Montenero, l’empereur les fait seulement exécuter.
 La pentarchie implique que chaque patriarche s’occupe de sa sphère d’influence, mais pour Montenero « le successeur de Pierre à le pouvoir immédiat d’un supérieur sur tout ».
Il faut garder à l’esprit que l’intransigeance du pape pour défendre ses prérogatives concernant la primauté - le droit de gouverner et d’enseigner tous les chrétiens - est moins tourné vers les Grecs que vers l’assemblée de Bâle qui est toujours soutenue par des nations (Pologne, Lituanie, Bohême, Prusse, Écosse), la France et l’empire neutre, mais Albert d’Autriche octroyant des sauf- conduits pour Bâle…
Les autres points de discussion furent l’eucharistie et le purgatoire. Jean de Torquemada expose la nécessité latine de définir la forme du sacrement de l’eucharistie : paroles de la consécration ou épiclèse ? Pour Torquemada la prière de l’épiclèse après la consécration dans la prière eucharistique byzantine pose problème puisque, selon les Pères, ce sont les paroles de la consécration qui accomplissent le sacrement et non « les paroles de saint Basile » ; or, l’épiclèse déprécative post consécration semble faire porter la réalisation après les paroles consécratoires. Ces problématiques exaspèrent les Grecs pour qui l’accord sur la procession du Saint-Esprit était le point essentiel pour réaliser l’union. L’accord sur la spiration du Saint-Esprit était fondamental pour les Grecs. De leur point de vue, l’union peut être signée, car l’urgence de la situation à Constantinople les presse.

Le patriarche Joseph II
Le 10 juin 1439, le patriarche Joseph II meurt ; il avait été élu le 21 mai 1386 et été reconnu comme un homme de paix, conciliateur, mais ni théologien ni idéologue. Sa mort fait perdre un atout à l’union, car, sans être enthousiaste, il a tout fait pour l’encourager dans les limites de ce sur quoi il pensait ne pas pouvoir céder. Il meurt en communion avec le pape Eugène IV, et sera donc enterré avec tous les honneurs grecs et latins dans l’église Santa Maria Novella de Florence, couvent dominicain et résidence d’Eugène IV pendant le concile. Dans la préséance du Concile il vient après l’empereur, c’est-à-dire que le pape et l’empereur se font face en séance solennelle, tandis que le patriarche se tient près de l’empereur avec les autres évêques grecs. Cette position contestée par les Grecs montre assez l’importance de l’empereur dans la démarche conciliaire. Ceci sera un argument pour refuser l’union, alors que l’empereur a toujours eu un rôle proactif reconnu en Orient, mais au moment de la réception de l’union, c’est le sultan ottoman qui régnera sur Constantinople…

La signature de l’union
Le décret Laetentur caeli fut rédigé par les deux comités réunis qui procédèrent à la double rédaction en grec et en latin le dimanche 28 juin, mais la rédaction finale ne parlait que du pape : « Eugène, évêque serviteur des serviteurs de Dieu,… » L’empereur protestant qu’il ne fut pas mention, ni les patriarches ; il fallut arriver à une troisième rédaction pour la version définitive signée le dimanche 5 juillet par la délégation grecque, puis par la délégation latine. Cette bulle qui reprenait le décret d’union est le seul document infaillible produit par le concile de Florence.
De retour à Constantinople, l’empereur ne met pas beaucoup d’entrain à imposer l’union, ce dont profitent les opposants. Ceux-ci laissent élire Métrophane de Cysique, fervent unioniste, le 2 mai 1440, le synode électoral proposant trois noms à l’empereur avant un vote solennel. Les unionistes sont isolés, Marc d’Éphèse et Georges Scholarios peuvent orchestrer la propagande contre l’union sans subir de censures. Cependant, que ce soit à Constantinople, ou en Morée, au Mont Athos, en Crète dans les territoires dépendant de Venise, Rhodes et Chypre, ainsi qu’en Moldavie, l’union pu se maintenir et des évêques unionistes purent se succéder. Dans une encyclique, Métrophane II demande la commémoration du pape dans les dyptiques, mais précise que l’union ne change rien aux coutumes ecclésiastiques et en particulier pour la récitation du credo. Cette encyclique est bien reçue en Crète par exemple, mais on signale des prêtres qui refusent de commémorer le pape. A contrario le pape Eugène va s’offusquer auprès de son envoyé, Christophe Garatoni, de ce que Metrophane l’appelle « compagnon de ministère » et ne se contente pas de son titre de patriarche, tout en étant prêt à lui fournir des bénéfices. Dans cette même lettre, Eugène se plaint aussi de l’attitude passive de l’empereur pour soutenir l’union. Vers 1443 Marc d’Éphèse est assigné à résidence sur l’ile de Lemnos, ou il continue son œuvre de dénigrement de l’union avec une verve populiste. Georges Scholarios s’était opposé à ses arguments lors des discussions sur la procession du Saint-Esprit, mais là, Marc d’Éphèse dans sa polémique anti latine, touche les fidèles de base.

La proclamation de l’union en chez les slaves d’Europe du nord
Isidore de Kiev, patriarche légitimement consacré de Kiev, part aussi en 1440 comme légat pontifical. Côté slave occidental, Isidore est confronté à une Église latine polono-lituanienne qui lui est hostile, car largement partisane du concile de Bâle et du pape Félix V ! Les Latins ne sont pas prêts à faire une union égalitaire avec les Ruthènes de rite byzantin. Il fait démembrer la Russie entre la métropolie de Kiev dont dépendent les neuf sièges ruthènes de Pologne- Lituanie et la métropolie de Moscou. Le 11 juillet 1443, Isidore est créé cardinal des Ruthènes à Venise par Eugène IV. Il fait consacrer son ami Grégoire avec l’assentiment de Pie II le 3 septembre 1458 ; ses successeurs se trouvèrent isolés jusqu’à la signature de l’union de Brest en 1595. Le successeur de Ladislas de Pologne, Casimir, prône une conversion des Ruthènes au rite latin et reconnu Jonas de Riazan comme ayant juridiction sur les Ruthènes restés au rite byzantin. À Moscou, dont dépend sa juridiction, il célèbre la divine liturgie le 19 mars 1444 dans la cathédrale de l’Ascension du Kremlin et fait lire le décret d’union. Le prince Vassili le fait arrêter et le fait passer devant Abraham de Souzdal et Jonas de Riazan, tous deux signataires de Florence. Le 15 septembre, Vassili l’exfiltre vers Tver avant qu’Isidore ne gagne Rome. Les raisons avancées pour expliquer l’hostilité de Vassili tiennent au fait qu’Isidore est porteur d’une alliance avec les Polono-Lituaniens et les Chevaliers teutoniques, autant d’ennemis occidentaux. En rejetant l’union, Basile s’émancipe aussi de Constantinople et devient le gardien de l’orthodoxie, parce que Constantinople s’est uni à Rome ! comme le montre la nomination en 1448 de Jonas de Riazan sans l’assentiment du patriarche de Constantinople.

La laborieuse mobilisation pour la croisade
L’Occident fut incapable de se mobiliser pour la croisade promise avant 1443-1444 ; la succession d’Albert d’Autriche, la rivalité franco-anglaise, le penchant bâlois des princes allemands, ne laissèrent pas suffisamment de forces occidentales disponibles et celles qui furent mobilisées avec Ladislas de Pologne et Césarini furent défaites par Mourad II à Varna le 10 novembre 1444. La défaite de Varna ruina un peu plus les espoirs du parti unioniste à Constantinople, en montrant la vanité des espoirs mis dans l’aide occidentale.

Le déficit de pédagogie pour la réception populaire de Florence à Byzance
La théologie déployée à Florence n’a pas été relayée suffisamment pour « convaincre » les Grecs sur des terrains connus, à part l’activité du Dominicain crétois, Simon de Candie, et la remarquable Lettre aux Crétois de Georges Trapézuntios (de Trébizonde). Le problème des doubles juridictions grecques et latines et de la supériorité de principes des Latins dans les établissements occidentaux en Orient, ainsi que le maintien du patriarcat latin de Constantinople, n’aidèrent pas à l’accommodation locale de l’union. Le siège latin de Constantinople fut attribué à Isidore de Kiev à la mort du patriarche latin Giovanni de Cantanero.

Les discussions organisées en quinze conférences entre aout 1444 et novembre 1445 par l’empereur Jean VIII et le nouveau patriarche Grégoire III Mammas au palais Xylalas ont été une tribune favorable aux adversaires de l’union. Elles eurent lieu entre le Dominicain Bartholomeo Lapacci de Rimbertini, évêque de Cortone, et Georges Scholarios, élève de Marc Eugénikos, mais pourtant auteur de deux traités pour l’union et signataire du décret de Florence. Il réfuta aussi les Syllogismes anti-unionistes de Marc. Il se réconcilie pourtant avant que celui-ci ne meurt, et s’engage à défendre l’orthodoxie contre l’union. Le fruit des conférences est un Traité du Saint-Esprit où il revient en six points sur les accords de Florence et les réfute. Prédicateur de Jean VIII bien que laïc, il se retira sous le nom de Gennade dans un monastère en 1450, d’où on viendra le retirer pour en faire le premier patriarche sous l’empire ottoman.

Le rejet de Florence par les Grecs
En 1443 l’année de la défaite de Varna, un synode non régulier réunissant les patriarches d’Alexandrie, Antioche et Jérusalem déclare l’union de Florence comme abominable. Sur les 29 prélats Grecs qui ont signés 21 reviennent sur leur signature de retour à Constantinople. L’empereur procède à une politique de nomination de pro unioniste comme Métrophane de Cysique qui succède à Joseph II puis Grégoire Mammas qui lui succèdera. À Constantinople les unionistes sont isolés, l’empereur défend l’union mais laisse les anti unioniste s’organiser en synaxe, véritable contre-pouvoir qui s’assure un base populaire et isole les unionistes à Sainte Sophie. En 1453 c’est Georges Schlolarios qui devient le premier patriarche de Constantinople sous le régime ottoman sous son nom monastique de Gennade. Grégoire III Mammas avait quitté Constantinople pour Rome en 1451 parce que le nouvel et dernier empereur, Constantin XI, avait des contacts officiels avec la synaxe, c’est-à-dire le synode dissident opposé au patriarche. Isidore vient comme légat le 20 mai 1452 et impose l’union contre l’activisme de Scholarios qui exaspère les tensions, mais malgré cela l’union est proclamée à Sainte Sophie le 12 décembre 1452, imposée par l’empereur Constantin XI lui-même sous pression du pape Nicolas V. À Sainte Sophie le culte byzantin fut célébré avec mention du pape aux dyptiques jusqu’au 29 mai 1453. En suite, Gennade comme patriarche ne put pénétrer dans la nouvelle mosquée. Il faut attendre un synode en 1484 pour que Florence devienne le repoussoir : il s’agit, par une décision du synode, d’un examen pour les Latins qui se convertissent, ils doivent réciter le credo sans le Filioque et rejeter dans leur réponses tous les points de Laetentur caeli, avant d’être chrismés. L’invalidité du baptême latin ne sera déclarée qu’en 1736 par le patriarche Cyrille V.

Conclusion du P. Joseph Gill sur l’union de Florence
« Le concile de Florence aboutit à l’union avec les Grecs, les Arméniens, les Coptes et d’autres encore. De toutes les unions, celle avec les Grecs (et le décret qui la sanctionna) fut de loin la plus importante, car, même si dans la pratique elle ne subsista pas longtemps, le principe qui la fondait fut définitivement posé et eut, dans la suite, maintes occasions d’être appliqué. Ce principe était que, pour qu’il y ait l’union des Églises, il doit y avoir unité de foi, mais non pas nécessairement identité de rite liturgique. Quand ce principe fut énoncé à Florence, il ne constituait pas une nouveauté dans l’Église, car il avait été en vigueur au cours des premiers siècles. Mais au XVe siècle, il semble une innovation car bien que le concile de Lyon en 1274 se fût abstenu d’imposer l’uniformité des rites, tant avant qu’après lui, les papes avaient préconisé l’acceptation du rite romain comme une condition de l’union. Florence réaffirma donc l’antique et saint principe, qui servit ensuite de base d’union aux chrétiens de rite oriental pour former les Églises catholiques d’Ukraine, de Roumanie, des Carpates et d’ailleurs. La plupart de ces unions ont été brutalement supprimées sur leur sol natal par l’emprise de la Russie communiste, mais elles ne sont pas mortes . »

Les suites de Florence
Métrophane de Cysique, partisan de l’union, fut élu patriarche à la Pentecôte 1440, mais en 1445, à sa mort, c’est Georges Scholarios qui, avec le concours de Marc Eugénikos, devient patriarche après deux ans de vacance du siège et après la chute de la ville. Puis l’empereur Jean VIII mourut en 1448 ; son frère Constantin fut pris entre la pression ottomane et le besoin de rechercher des appuis en Occident, et le parti anti-unioniste. Isidore de Kiev promulgua, comme légat, l’union à Sainte-Sophie le 12 décembre 1453, contre la synaxis, mais avec une opinion publique plutôt favorable devant le péril imminent des attaques ottomanes.

L’union avec les Grecs n’était pas le seul objectif de Florence : le légat Christophe Garatoni avait été envoyé en Orient pour approcher les Arméniens ; ceux-ci arrivèrent en aout 1439 représentant les communautés de Crimée, et la bulle Exultate Deo du 22 novembre en fut le résultat, mais cette union ne put se maintenir au-delà de 1475 . Bessarion et Isidore de Kiev sont élevés à la dignité cardinalice le 18 décembre 1439. Isidore part promouvoir l’union à Kiev puis à Moscou en 1441, où le prince Basile II, qui veut garder le contrôle sur l’Église, le fait mettre en accusation, et le contraint à l’exil. En 1452 il est légat du pape à Constantinople ; il célèbre l’union à Sainte-Sophie le 12 décembre 1453. Fait prisonnier lors de la chute de la ville, il est libéré, et meurt à Rome en 1463.

Le franciscain Albert de Sarteano ramène à Florence en aout 1441 un moine copte et un moine abyssin de Jérusalem, ce qui aboutira à la bulle d’union Cantate Domino du 4 février. À Rome ce furent les unions scellées avec l’Église syrienne par la bulle Multa et admirabilia du 30 septembre 1443. Enfin la bulle Benedictus sit Deus réunit des Chaldéens et des Maronites.

Réception ou non-réception de Florence ?
Voilà donc un concile qui formellement rassemble toutes les conditions d’une réussite et d’une réception de ces décisions, et qui fut finalement rejeté par l’Orient et qui tomba dans l’oubli en Occident. Pourtant il ne s’agit pas d’un « brigandage » comme fut qualifié celui d’Éphèse en 449. Jean Zizioulas rappelle que l’institution des conciles est d’ailleurs plus fondamentalement un événement, car le concile n’est pas au-dessus des Églises locales, seules institutions permanentes. Il n’est pas le niveau universel de l’Église, car chaque Église locale dans la communion avec ses sœurs est pleinement l’Église universelle. Concernant son caractère œcuménique, celui-ci a pu être célébré comme un concile local dont le caractère œcuménique se voit reconnaître après celui de Constantinople I en 381, reconnu comme le IIe œcuménique, alors que celui d’Éphèse en 449 avait bien été convoqué par l’empereur pour avoir une portée œcuménique. « Aucun concile œcuménique ne fait autorité comme tel, simplement en tant qu’institution. Pour qu’il puisse faire autorité, il faut que ses décisions soient reçues par les Églises locales. Les exemples d’Éphèse en 449 et de Ferrare-Florence, qui avait tous les critères du concile œcuménique (représentation universelle - pape, empereur, patriarche…) et qui malgré cela n’ont pas été reçus par l’ensemble de l’Église, sont bien connus. Il est vrai que sans institution ayant autorité pour enseigner et décider, il ne pourrait y avoir d’unité dans l’Église ; mais, au bout du compte, les décisions d’une telle institution doivent être mises à l’épreuve par la réception qu’elles connaissent dans les communautés avant de pouvoir prétendre à une pleine et entière autorité. Comme pour toute autre chose, dans une ecclésiologie de communion, l’autorité doit être relationnelle . »
L’examen historique des raisons de la non-réception de Florence peut peut-être permettre de reprendre les fils d’une occasion manquée de retisser les déchirures du tissu ecclésial entre Orient et Occident.

Bibliographie
Joseph GILL, Le concile de Florence, Histoire de la Théologie, Volume 6, G. JOUASSARD, Desclée, 1964
Joseph GILL, Histoire des conciles œcuméniques, Constance-Bâle-Florence, tome 9, 1965, Gervais Dumeige, édition de l’Orante
Jean DÉCARREAUX, L’union des Églises au concile de Florence, Chevetogne, 1966.
Francis DVORNIK, Histoire des conciles de Nicée à Vatican II, (1961) Seuil, 1966.
Dir. ALBERIGO, Les conciles œcuméniques, 3 volumes, (1972), Cerf, 1994.
Charles-Joseph HEFELE (trad. Dom. Leclerc), Histoire des conciles d’après les documents originaux, Tome VII, Paris, Letouzey et Ainé, 1916.
Histoire de l’Église depuis les origines jusqu’à nos jours, FLICHE et MARTIN, tome 14-2, édition Bloud et Gay, 1964. IVème partie, chapitre III L’union des Églises, pp. 529-566
Yves–Marie CONGAR, Je crois en l’Esprit Saint, 3e édition, Cerf, 2002. cf. chapitre IV : Éléments en vue d’un accord, pp. 229-277.
Textes rassemblés, présentés et traduits sous la direction de Vincent DEROCHE Nicolas VATIN, avec le concours de Marie-Hélène BLANCHET, Elisabetta BORROMEO, Thierry GANCHOU et Guillaume SAINT-GUILLAIN, Constantinople 1453, Des Byzantins aux Ottomans, Anacharsis, 2016, Toulouse.

Père Jérôme Bascoul - 6 juin 2018

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