La Parole en scène

Paris Notre-Dame du 13 juin 2019

Les échanges entre un pape féru de théâtre et un metteur en scène athée : voilà ce que relate, dans une mise en scène épurée laissant toute place à la parole, L’incroyable rencontre, Antoine Vitez - Jean-Paul II. Une rencontre profonde, ancrée dans la réalité de l’altérité, qui apparaît salvatrice dans un contexte ecclésial assez lourd.

© Lot

Il apparaît, tel un spectre, sur la scène plongée dans le noir. Puis, les premiers mots. Dans sa soutane blanche et ses souliers rouges, Jean-Paul II prévient d’emblée son interlocu¬teur : « Ce n’est pas le pape qui parle mais l’amateur de théâtre. » Sourire aux lèvres, un peu crispé, mais sourire toujours. En face de lui, ou plutôt à ses côtés, éloigné, il y a Antoine Vitez, metteur en scène et administrateur de la Comédie française. Lui, dans son costume noir bien taillé, arbore un autre sourire sur les lèvres. Le sourire du sceptique, du communiste, profondément athée voire même anticlérical, qui s’amuse lui-même de se voir échanger, discuter, avec le chef de file de l’Église catholique.

La rencontre est étonnante, elle est « incroyable ». Elle a lieu en 1988. À l’époque, la Comédie française donne une représentation privée du Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc de Charles Péguy devant le pape dans les jardins de Castel Gandolfo (Italie). Antoine Vitez a tenu à être présent. À l’issue de la représentation, le pape est présenté à chaque participant. Contrairement au protocole, il s’attarde, entame de riches discussions. Jean-Philippe Mestre, romancier et grand reporter au Progrès, est aussi de la partie. Il enregistre les discussions. De ces enregistrements, il en tire un texte.

Mis en scène par Pascal Vitiello, responsable du service de la culture pour le diocèse de Monaco, le texte est interprété aujourd’hui au théâtre du Lucernaire, 6e, grâce au diocèse de Monaco et au soutien du gouvernement princier monégasque, jusqu’au 30 juin.

À la fin, ils se tiennent côte à côte

Le jeu est simple, épuré, dénué de toutes scories. Comme pour mieux laisser place au texte, à la parole. Et elle est forte, cette parole. Incisive, dure, parfois. Antoine Vitez n’épargne aucune critique envers l’Église catholique : excommunication des acteurs, pouvoir, orgueil de la Curie, richesse de l’Église, importance de la science, communisme, vie après la mort… Chaque critique est pesée, argumentée, présentée par un Antoine Vitez finement interprété par Michel Bompoil. Jamais un mot plus haut que l’autre, de l’impertinence parfois, mais délicate, perceptible dans un jeu avec ses lunettes ou dans cette main glissée, un brin désinvolte, dans la poche. À chaque critique, Bernard Lanneau, dans le rôle de Jean-Paul II, cherche une réponse mesurée, jamais vindicative, jamais prosélyte, mais tout en finesse. Il souffle parfois, devant le constat d’une réelle incompréhension, « Ah, monsieur l’administrateur ! » Peu à peu, ses mains, ses bras, se tendent vers son interlocuteur. Comme si le don de sa personne, l’amour véhiculé, étaient l’ultime argument, l’unique recevable.
L’un ne convaincra pas l’autre. L’autre ne convaincra pas l’un. Mais les deux hommes, à l’issue de cet échange, se sont rapprochés. Ils se tiennent côte à côte. Le regard au loin, dans la même direction. Il y a eu vraie rencontre. Vraie intimité. Bel exemple du témoignage et de l’amitié se nouant dans une profonde altérité. Un bel exemple à écouter, déguster et à suivre dans une époque où les critiques, réelles et parfois fondées, fusent envers l’Église.

Isabelle Demangeat

L’incroyable rencontre,
Antoine Vitez - Jean-Paul II

Jusqu’au 30 juin au théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 6e.
Du mardi au samedi, à 18h30 ;
le dimanche, à 15h.
Tarifs : de 10 € à 26 € via le site lucernaire.fr

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