« La perte est toujours une espérance »

Paris Notre-Dame du 26 octobre 2017

Les fêtes de la Toussaint et des morts, les 1er et 2 novembre [2017], posent la question de notre finitude. Comment vivre avec l’idée de sa propre mort ? Jean Vanier, le fondateur de l’Arche – association accueillant des personnes ayant un handicap mental – livre ses éléments de réponse.

Jean Vanier en octobre 2017
© Isabelle Demangeat

C’est dans sa maison, en Picardie, que Jean Vanier me reçoit. Installé au fond de son fauteuil, les jambes étendues devant lui, il est entouré de nombreuses feuilles disposées par terre. On aperçoit son dernier ouvrage, Un cri se fait entendre. Mon chemin vers la paix [1]. La fatigue se lit sur son visage. Mais ses yeux pétillants la chassent rapidement. Son sourire et sa voix douce, également. Celle-ci ne s’endurcira jamais lors de l’entretien. Une semaine plus tard, Jean Vanier annulera, pour cause d’un « souci de santé sans gravité », son intervention prévue le 18 octobre [2017] par l’Office chrétien des personnes handicapées (OCH) autour du thème de l’angoisse.

Paris Notre-Dame – Les attentats l’ont rappelé aux Parisiens et aux Français : notre vie terrestre peut s’arrêter du jour au lendemain. Comment vivre, en tant que chrétien, sa propre finitude ?

Jean Vanier – Toute notre vie est une fin. Toute notre vie est une question de pertes et de réussites. C’est l’histoire de l’humanité : on est dans le sein de sa mère et puis on en sort ; on a du boulot, on perd du boulot ; on se marie et puis l’autre, un jour, nous quitte. Ces pertes engendrent la tristesse, l’angoisse, la peur. Mais elles donnent aussi une ouverture sur du neuf, du nouveau. La perte est toujours une espérance.

P.N.-D. – Que voulez-vous dire ?

J. V. – L’homme est toujours poussé, même après la perte, par son désir d’infini. Pas seulement ce désir d’avoir davantage d’argent ou davantage de pouvoir, mais ce désir d’autre chose qui se situe au-delà. C’est la différence entre l’homme et l’animal. L’animal accomplit un travail merveilleux de reproduction de l’espèce ; l’homme cherche, désire toujours plus. Chaque nouvelle génération est en quête de quelque chose de nouveau. Et cela s’applique à la question de notre finitude. Dans toutes les civilisations, des cérémonies autour de la mort ont existé ; le sentiment qu’il y aura un monde où l’on sera mieux, aussi.

P. N.-D. - Comment vivre alors avec l’idée que l’on va mourir un jour ?

J. V. – Peut-être en réussissant à surmonter les pertes de notre quotidien ? L’angoisse est l’opposée de la vie. La vie coule, avance. L’angoisse est un arrêt. Comment vivre avec ? Il faut chercher de l’aide. C’est une évidence. De l’aide dans sa foi, auprès de ses amis, auprès d’un accompagnateur. Quand l’angoisse est terrible, on a besoin de l’autre. Jésus le montre. Le chapitre 26 de l’évangile de saint Matthieu décrit ainsi un Jésus tellement angoissé qu’il demande à ses disciples de rester auprès de lui. Il a besoin d’eux. Mais, en même temps, il souffle dans sa prière « que ta volonté soit faite ». Il montre ainsi qu’il y a une raison au-delà de la perte, au-delà de ce qu’on peut voir.

P. N.-D. - Quelle est-elle cette raison ?

J. V. – Elle est entre les mains de Dieu. Nous voyons toujours la souffrance comme quelque chose de terrible. Mais nous pouvons découvrir dans la foi que la joie et la présence peuvent subsister dans la souffrance, et ce, par l’Esprit Saint. Tout le mystère chrétien est le mystère de la Croix de Jésus. Nous sommes sauvés non pas par les miracles de Jésus mais parce qu’il a accepté d’être pauvre, d’aller dans l’extrême vulnérabilité.

Et puis, il y a l’espérance de la Résurrection. La foi nous amène à une confiance : celle de savoir qu’au-delà de l’histoire humaine, autre chose nous attend.

P. N.-D. – Comment, alors, ne pas tomber dans l’extrême : vouloir brûler la chandelle par les deux bouts ?

J. V. – Les hédonistes, je crois, parce qu’ils sont enfermés sur eux-mêmes, sur leurs désirs propres, n’ont pas découvert l’immense joie de donner la joie. Tout le monde sait que trop boire donne des maux de tête, que la prise de drogues conduit l’homme à devenir une loque. Tout le monde sait qu’on ne peut passer sa vie à danser, faire la fête… Qu’il y a plus que cela. La vraie joie se situe dans l’amitié, dans la relation, dans la découverte qu’il est possible de faire du bien à ceux qui nous entourent. Une petite histoire : avant d’être à l’Arche, l’une des responsables de communautés en Australie œuvrait auprès des personnes en situation de prostitution. Un jour, elle revoit un des hommes qu’elle a croisé, qui en train de mourir d’une overdose. Les dernières paroles de celui-ci furent : « Tu as toujours voulu me changer, tu n’as jamais voulu me rencontrer. » Nous avons toujours tendance à vouloir changer les gens pour qu’ils deviennent comme nous. Mais entrer en relation, c’est rencontrer quelqu’un qui m’aime comme je suis et que j’aime comme il est. Cette rencontre s’appelle la communion. Et dans cette rencontre, il y a toujours une autre troisième personne : Dieu. Le bonheur, finalement, est de comprendre que Jésus souhaite une relation avec nous.

Par Isabelle Demangeat

Voir aussi
 Message de Mgr Aupetit, archevêque de Paris, suite au décès de Jean Vanier.
 Prière à Marie de Jean Vanier.
 Lire la conférence de carême de Jean Vanier en mars 2006.
 Revoir l’interview de Jean Vanier en janvier 2014.

[1Un cri se fait entendre. Mon chemin vers la paix, de Jean Vanier, avec François-Xavier Maigre, Bayard, 198 p., 14,90€.

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