Le Liban, au bord du gouffre

Paris Notre-Dame du 2 septembre 2021

Vincent Gelot, responsable projet au Liban et en Syrie pour l’Œuvre d’Orient, habite au Liban depuis cinq ans. Depuis deux ans, il voit ce pays s’enfoncer toujours plus dans la crise et s’inquiète d’une catastrophe humanitaire sans précédent.

Vincent Gelot est responsable projet au Liban et en Syrie pour l’OEuvre d’Orient.
© D.R.

Paris Notre-Dame – Plus d’un an après l’explosion du port de Beyrouth, quelle est la situation au Liban ?

Vincent Gelot – La situation au Liban ne cesse d’empirer. Aujourd’hui, 70% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Elle doit faire face à des pénuries extrêmement importantes en électricité et en mazout ; l’électricité étant principalement pro¬duite par des générateurs à essence, les deux sont liés. Quant à la population active, elle est frappée par un chômage de masse très fort, et la jeunesse libanaise songe toujours plus à émigrer. Le secteur de la santé est aussi touché de plein fouet : en un an, 15 à 20 % du personnel soignant a émigré. La pénurie d’électricité entraîne de graves difficultés logistiques. L’accès aux médicaments, très chers et rares, est problématique.

P. N.-D. – Dans la tribune du 4 août pour Le Monde, Mgr Pascal Gollnisch appelle à la création d’une agence sous statut international pour pallier les carences de l’État libanais. Partagez-vous son constat très dur envers la classe politique libanaise ?

V. G. – Les crises successives qui secouent le Liban depuis au moins deux ans montrent chaque jour que la société civile libanaise ne peut compter que sur elle-même, sur sa solidarité, sur les associations, les ONG, les dons de la diaspora et les communautés religieuses… En aucun cas, elle ne peut compter sur l’aide de ses gouvernants. Il n’y a d’ailleurs toujours pas de gouvernement. La classe politique, au pouvoir depuis trente ans, est largement corrompue. En 2019, le gel des comptes en dollars et la dévaluation de la livre avaient déjà privé les Libanais de leurs ressources. En 2020, après l’explosion, ce sont les Libanais qui ont nettoyé leurs rues et qui ont porté secours aux blessés. Aujourd’hui, les Libanais, qui luttent pour leur survie, ne voient plus d’issue politique à leur pays.

P. N.-D. – On peut imaginer que ce marasme politique n’est pas sans conséquence ?

V. G. – Il y a bien sûr cette inquiétude d’un pays qui s’enfonce toujours plus dans la misère, avec son lot d’engrenages. On peut craindre des situations d’émeutes, provoquées par la faim. L’armée étant de moins en moins payée, il pourrait y avoir une situation de vide sécuritaire, et on sait que dans certaines zones du Liban, des groupes se réarment. Des pays voisins pourraient souffler sur les braises… L’échiquier géopolitique autour du Liban bouge, le retour des talibans en Afghanistan nous inquiète. Le Liban est un pays unique en son genre : c’est une mosaïque de plusieurs nationalités et religions. C’est le pays de la région avec le plus de liberté religieuse et de citoyenneté. C’est le seul pays du Moyen-Orient où les chrétiens représentent un tiers de la population et où ils ont un poids politique. Ils assurent aussi une certaine mixité dans les villages, cohabitant avec des sunnites, des druzes, des chiites… Pour toutes ces raisons, le Liban est très observé par les pays voisins et son effondrement serait un très mauvais signal pour l’Orient, mais aussi pour l’Occident.

P. N.-D. – Concrètement, que peuvent faire les parisiens pour vous aider ?

V. G. – Le plus important, c’est de ne pas nous oublier en priant pour nous. Les Parisiens peuvent aussi nous soutenir par leur générosité, en aidant l’Œuvre d’Orient à soutenir le réseau de 350 écoles chrétiennes et les dispensaires. Sans aide internationale, on connaîtra une crise humanitaire sans précédent.

Propos recueillis par Charlotte Reynaud

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