Le mystère et le sens théologique des icônes de la Résurrection, (interview de Jean-Claude Larchet dans « Lumina de Duminica »)

« Lumina de Duminică », version hebdomadaire du quotidien de l’Église roumaine « Ziarul Lumina », a publié, le dimanche 14 mai, une interview de Jean-Claude Larchet sur les icônes de la Résurrection. On en trouvera ici la version française.

Pourquoi au sein de l’Orthodoxie l’icône de la Résurrection du Christ présente-t-elle la descente de Notre Seigneur aux Enfers et non pas Sa sortie du tombeau ?

Il y a eu un débat à ce sujet : le célèbre iconographe et iconologue Léonide Ouspensky a consacré un article spécial à cette question à cause de son caractère problématique. En fait, la vraie icône de la Résurrection est la seconde, qui représente les femmes myrophores devant le tombeau vide, avec un ange qui leur annonce la Résurrection. C’est d’ailleurs la plus ancienne : le plus ancien exemplaire qu’on en connaît date du IIIe siècle, tandis que le plus ancien exemplaire de l’icône de la Descente aux Enfers ne date que du VIe siècle.

Il est paradoxal que l’icône relative à la plus grande de Ses fêtes (et au plus grand événement de Son Économie salvatrice – car « si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vaine » (1 Co 15, 17) – le Christ ne soit pas représenté, alors qu’Il est représenté sur toutes les autres icônes des fêtes qui célèbrent les autres étapes de cette Économie.

Le Christ ressuscité n’apparaît pas pour plusieurs raisons :

  1. en signe du caractère inouï de l’événement ;
  2. parce que les quatre Évangiles ne fournissent aucune explication du mode de la Résurrection et que les icônes sont toujours fidèles au récit évangélique ; la Tradition reste également muette à ce sujet ;
  3. du fait que le corps ressuscité n’est pas immédiatement perceptible : Marie de Magdala ne reconnaît pas le Christ près du tombeau avant qu’Il ne Se révèle à elle (Jn 20, 14-16) ; les disciples à Emmaüs ne l’identifient pas non plus : « Leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître » (Lc 24, 16) ; même les anges ne le perçoivent pas, comme le dit un stichère des matines du ton 5 : « Tes anges incorporels ne perçurent pas Ta Résurrection »).

Quels sens théologiques doit donner le chrétien orthodoxe aux éléments iconographiques mis ensemble dans la représentation de la Résurrection de Notre Seigneur ?
La Descente aux Enfers est un fait très important. C’est le point le plus bas de la kénose du Fils de Dieu. C’est une étape majeure de Son Économie salvatrice, puisqu’il fait bénéficier tous les justes de l’Ancien Testament (autrement dit de tous les siècles qui ont précédé Son Incarnation) du salut qu’Il a acquis à toute l’humanité, les libérant du pouvoir du Diable, du péché et de la mort, et donnant aussi à tous les hommes qui ont vécu avant Sa venue parmi nous de pouvoir ressusciter.

Alors que l’icône des myrophores devant le tombeau vide est factuelle, l’icône de la Descente aux Enfers présente surtout les effets spirituels de cette dernière. Elle a une forte dimension symbolique.

a) Le Christ est représenté avec Son corps, alors que les textes liturgiques nous disent qu’Il est descendu aux Enfers avec Son âme tandis que Son corps reposait dans le tombeau (voir la Liturgie de saint Jean Chrysostome : « Dans le tombeau avec Ton corps, dans les Enfers avec Ton âme, en tant que Dieu, au paradis avec le Larron, et sur le trône aussi Tu étais avec le Père et l’Esprit, ô Christ, Toi qui emplis tout et qu’aucun lieu ne peut contenir. »).

b) L’Enfer est représenté par un espace noir (qui signifie « les ténèbres extérieures », un monde imperméable à la Lumière divine). Ses portes sont à terre, croisées, foulées aux pieds par le Christ ; des clés, des verrous ouverts, des chaînes déployées y sont répartis, tout cela signifiant que le Christ a ouvert les portes de l’Hadès qui étaient jusqu’alors verrouillées pour en faire sortir ceux qui y étaient enfermés, qu’il a libérés de leurs chaînes ceux qu’il retenait captifs. Sur certains icônes, on voit à terre, les mains et les pieds liés, un homme qui représente le Diable désormais réduit à l’impuissance.

c) L’icône représente en son centre Adam et Ève qui sont tirés par le Christ de leurs tombeaux comme si le Christ les ressuscitait. Or Il ne les ressuscite pas ; Il les libère de l’Hadès et l’icône annonce leur résurrection future, en même temps que celle de tous les autres hommes (car ils sont, en tant que premiers parents, les racines de toute l’humanité).

Les Évangiles ne mentionnent pas la descente du Christ aux Enfers (de même qu’ils ne mentionnent pas les modalités de Sa Résurrection), mais saint Pierre y fait deux allusions (Ac 2, 24-32 ; 1 P 3, 19), et les services liturgiques du Grand Samedi en parlent beaucoup.

L’icône des myrophores (Resurrection_Icone_de_Georges_Kordis) devant le tombeau vide est riche de contenu : le fait que le Christ ne soit pas représenté montre que Sa Résurrection fait l’objet de notre foi, ce que souligne d’ailleurs fortement aussi l’épisode de Thomas : « Parce que tu me vois, tu crois. Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru » (Jn 20, 29). Un autre enseignement de cette icône est que ce sont les femmes qui se rendent les premières au tombeau, et que c’est à elles et non aux disciples qu’est annoncée en premier la Résurrection (une belle expression de la valorisation des femmes par le christianisme et du fait qu’elles surpassent souvent les hommes en piété !). À leur tête, Marie de Magdala, la pécheresse repentie. Un autre enseignement fort, qui coïncide avec plusieurs enseignements des Évangiles (Lc 15, 7 ; Mt 21, 31-32) !

Quels repères iconographiques soulignent la divinité de Jésus-Christ dans la représentation de la Résurrection du Christ ?
Dans l’icône des femmes myrophores devant le tombeau vide, la présence du Christ qui a vaincu la mort par la toute-puissance de Sa divinité, est paradoxalement signifiée par son absence. C’est une représentation que l’on peut qualifier d’apophatique.
Dans l’icône de la Descente aux Enfers, la divinité du Christ est affirmée par la mandorle ou le triple cercle et leur rayonnement lumineux (souligné aussi par le vêtement blanc ou doré du Christ), mais aussi par le dynamisme de Sa posture et la force de Son geste lorsqu’il tire Adam et Ève de leurs tombeaux.

Comment l’icône peut-elle aider celui qui est faible dans la foi et comment peut-elle être correctement comprise par quelqu’un qui ne la pratique pas ?
Les icônes expriment par des images les récits des Évangiles ou d’écrits apocryphes reçus par l’Église (comme dans l’icône de la Dormition, qui suit le récit du Protoévangile de Jacques). De même que les Saintes Écritures, elles n’agissent pas de façon magique, automatique, mais supposent un minimum d’adhésion de celui qui les aborde. Comme dans toutes les réalités ecclésiales dans lesquelles la grâce se transmet, le principe de la synergie, cher à la spiritualité orthodoxe (la grâce n’agit qu’à proportion de la réceptivité de l’homme, de manière à préserver sa liberté), s’applique. Il est clair, en particulier, que l’icône des myrophores devant le tombeau vide fait appel à notre foi, comme le tombeau vide lui-même a fait appel à la foi des femmes myrophores, puis des apôtres. Néanmoins, parfois une grâce est donnée sans que l’homme fasse quelque chose pour la recevoir. Certains hommes reçoivent des révélations (ou du moins des signes divins), non parce qu’ils en sont dignes, mais de manière gratuite, parce que Dieu juge que c’est la façon la plus appropriée de les convaincre ou de réorienter leur vie. Les non-croyants bénéficient de plus de miracles que les croyants (les premiers chrétiens s’en étonnaient déjà), parce que chez les croyants, comme l’expliquent saint Jean Chrysostome et saint Jean Cassien, la foi rend les signes inutiles. Sans aller jusque-là, l’icône bénéficie d’un pouvoir particulier, celui de l’image, qui est supérieur, pour emporter la conviction, à celui des concepts et des mots. Ceux-ci nous mettent en face d’une idée, tandis que l’image nous met en face d’une réalité.

On dit souvent que les fresques qui couvrent l’intérieur (et parfois, comme en Roumanie, l’extérieur) des églises, ont été conçues comme des catéchismes à l’intention des enfants et des illettrés. Mais elles sont pour tous un complément des Saintes Écritures qui nous donne, d’une autre façon qu’elles, un certain accès à la Révélation. Par son cadre, par sa perspective inversée, l’icône est une interface dont le contenu va vers le spectateur et en même temps l’entraîne à l’intérieur d’elle-même. Autrement dit, toute icône établit une communion. Le mode de représentation propre à l’icône, si celle-ci est conforme à la tradition, permet à celui qui la regarde de transcender la dimension naturelle de la réalité représentée et lui donne accès à la dimension surnaturelle dont elle est porteuse. Elle n’est pas une représentation simplement humaine, mais une représentation divino-humaine. Même si la dimension divine ne peut être exprimée que par des moyens symboliques, elle se manifeste néanmoins avec une certaine force, qui touche à un certain degré toute personne qui la regarde avec respect. L’icône transmet une grâce : au niveau le plus élémentaire, elle interpelle ; à un niveau moyen, elle appelle ; au niveau supérieur, elle révèle et unit dans une communion spirituelle.
Source : orthodoxie.com Mai 2017

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