« Le rôle des religions est de mettre en perspective »

Paris Notre-Dame du 17 décembre 2020

Pauline Bebe est rabbin de la communauté juive libérale d’Île-de-France [1]. Elle revient sur la master class qui a réuni mardi 8 décembre les représentants des principaux cultes de France sur la question du rôle des religions face aux crises sanitaires dans une république laïque. Une soirée organisée par Sciences Po, dans le cadre du programme Emouna [2], l’amphi des religions.

© cjl-paris.org

Paris Notre-Dame – Quel rôle peuvent jouer les religions face aux crises sanitaires ?

Pauline Bebe – Ce qui était intéressant lors de cette master class, et ce qu’a souligné le grand rabbin de France Haïm Korsia, c’est que nous sommes tous traversés par cette crise. Sur la question des réunions religieuses, il y a eu tout un débat au sein de la communauté juive et le grand rabbin rappelait que certains lui avaient reproché d’ouvrir les synagogues et d’autres de les fermer. Nous ne sommes pas tous égaux vis-à-vis de la crise et vis-à-vis de la peur. Nous ne le sommes pas non plus vis-à-vis de la mort, comme le soulignait le pasteur François Clavairoly. Les religions et les spiritualités abordent ces sujets sans arrêt. Sans arrêt, nous nous posons la question du sens de la vie, de ce qui dure et ce qui disparaît. Le rôle des religions est toujours de mettre en perspective. Et c’est ce qui a été fait lors de cette soirée. C’est pourquoi nous avons une vision un peu différente de ces crises et de ces pandémies. Une forme de recul que le reste du monde n’a pas.

P. N.-D. – Comment votre communauté a-t- elle vécue l’interdiction de célébrer le culte ?

P. B. – Quand j’ai retrouvé ma communauté, c’était une communauté blessée certes mais malgré cela nous avons réussi à maintenir le lien. Les offices ne se sont jamais arrêtés, pas une semaine, pas un shabbat. Certes, j’étais seule avec mon smartphone pour diffuser les offices. Mais alors que beaucoup de personnes étaient isolées, que des familles étaient touchées par la mort ou la maladie, le fait que quelque chose dure et perdure comme ces rencontres hebdomadaires, même virtuelles, a été salutaire pour beaucoup. L’être humain a besoin de ce lien communautaire et c’est bien ce dont souffre la société aujourd’hui. Le fait de ne plus être ensemble. Le mot hébreu pour « être humain » veut dire « l’être avec ». Le fait de rester seul chez soi n’abîme-t-il pas notre humanité ? Un peu en décalage avec le discours ambiant, nous savons que l’essentiel est ce lien, cette relation à l’autre. Dans le Talmud on dit que quand on rend visite à un malade, on enlève une partie de sa maladie. Le souci de l’autre, l’amour entre les êtres humains, permettent aussi la guérison.

P. N.-D. – Vous inscrivez cette crise sanitaire dans un temps plus long. Le rôle des religions est de faire mémoire de cela ?

P. B. – Lors de cette soirée, nous avons parlé de retisser l’espoir. En tant que rabbin et ministre du culte, j’ai l’impression que c’est mon travail plus que jamais. Dire : regardez ! Nous juifs, nous avons vécu des choses autrement plus compliquées. Mettons cela en perspective… Un auteur français, Edmond Fleg, qui a reconstruit le judaïsme après la guerre, disait : « Je suis juif, parce qu’en tous temps où crie une désespérance, le juif espère. » C’est particulièrement vrai du judaïsme car même blessé à travers les âges, nous avons gardé notre humour et notre espoir.

P.N.-D. – Quels enseignements tirez-vous de cette crise ?

P. B. – Le texte que nous lisons cette semaine évoque l’histoire de Joseph et de ses frères. Ceux-ci sont jaloux de lui. Le texte dit qu’ils le voient de loin et fomentent de le tuer. Un très joli commentaire explique que c’est parce qu’ils le voient de loin qu’ils peuvent penser à cette violence. Ce que nous enseigne cette crise, c’est que voir de près le visage de l’autre, son humanité, est essentiel. Il va falloir réparer ces blessures, même si certaines sont irréparables quand la mort est intervenue. Essayer de panser nos plaies, voir et reconnaître le visage de l’autre.

Propos recueillis par Priscilia de Selve @Sarran39

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