Les 60 ans de la Conférence des Églises protestantes des pays latins d’Europe (CEPPLE), évoqués par Gérard Delteil : l’histoire des protestants du sud, des pays latins, depuis 1950

Cette histoire de la CEPPLE rappelle les difficultés des Églises protestantes dans les pays du sud de l’Europe dans les années 1950-1975, et les efforts des protestants des pas voisins pour les aider.

Souvenez-vous !

Au commencement était la Méditerranée, berceau de notre culture latine. Nous sommes au sud. La latinité est au sud. C’est d’abord la géographie qui nous a rapprochés, mais c’est l’histoire qui va nous réunir.

Genèse
1950. Le Conseil Œcuménique vient de se constituer officiellement à l’Assemblée d’Amsterdam. Le souci de la solidarité entre Églises l’amène à se préoccuper de la situation précaire des protestants en Italie, et des entraves à la liberté religieuse, dont souffrent les Églises protestantes en Espagne et au Portugal, alors même que vient d’être adoptée par l’O.N.U. la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Co-président du Conseil Œcuménique, le pasteur M. Boegner convoque à Paris le, 1er février 1950, une conférence pour évaluer les besoins et coordonner les efforts. Comme ces Églises sont amenées à faire appel à l’aide extérieure, les protestants américains aimeraient savoir pourquoi on les sollicite. D’où le projet de réunir toutes les Églises non-romaines dans une même organisation, à laquelle participeraient les Églises romandes, « et pas seulement comme donatrices », précise le pasteur Dominicé, qui représentait l’Église de Genève à cette rencontre, « car elles ont aussi leurs besoins et leurs ambitions ».
Ainsi naquit la CEPPLE, sous l’ombre tutélaire de Monsieur Boegner.

Quelques mois plus tard, en septembre 1950, à l’initiative du Département d’Entraide des Églises du Conseil Œcuménique, se tient à Torre-Pellice, lieu emblématique de l’Église Vaudoise d’Italie, la mère de toutes les Réformes, la première Conférence des Églises Protestantes des Pays latins d’Europe. Grandeur et misère des Églises minoritaires, tel est le thème de l’assemblée, que développe le pasteur Visser’t Hooft, Secrétaire Général du Conseil Œcuménique. De son exposé, je retiens cette définition : Evangéliser, c’est sortir de l’étroitesse de son Église, pour entrer dans la vie du monde. L’assemblée fut dominée à la fois par le thème de l’évangélisation, et par la question de la liberté religieuse, qui donna lieu à une longue et vigoureuse résolution.

Dès lors des liens se créent, des initiatives sont prises : conférence de jeunesse des Églises latines (1955 aux Baléares), rencontre de responsables de la formation des laïques (1958).

En septembre 1968, le Chambon sur Lignon accueille la seconde assemblée de la CEPPLE. 121 participants. Les travaux durent une semaine. Je retiens seulement l’exposé du Professeur H. d’Espine, de la Faculté de Théologie de Genève. La situation du protestantisme dans les pays latins implique une vocation spécifique, estime-t-il, qu’il définit par quatre éléments :

• l’évangélisation
• la lutte pour la liberté religieuse
• un ministère prophétique
• une responsabilité à l’égard de régions extra-européennes (Afrique, Amérique latine)

Trois conditions pour répondre à cette vocation :

• un renouveau spirituel
• une solidarité (spirituelle et matérielle)
• une plus grande unité

On voit s’élaborer ici une réflexion ecclésiologique à partir du contexte, en même temps que s’exprime l’idée d’une responsabilité particulière des Églises latines à l’égard des pays du Sud. L’assemblée travaille sur différentes questions : unité, évangélisation, service, rapports entre catholiques romains et protestants. Elle entend un rapport très documenté d’un juriste italien, le Professeur G. Peyrot, sur le thème de la liberté religieuse.

Deux résolutions marquent cette conférence :

• une déclaration solennelle sur la liberté religieuse. Constatant qu’il n’y a guère eu d’amélioration de la situation en Italie, ni en Espagne ou au Portugal, la Conférence « dénonce encore une fois les atteintes à la liberté religieuse et les obstacles de différentes natures qui entravent toujours cette liberté dans les trois pays ». Elle « proclame la liberté religieuse comme universelle, entièrement valable pour tout homme, pour toute Église, en tout pays, dans n’importe quelle circonstance, sans que ce principe puisse être infirmé, en droit ou en fait, en raison des conditions différentes d’un pays particulier. Convaincue que la liberté religieuse est le fondement de toute liberté, et que par conséquent la dignité et les droits de la personne humaine, grandement menacés dans le monde d’aujourd’hui, ne seront jamais pleinement garantis que si la liberté religieuse est entièrement respectée dans son exercice, la Conférence en plaidant pour l’entière liberté religieuse des hommes et des Églises en pays latins, n’entend nullement réclamer pour eux des droits et des libertés qui puissent être refusés à d’autres confessions dans d’autres pays ». Cette déclaration était accompagnée de revendications précises concernant l’exercice de cette liberté.

• la création d’un comité permanent (deux membres par pays, immédiatement désignés) pour développer les liens qui nous unissent. « Il fera en sorte que rien d’important ne se passe dans les domaines de l’évangélisation, de la mission, de l’école du dimanche, de la liturgie, de l’hymnologie, de la recherche théologique et des publications, sans que toutes les Églises en soient averties ». Bienheureuse équipe de continuation investie d’un tel mandat !

Exode
Les années passent. Le sentiment se répand que, dans leur fragilité, les Églises dites minoritaires sont porteuses pour d’autres d’une parole d’avenir. Ce qu’exprimera la troisième Assemblée Générale qui se réunit à Leysin (Suisse) en octobre 1963. « Nous pensons que dans la recherche ecclésiologique de notre temps, une tâche nous est donnée dans le fait que nos Églises, dans leur majorité, ont des structures souples, relativement faciles à changer et à adapter. Notre situation minoritaire, si nous l’entendons comme une vocation et non comme une réalité sociologique, peut aider l’Église d’aujourd’hui à se comprendre comme minorité. Notre condition de pauvreté, qui doit être comprise elle aussi comme une vocation, peut nous amener à nous donner des structures plus simples, des formes d’organisation moins exigeantes, et à rechercher de nouvelles bases d’existence matérielle. »

Ainsi c’est toute l’Église qui est appelée à vivre comme communauté en Exode, hors de la pesanteur de structures héritées des temps de chrétienté. Un second point est à l’ordre du jour de cette assemblée de Leysin : la question des migrations. C’est le professeur André Philip, un économiste protestant, grande figure de la vie politique française (il a été plusieurs fois ministre), et adepte du christianisme social, qui intervient sur ce thème. Le problème n’est pas nouveau, souligne-t-il, mais il se posera avec acuité dans les vingt prochaines années. L’émigration ne sera plus principalement intra-européenne, mais elle viendra d’Afrique. D’où l’invitation pressante aux Églises à travailler cette question, et la décision de l’assemblée de l’inscrire dans son programme pour l’avenir.

1975. La révolution des œillets vient de renverser l’année précédente au Portugal le régime fondé par Salazar. Lisbonne est en pleine effervescence, lorsque s’y réunit la conférence des Facultés de théologie des pays latins, un des plus anciens et des plus durables réseaux de la CEPPLE. Au programme, préparé par le professeur D. Almeida, de la Faculté de théologie de Lisbonne, s’entremêlent préoccupations politiques et réflexion théologique en situation : rencontre avec Ferdinand Belo, théologien portugais qui vient de publier Lecture matérialiste de l’Évangile de Marc, et visite d’une entreprise autogérée. L’incertitude sur ce qu’il adviendra dans ce contexte mouvant de la révolution des œillets provoque de grandes manifestations au cœur de Lisbonne. Je me souviens encore de la stupeur d’un collègue suisse voyant défiler dans la foule des groupes de militaires en uniforme, le poing levé, scandant le cri : le Portugal ne sera pas le Chili de l’Europe. Même pour un Vaudois, pareil spectacle était difficile à imaginer. Et j’entends encore la prophétie de Georges Crespy, qui nous parut alors bien téméraire : La prochaine fois, nous nous réunirons dans une Espagne rendue à la démocratie.

L’année suivante, en septembre 1976, se tint à Figueira da Foz un colloque tricontinental, co-organisé par la CEPPLE et la CEVAA (Communauté Evangélique d’Action Apostolique) : Europe – Afrique – Amérique latine. Des figures marquantes de la théologie étaient là : Emilio Castro, Georges Casalis, Jacques Maury, Daniel Vidal, Aldo Comba, Seth Nomenyo. L’accent mis sur la dimension contextuelle de la théologie, les développements des théologies de la libération en Amérique latine, la recherche d’une expression africaine de la théologie rendirent la confrontation riche et passionnée. Un grand moment, mais semble-t-il, sans lendemain.

Chroniques
À l’origine, la CEPPLE fut une réponse concrète à une situation historique donnée. Peu à peu s’est tissé un réseau de relations et d’échanges. Un réseau, plus qu’une institution. Idée assez novatrice : des formes de communication souples, légères, flexibles, aux connexions diverses.
D’où aussi un travail en réseaux, reposant beaucoup sur un échange à partir des pratiques entre acteurs de terrain. Les années 80-90 voient le développement de ces réseaux :

• Ainsi un réseau catéchèse, qui travaillera notamment à l’élaboration d’un matériel commun, intergénérationnel, édité en quatre langues : avec et sans frontières.
• Le développement des radios libres suscite la création d’un séminaire radio, qui comptera jusque à dix éditions en vingt ans.
• La question des migrants est reprise dans toute une série de colloques, avec le concours de la Cimade : Malaga (1993), Sète (1994), Rome (1995), jusqu’ à Lisbonne (2007). La solidarité entre Femmes des pays latins trouve son expression dans une série de rencontres, dont la première, à Sète, en 1991, rassemble plus d’une centaine de déléguées.
• Et que dirai-je encore ? Car le temps me manquerait pour parler de la diaconie, de l’aumônerie des prisons et de la formation permanente des pasteur(e)s.
Le désir d’associer plus largement les membres des Églises latines à un événement commun est à l’origine du colloque sur La montée des intégrismes, tenu à Lyon en 1997, avec notamment la participation d’un intellectuel musulman, spécialiste de l’Islam, Hassen Garouachi, venu spécialement de Tunis. Les travaux, qui ont été publiés, apparaissent aujourd’hui, avec le recul, d’une singulière actualité.

Les liens noués, au travers de l’Église Réformée de France, avec l’Église évangélique de Rhénanie (EKIR) se sont poursuivis par toute une série de rencontres depuis Pau (1994) jusqu’à Trieste (2003), et récemment encore à San Lorenzo del Escorial, en Espagne. Une histoire s’est tissée entre nos Églises latines et ces Églises du Nord, ainsi qu’avec plusieurs Églises de l’Est, affrontées dans des contextes différents à des défis comparables.

En avril 1999, les responsables de la CEPPLE et les Présidents des Églises latines invitèrent M. Jacques Delors, qui évoqua les défis de la construction européenne, les valeurs mises en jeu, les interrogations éthiques autour du projet européen, et souligna que le rôle des Églises était à ses yeux « d’ouvrir des chantiers, de tracer des sillons, d’interroger nos sociétés ».

Ce qui frappe finalement dans cet itinéraire de la CEPPLE, c’est la capacité d’anticipation. Les questions débattues dans nos rencontres se sont révélées à l’épreuve du temps comme des questions décisives : la situation minoritaire de l’Église dans la société ; l’immigration, problème majeur de notre temps ; les rapports Églises-État, c’est-à-dire religieux/politique, et le modèle de laïcité ; la montée des intégrismes. Ou encore cette session, tenue à Madrid, il y a plus de vingt ans, à l’initiative de ce qui était alors la section Ibérique de la Fédération Protestante de France, avec le concours de la CEPPLE, et qui portait entre autres sur le modèle de développement économique et social de l’Europe.

Enfin, toute la réflexion ecclésiologique, par exemple les travaux sur la diaspora il y a plus de trente ans, me semble d’une grande richesse, et à certains égards, d’une étonnante modernité.

N’oublions pas pour autant les moments où la provocation de la Parole est venue bousculer notre conciliabule. En 1978, l’Assemblée Générale, tenue à Sommières (France,) s’achève par un culte solennel, présidé par le pasteur Louis Simon. Le temple de Sommières avait rarement connu pareille affluence, et jamais pareille abondance d’autorités ecclésiastiques. Louis Simon prêche sur le festin chez Lévi, la fête des pauvres où Jésus partage le repas des indésirables. Soudain, le prédicateur promène son regard d’un côté à l’autre de l’assemblée : « Jésus était avec les pauvres, déclare-t-il ; ici, je ne vois que des riches ». Arrive le moment de la Cène. Louis Simon prend une pleine poignée de pain, et la jette sur la table (par terre ?) : « Voilà la part des pauvres, de ceux qui ne sont pas ici ». Il n’osa pas tout à fait faire de même avec la coupe, mais il mit une coupe à part, dans la même intention. Certains dans l’assistance furent, dit-on, un peu surpris.

Qoheleth
Quel profit y a-t-il pour la CEPPLE de tout le travail qu’elle fait sous le soleil ?
Un président s’en va, un autre vient, et la terre subsiste toujours.

Moi, Qoheleth, j’ai été Secrétaire Général de la CEPPLE. J’ai eu à cœur de chercher et d’explorer par la sagesse tout ce qui se fait dans nos Églises sous le ciel. J’ai vu toutes les œuvres qui se font sous le soleil : les colloques et les synodes, les propositions et les résolutions, les contributions et les cotisations. Mais voilà que tout est agitation et poursuite de vent.

Je me suis dit en moi-même : voici une assemblée de la CEPPLE, qui a fait grandir et progresser la sagesse, plus que toutes les assemblées qui l’ont précédée. Elle adopte dans l’enthousiasme une résolution intelligente et prometteuse. Mais cette décision va bientôt s’endormir dans l’oubli. Et une autre assemblée reprendra plus tard le même travail avec la même conviction, et le même résultat. Oui, que reste-t-il pour cette assemblée de tout son travail et de tout l’effort qu’elle aura fait sous le soleil ? Cela aussi est vanité, et poursuite de vent. Et en beaucoup de sagesse, il y a beaucoup de problèmes.

Par ailleurs je vois une vanité sous le soleil. Voici une langue qui s’impose à toutes les Églises dans le concert œcuménique. Pas de limite à son hégémonie. Je me suis dit à moi-même : au moins à la CEPPLE, on sera délivré de l’anglais. Mais une hégémonie a remplacé une autre. À la CEPPLE, même les Belges parlent français. Cela aussi est vanité.

Alors, j’en suis venu à me dire : allons, profite de la CEPPLE, goûte à son bonheur. Et j’ai voyagé de Rome à Lisbonne, de Bruxelles à Trieste, de colloque en colloque. J’ai dégusté toutes les saveurs de la théologie latine, j’ai savouré les vins de Porto, et ceux de Malaga. Rien de bon pour l’homme et pour la femme, sinon de manger et de boire, de goûter le bonheur dans la rencontre et dans la sieste. J’ai vu que cela aussi vient de la main de Dieu. Il fait toute chose belle en son temps. À la CEPPLE il donne même le sens de la durée, sans qu’elle puisse découvrir l’œuvre que fait Dieu depuis le début jusqu’à la fin.

Psaume
Rendez grâce pour toute cette histoire qui nous précède, et dont nous sommes aujourd’hui les héritiers.
Rendez grâce pour tous ceux qui en ont été les acteurs, pour Humberto Capo, pour Aimé Bonifas, pour Io Ludwig, pour Gérard Cadier, et pour tant d’autres, dont les noms sont inscrits dans nos mémoires, et dans le grand Livre de la Grâce.

« La CEPPLE ne va pas de soi, disait Paolo Ricca lors de l’Assemblée Générale d’Aveiro (Portugal), en 1994. Depuis 44 ans (depuis 60 ans, pouvons-nous dire aujourd’hui), cette créature fragile et tenace à la fois est un petit miracle qui se renouvelle et qui nourrit notre gratitude envers Dieu. Nous remercions Dieu pour ceux qui ont eu le courage de créer ce réseau précieux de fraternité, et pour tous ceux qui, par leur dévouement passionné et généreux, ont permis à la CEPPLE de vivre jusqu’à ce jour ».
J’ajouterai seulement : …et de poursuivre demain.
Gérard Delteil
Source : FPF

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