Les enjeux de la commémoration du 1600e anniversaire de la naissance de sainte Geneviève (Père Jérôme Bascoul)

Geneviève dans l’histoire de son temps

Sainte Geneviève est née – selon les recoupements des sources historiques – en 426. Elle rencontre Saint Germain en 429, elle est consacrée dans l’ordre des vierges en 434 ou 435 par Vilicius de Bourges. L’épisode des Huns se situe en 451. Clovis affermit son pouvoir en 486, il est baptisé entre 496 et 500. Geneviève meurt vers 502, avant la victoire de Clovis sur les Wisigoths en 507 à Vouillé. Clovis entreprend peu après de construire une basilique pour la sépulture de Geneviève et s’y fera inhumer en 511.

Cette histoire a permis de faire entrer des générations de petits Français dans le roman national et d’explorer les origines de la France, du point de vue religieux comme du point de vue national. Faire de l’histoire, c’est vouloir donner du sens à notre présent et nous projeter dans l’avenir. Clovis était connu par la transmission scolaire de l’épisode du vase de Soissons. Pour l’histoire nationale et religieuse c’est le premier des chefs barbares à devenir catholique, et à justifier l’expression de France fille aînée de l’Église.

Notre époque connaît ses défis et génère des angoisses spécifiques. Nous lisons donc l’histoire de sainte Geneviève dans un contexte où nous connaissons des dérèglements climatiques, l’avènement de la présence visible de l’islam dans notre société, la redéfinition des rapports entre l’Église et l’État, des tensions dans les rapports entre hommes et femmes, des questions concernant l’exercice de l’autorité dans l’Église et la place des ministères. Le risque est de faire de l’histoire en vue de justifier une position idéologique et de tomber dans l’anachronisme. Mais le gain d’une pratique de l’histoire comme science permet d’éclairer la complexité contemporaine en la confrontant à la complexité de la période étudiée. Notre réflexion est ainsi mise en chemin sans s’arrêter à des conclusions définitives, dans une quête humble de sagesse en vue d’un discernement.

I- Geneviève dans l’histoire de son temps

De l’empire romain à l’empire byzantin
L’empereur Théodose Ier (379-395) est le dernier qui règne sur l’Orient et sur l’Occident. En 380, l’édit de Thessalonique fait du christianisme défini à Nicée en 325 la seule religion de tout l’empire. La définition de la foi, si elle est la prérogative des évêques garants du témoignage apostolique, est aussi celle du pouvoir politique qui protège l’Église et la paix civile qu’elle garantit. Les options religieuses des souverains sont donc aussi politiques. La crise politico-théologique provoquée par la question du mode d’existence de la divinité et de l’humanité dans la personne du Christ trouve une solution au concile de Chalcédoine près de Constantinople en 451. Théodose II empereur romain d’Orient y convoque le concile où triomphe la foi orthodoxe exprimée dans le Tome du pape Léon adressé au patriarche de Constantinople Flavien. L’Orient chrétien se divisera par la sécession de l’Église d’Alexandrie et d’une partie de celle d’Antioche, mais l’union avec Rome est réaffirmée. Léon affirme la prétention du pape de Rome sur toute l’Église en matière de foi et de discipline, au nom du ministère pétrinien qu’il assume comme successeur de l’apôtre Pierre, ce qui contribue à creuser la séparation entre ces deux parties de l’Église. Sous Justinien (527-565), la reconquête partielle de la partie occidentale et la mise au pas du pape de Rome seront sans lendemains. Son œuvre législative que l’on appelle le code de droit civil justinien ne s’imposera pas avant le XIIe siècle en Occident. Sous son règne, les écoles et les temples païens sont définitivement fermés. Il essaye encore de rallier les chrétiens monophysites. Sainte Sophie est bâtie. Donc, à l’époque qui nous occupe, les monde byzantin et occidental sont en train de s’éloigner toujours plus, même si la foi catholique les unira formellement jusqu’en 1054.

la division de la Gaule en 481
© DR

La fin de l’empire romain d’Occident
En 395, à la mort de Théodose, l’empire romain se scinde en une partie occidentale avec Rome et une partie orientale avec Constantinople [1] . Les peuples barbares cherchent des terres disponibles. Ces migrations entraînent un mode de vie nomade et la pratique du pillage comme font les Huns. Ces derniers viennent des steppes d’Asie centrale et poussent vers l’ouest les Germains qui viennent de Scandinavie à travers les plaines d’outre Rhin et d’outre Danube. Les Huns en 406 passent le Rhin et provoquent des déplacements de population qui entraînent violences et pillages. Rome est saccagée par les Vandales de Genséric en 455. Les vandales sont un peuple germanique passé en Méditerranée, installé par Rome sur la côte africaine et fédéré à l’armée romaine. Ce saccage a pour cause les intrigues de cours romaines, puisque c’est l’épouse de Valentinien III qui appelle le roi vandale pour venger l’assassinat de son mari. Le pape Léon le Grand négocie avec Genséric les conditions du pillage de l’ancienne capitale impériale. En 476 disparaît le dernier empereur romain d’Occident. Il est supplanté par un barbare romanisé, Odoacre, qui exerce son pouvoir sur l’Italie avec l’assentiment du Sénat et au nom de l’empereur d’Orient jusqu’à ce que l’empereur Zénon le fasse battre par les Ostrogoths de Théodoric le Grand en 489. Les structures administratives de l’empire romain d’Occident se délitent ; elles sont privatisées et évoluent vers la féodalisation. Le contrôle de la partie occidentale de l’empire par Byzance se limite à Ravenne.

Installation des royaumes barbares en Gaule
Aux Ve et VIe siècles, la Gaule romaine se transforme ; les anciennes provinces des deux diocèses civils des Gaules (Trèves) et de Septimanie (Arles) deviennent pour la plupart des royaumes germaniques. Au sud-ouest un royaume wisigoth comprend, outre l’Espagne, l’Aquitaine, la Septimanie et la Provence. Les Wisigoths sont ariens et ne passeront au catholicisme qu’au IIIe concile de Tolède en 589. Au sud-est, nous trouvons le royaume burgonde appuyé sur les Alpes. Les Burgondes sont ariens, mais il y a des familles catholiques comme celle de Clotilde. Les Alamans entre Rhin et Moselle sont ariens quand ils sont chrétiens, mais sont encore largement paganisés. Les Francs occupent le Nord ; ils sont païens eux aussi. Il y a aussi un royaume romain à l’ouest qui est une partie isolée de l’empire romain d’Occident. La pointe de l’Armorique reste indépendante de Rome et des Francs. Les vagues successives de populations germaniques sont intégrées dans l’empire par le moyen du fœdus qui est un traité de paix qui leur donne un statut de « clients » qui obtiennent des terres et sont fédérés à l’armée romaine comme auxiliaires. Les Francs sont ainsi intégrés depuis le début du IVe siècle, au point de donner des généraux à l’armée romaine. Les Goths qui viennent un peu après s’imposent dans l’empire en gardant leurs usages, car ils ont une culture plus développée que celle des Francs. La faiblesse de l’empire romain en proie aux séditions internes facilite aussi les ruptures des pactes entre les royaumes barbares et Rome.

L’arianisme
Arius est un prêtre d’Alexandrie qui dans son école théologique affirme que le Verbe de Dieu, le Christ Jésus, n’est pas Dieu. En tout le Fils est subordonné au Père qui produit son Verbe : « Il fut donc un temps où le Verbe n’était pas. » Il s’agit pour Arius de défendre le strict monothéisme du point de vue chrétien. Le premier concile œcuménique de Nicée condamne l’hérésie en 325, mais il le fait en employant le mot consubstantiel qui définit le lien entre les deux personnes divines, mot qui n’est pas biblique et qui devient le point d’achoppement entre les évêques. Le conflit n’en reste pas là malgré le soutien de Constantin, car ses fils Constance II et Valens voudront transiger et trouver des compromis théologiques pour garder l’unité de la foi dans l’empire. L’arianisme va se diffuser en dehors de l’empire, notamment auprès des Goths qui le réintroduiront à l’occasion de leur établissement dans l’empire romain.

L’arianisme des Goths
L’arianisme des Goths a pour père Ufila, descendant d’esclaves grecs capturés par les Goths, qui se fait ordonner évêque en 341 par Eusèbe de Nicomédie qui est du parti arien et qui baptisa Constantin. Ufila traduit la Bible en langue gothique. Les Goths se romanisent, même si en leur sein subsiste aussi une réaction païenne. On voit donc comment nation et religion sont liées, surtout chez les Goths qui ont développé une haute culture à l’inverse des Francs qui n’ont pas d’identité aussi marquée et sont plus malléables pour s’insérer dans la romanité et ultérieurement dans le christianisme orthodoxe de l’empire romain. Le christianisme arien, nous le savons par les pratiques des Goths, se distingue de l’orthodoxie catholique sur plusieurs points. D’abord le chef politique, le roi est le véritable chef de l’Église. Clovis se montrera beaucoup plus respectueux de la synodalité épiscopale, comme le rapporte Grégoire de Tours, lors du concile d’Orléans en 511 [2] . L’arianisme se caractérise par l’absence du culte des saints, parce que du point de vue arien, il n’y a pas de participation à la nature divine. De même, il n’y a pas de prière pour les défunts comme le montre la lettre de saint Nizier à la princesse Chlodowinde, princesse franque épouse du roi lombard arien Alboin [3] , qui insiste sur le fait que les ariens « ne rentrent pas dans les basiliques funéraires et n’y célèbrent pas de messes ». Nizier en contrepoint insiste sur la tradition catholique du culte des saints dont les miracles accomplis sur leurs tombes, comme à Tours sur celle de saint Martin, attestent la véracité de la déification (théosis en grec) c’est-à-dire la participation à la nature divine. Pour l’arianisme l’Église n’est pas l’épouse du Christ. Geneviève aura à cœur d’enraciner au nord de Paris la pratique du culte des saints et donc le culte de saint Denis, comme antidote à l’arianisme.

L’Église catholique en Gaule
L’Église catholique est établie en Gaule depuis le deuxième siècle : l’antique colonie grecque de Marseille en fut la porte d’entrée, puis la Sainte-Baume, Lyon, avec les martyrs Blandine et Pothin en 177, enfin Irénée qui meurt sur le siège lyonnais en 202. Avec l’avènement de Constantin, l’Église provençale peut déjà réunir un concile à Arles en 314. Entre les IVe et Ve siècles, les provinces romaines occidentales se couvrent d’évêchés dont la densité est plus importante en Provence et dans le couloir rhodanien qu’au nord de la Loire. Dans le cadre de l’empire, l’Église a une autonomie d’administration. Elle se distingue par l’institution conciliaire locale ou provinciale autour des grandes métropoles, Arles, Tours, Reims... Elle jouit aussi d’une autonomie fiscale : elle lève ses propres impôts et n’est pas soumise aux contributions civiles. Les revenus qu’elle a en propre lui font aussi l’obligation du soutien et du secours des plus pauvres. Sur le plan judiciaire, elle a ses propres tribunaux, y compris pour juger les affaires criminelles concernant le clergé depuis 425, et elle peut aussi exercer la justice gratuitement au profit des laïcs. Elle jouit aussi de la possibilité de recevoir en usufruit des biens de toute nature, y compris des biens fonciers qui sont exemptés d’impôts et échappent aux partages d’héritage. L’empereur d’Occident Valentinien III promulgue en 439 – réitérée en 460 par Majorien –, une loi qui interdit aux curials, les magistrats des cités romaines, d’entrer dans les ordres ou dans la vie monastique. Les canons stipulent donc qu’il est interdit d’ordonner des laïcs ! Cela signifie que seuls peuvent être clercs les fils de clercs, l’ordination entraînant la rupture du mariage [4] . Le roi pouvait aussi consentir à permettre le passage de l’état laïc à l’état clérical. La Réforme grégorienne remettra cet état des choses en question…

L’organisation administrative de l’empire et ses conséquences pour l’Église
Dans l’Évangile nous connaissons Ponce Pilate préfet de Judée sous Tibère, dont on sait peu de chose. Ce qui nous intéresse ici, c’est de signaler que les fonctionnaires sont amenés à se déplacer dans tout l’empire où ils assument leurs charges et permettent à Rome d’exercer sa vigilance et son contrôle. Cela n’est plus possible au IVe siècle. C’est donc au niveau local que les fonctions administratives sont confiées aux notables qui sont aptes à les assumer. Ainsi, au temps de Geneviève, les curiales administrent les cités et lèvent les impôts sur le régime de la ferme ; ils sont donc responsables sur leurs biens propres de la rentrée de l’impôt. Entrer dans les ordres leur permet d’échapper à leurs responsabilités civiles. Cela se traduit par une mutation des familles sénatoriales en familles sacerdotales selon la formule d’Henri Marrou. Par exemple en Auvergne-Burgondie, Florentinus évêque de Genève en 513 est le père de saint Nizier évêque de Lyon, qui succède à son oncle saint Serdot. Saint Nizier est aussi l’oncle de Grégoire de Tours [5] . Parallèlement les progrès du monachisme verront le recrutement épiscopal s’orienter vers les moines. Le droit romain est soumis aux principes chrétiens depuis 392. Le revers de la médaille est que l’empereur comme « évêque de l’extérieur » peut aussi influencer l’Église en matière dogmatique comme le feront Constance, Valens et d’autres. Saint Jean Chrysostome, saint Martin, saint Hilaire de Poitiers subiront les rigueurs impériales à l’époque qui nous intéresse. En 445, l’Église acquiert aussi la possibilité de faire respecter la discipline ecclésiastique en recourant au « bras séculier ».

L’affirmation de l’autorité de Rome sur l’Église d’Occident
La même année, une autre loi va limiter le pouvoir des évêques en Occident par l’obligation de se soumettre à l’autorité du pontife romain. C’est à cette lumière qu’il faut comprendre les luttes de l’évêque de Reims contre Rome. En effet, saint Rémi pousse à la consolidation d’une Église franque en contestant l’universalisme porté par les papes comme Gélase et Léon (440-461). Rémi est dans la ligne théologico-politique d’un Eusèbe de Césarée pour qui Constantin est le chef de l’Église [6] . Face au délitement de l’administration civile impériale, l’Église devient la seule institution de l’empire à subsister. Avec Jean Cassien (+455) l’influence monastique commence à se faire sentir après les débuts à Saint-Victor de Marseille. C’est avec saint Martin, assumant la tradition de saint Augustin que va se répandre un idéal de monachisme au service de l’évangélisation.

Les Huns
Les Huns sont des nomades éleveurs de moutons et de chevaux venus d’Asie. Ils représentent des centaines de milliers de personnes, puisqu’ils se déplacent guerriers et familles ensembles. Ils pratiquent des cultes traditionnels et recourent aux chamans, mais ils acceptent en leur sein des populations chrétiennes ariennes qui gardent leur culte. Au gré de leurs victoires ils enrôlent d’autres groupes de nomades et soumettent à tribut les populations sédentaires. Attila surgit en Europe en 441. Il assiège Constantinople qui ne se rend pas, mais paye tribut. Les Romains ont parfois utilisé les services des Huns contre les Germains. Après sa défaite aux champs catalauniques en 451 situées près de Troyes, il passe les Alpes et se retrouve en Italie en 452. Il menace Rome et le pape Léon le Grand viendra négocier le sort de la cité, mais une épidémie met fin à l’épopée des Huns, quand Attila meurt en 453. L’empire d’Attila se dissout dans les querelles entre ces descendants mais le mythe d’Attila le Barbare « fléau de Dieu » lui survivra.

Le jeu des alliances entre Romains et Barbares romanisés
La vie de Geneviève s’inscrit dans un contexte de concurrence entre les royaumes germaniques – franc, wisigoth, burgonde – et le reliquat gaulois d’empire romain d’Occident. Geneviève influence l’évolution politique et religieuse de la Gaule entre 476 et 499, c’est-à-dire entre la fin de l’empire romain d’Occident à Rome et le baptême de Clovis. Nous avons signalé les appartenances, arienne, païenne ou catholique des différents peuples barbares. Ce qui reste de la Gaule romaine n’est plus en contact direct avec l’Italie d’Odoacre qui est aussi arien, ostrogoth. Les Gallo-romains se scindent en deux partis : un parti pro-wisigoth et un parti pro-franc. Les Wisigoths sont ariens et les Francs païens. Cette situation entraîne la guerre civile. Geneviève elle-même prend le parti des Francs païens contre les Wisigoths ariens ; elle est en désaccord avec les magistrats gallo-romains parisiens. Cela éclaire les rapports de Geneviève avec Childéric, père de Clovis, l’épisode du siège de Paris et de la grâce accordée par Childéric aux prisonniers sur les instances de Geneviève.

Les derniers Romains d’Occident
Honorius est empereur d’Occident. Il règne de 393 à 423, mais son autorité est mise à mal par la pression barbare. Son successeur, Valentinien III (425-455), charge le général Aetius de rétablir l’autorité de Rome en Gaule ; celui-ci repousse les Francs saliens sur la Somme et le Rhin. Aetius avait fédéré les Francs saliens mais leur légitimité auprès des Gallo-romains était incertaine. Dans le sud de la Gaule il doit s’opposer à l’éphémère empereur Avitus (455-456) qui s’appuie sur les Wisigoths. Aetius, patrice romain venu d’Italie ou d’Arles, est le vainqueur d’Attila aux Champs catalauniques coalisé avec Théodoric 1er le roi des Wisigoths qui y laisse la vie et de Mérovée. Ce succès contribue à sa perte : il est assassiné en 453 par Valentinien III, mais sera vengé par ses deux gardes du corps goths en 455. Le général Aegidius, gallo-romain né à Lyon, est l’avant-dernier représentant de la Rome impériale. Il tente de conserver l’autorité romaine et de briser l’influence hégémonique des Wisigoths en Gaule du sud et de contrer les Burgondes sur les Alpes mais désavoué par Rome il se réfugie dans l’ouest de la Gaule et conforte son alliance avec les Francs. Son fils, le général Syagrius, lui succédera. Il établit un royaume romain qui intègre Paris, Soissons, Troyes, Sens Orléans, Le Mans…. Le général Syagrius a rompu avec les Francs pour s’allier avec les Wisigoths. Il sera vaincu par Clovis en 486 à Soissons. La romanité aura duré plus longtemps puisque Odoacre est maître de l’Italie depuis 476…

Les sources littéraires : la Vita
Sainte Geneviève est témoin de la fin de l’empire romain d’Occident et de l’établissement d’une monarchie franque en Gaule. Geneviève tisse des liens très forts avec le roi franc Childéric et prépare ainsi la conversion des Francs à l’orthodoxie catholique. Bien que ce soit la reine burgonde, épouse de Clovis, et l’évêque Rémi de Reims qui amènent Clovis au baptême, la vénération que portent Childéric et Clovis à Geneviève est déterminante. Sa vie nous est connue par le manuscrit de sa Vita : il s’agit d’une biographie rédigée à la demande de sainte Clotilde, épouse de Clovis, qui lui survivra une trentaine d’années (+548). L’auteur est un prêtre burgonde qui combat l’hérésie arienne condamnée au concile de Nicée en 325 et revenue en Occident avec l’installation des royaumes barbares. Il n’a sans doute jamais rencontré Geneviève, mais il s’est renseigné auprès de témoins directs. Ce document aurait été écrit dix-huit ans après la mort de la sainte, à 80 ans ; le texte daterait, par conséquent, des années 520 à 530.

Origine sociale de Geneviève
Les éléments fournis permettent de situer la naissance de Geneviève à Nanterre vers 426 et sa mort à Paris vers 500. Ses parents, Sévère et Gérontia sont des Francs romanisés qui appartiennent à la haute société gallo-romaine ; ils donnent à leur fille unique un nom germanique qui signifie « née du sein d’une femme ». Geneviève est citoyenne romaine et, par le code juridique alors en vigueur, elle succède à son père dans la charge de magistrat municipal, de curiale. Le père de Geneviève est un militaire qui après sa carrière assume ses responsabilités de citoyen romain. Il est établi sur un domaine appartenant au fisc qui le rémunère pour ce service public. Geneviève dispose d’importants revenus et gère ses vastes domaines dans les environs de Paris et de Meaux.

© Par École flamande, fin du XVIe siècle — Travail personnel 2012-09-08 16:11:59 Fanny Schertzer, CC BY 3.0

Les différentes formes et significations de la consécration religieuse
La vie monastique existe, mais en Occident saint Benoît (480-547) ou sainte Scolastique (480-543) pour les femmes ne l’ont pas encore structurée. La signification de la vie monastique est d’abord l’élan par un engagement radical à la suite du Christ, qui ne semble plus pouvoir se réaliser dans une Église qui est établie ; le temps des persécutions avec ses martyrs est terminé. La signification de la consécration religieuse dans sa radicalité pour la vie de l’Église est un défi, car l’érémitisme et le monachisme des débuts de l’Église s’inscrivent aussi dans un prophétisme qui peut aller jusqu’à la contestation du monde vu comme mauvais, il faut alors le fuir. C’est déjà l’option des esséniens juifs au premier siècle. Ce sera dans le christianisme primitif les partisans de Montan, avec leur prophétisme « anticlérical » et pour lesquels la continence volontaire, le refus du mariage, qu’on appelle l’encratisme, allait jusqu’à concevoir la génération comme une œuvre démoniaque. Les propos de Jésus sur la virginité et la continence et l’enseignement de saint Paul sont tirés et orientés dans un sens extrême que l’Église ne ratifiera pas. Cependant l’Église valorise le « célibat pour le Royaume », mais sans dévaloriser la vie dans le monde et le mariage. Dans une perspective eschatologique exacerbée par les montanistes, la fin imminente de l’histoire impliquerait un retrait effectif du monde. L’ascèse dans la perspective catholique est au service de la prière et elle n’est pas une performance prophétique. Le pélagianisme que partent combattre saint Germain d’Auxerre et saint Loup de Troyes en Irlande trouve une explication, celle du danger de constituer une Église de purs. Geneviève de ce point de vue passera sur la recommandation de l’évêque d’un régime de jeûne très rude où elle ne mangeait que le jeudi et le dimanche à un régime plus doux.

La consécration des vierges et la question des diaconesses
La consécration des vierges se fait sous la vigilance de l’évêque qui ratifie l’appel intérieur à la vie religieuse. Les vierges peuvent vivre en communauté ou au sein de leur famille comme Geneviève au début. Il y a deux formes de consécration des vierges, l’une est libre et sans engagement solennel, comme un temps probatoire, l’autre est une consécration liturgique [7] . Cette cérémonie comporte un élément emprunté aux coutumes nuptiales, comme la prise du voile, le voile des nouvelles épouses du Christ et voile des femmes mariées, mais il y a aussi des éléments spécifiques qui suivent le même rituel que l’ordination des diacres par l’évêque. Michel Rouche voit dans le paragraphe 5 de la Vita non seulement un pré-engagement à la consécration virginale de Geneviève, mais aussi une ordination diaconale. Germain aurait donc contrevenu à une règle qu’il connaissait et si la Vita décrit une ordination, Geneviève n’est qu’une enfant à ce moment du récit. Dans l’Église ancienne, il y a aussi des diaconesses à propos desquelles on se pose la question de savoir si ces femmes étaient ordonnées ou simplement instituées. La Didascalie des Apôtres décrit l’imposition des mains [8] . Ce ministère se justifiait dans le cadre des célébrations solennelles de baptême d’adultes : les diaconesses faisaient des onctions aux femmes catéchumènes et les instruisaient. Cette institution des diaconesses fut en tout cas supprimée par les conciles de Nîmes en 394-396 et d’Orange en 441, mais on trouve encore des interdictions au XIIIe siècle.

II- Une vie au service des Parisiens

La vocation
Elle est encore petite fille (entre 4 et 9 ans) lors de la rencontre en 429 à Nanterre des deux évêques, Germain d’Auxerre et Loup de Troyes qui sont en route vers la Grande-Bretagne. Ceux-ci à la demande du pape Célestin 1er allaient combattre l’hérésie pélagienne qui minimisait le rôle de la grâce relativisant l’importance du baptême et privilégiant l’ascèse . Saint Germain repère la petite Geneviève et l’invite à se consacrer au Seigneur ; il obtient son assentiment et celui de ses parents. En souvenir de cette promesse, il remet à la jeune fille une pièce de monnaie marquée d’une croix et montée en pendentif.

Aveuglement maternel et guérison
Cet engagement ne fut pas sans problème. Un jour Gérontia qui se préparait à aller à l’église demande à sa fille de rester à la maison. Geneviève se met à crier et à pleurer : « Je veux garder la promesse du vénérable Germain. Je veux aller à l’église. Je veux mériter d’être une bonne épouse du Christ. » Agacée, la mère la gifla et aussitôt perdit la vue. Vingt-et-un mois plus tard, Gérontia se souvenant des paroles de Geneviève lui demanda de lui porter de l’eau du puits, elle s’en humecta les yeux et recouvra la vue. Elle était miraculeusement sortie de son aveuglement.

La consécration dans l’ordre des Vierges
Bien qu’elle ait fait vœu de se consacrer à l’âge de l’enfance, sous l’impulsion de saint Germain en 429, lors de son passage à Nanterre, Geneviève a une vingtaine d’années lorsque l’évêque Villicus de Bouges l’admet parmi les vierges consacrées à Dieu en 444-447. « Ce prélat reconnut par une inspiration divine que Geneviève précédait en mérites toutes celles qui la précédaient en âge et commandât aussitôt qu’on la mise au premier rang, […] parce que dit-il elle a déjà reçu du ciel la consécration dont nous allons faire la cérémonie ; après quoi ayant toutes reçu la bénédiction pontificale elles s’en retournèrent chez leurs parents. » Il est remarquable que la Vita passe systématiquement sous silence l’existence d’un évêque à Paris [9] . L’ordre des vierges dépend directement de l’évêque et n’implique pas une vie conventuelle. La réception du voile signifie la sujétion à un mari ou dans le cas de Geneviève à Dieu, mais il donne un statut. Le célibat pour le Royaume est une voie « préférable [10] », mais elle n’est pas la négation de la voie commune du mariage et de la procréation. La Vita en offre une illustration avec l’épisode où Geneviève rend visite à Céline à Meaux qui avait résolu de se consacrer comme vierge. Son fiancé s’y oppose et les menace au point que Geneviève et Céline se réfugient dans le baptistère de la cathédrale. Dès lors, Céline persévèrera dans la chasteté et l’abstinence et recevra la consécration des vierges. La Vie mentionne encore douze compagnes qui vivent leur consécration à la manière de sainte Geneviève.
Dans les cours germaniques, l’imposition de la consécration religieuse à une princesse permet, dans le contexte des successions, d’éviter la violence. En effet, une princesse est potentiellement une mère d’héritiers prétendants au trône. De même, les frères du roi ou les neveux peuvent être mis de force dans des monastères.

Le voeu de consécration avec Saint Germain d’Auxerre
© Peinture murale (toile marouflée) de Pierre Puvis de Chavannes, 1877, Paris, Panthéon.

L’établissement à Paris, calomnies et témoignage de Germain
Vers 25 ans, ses parents étant morts, elle part habiter Paris chez sa mère spirituelle, peut-être sa marraine selon d’autres sources que la Vita plus lacunaire. Cette marraine nommée Procula serait la veuve d’un fonctionnaire romain exerçant la charge qui porte le titre de « comte des largesses sacrées », fonctions couvrant les finances et la frappe des monnaies. Comme héritière elle succède à son père à la tête du domaine familial. Propriétaire de riches terres, près de Meaux entres autres, elle en fait bénéficier les plus pauvres. Sa situation de notable de la cité lui donne la possibilité d’avoir une audience politique. La maison de la marraine est située dans l’Île de la Cité, près du palais des gouverneurs impériaux, puis après la mort de celle-ci, Geneviève s’installe près du baptistère qui est devenu l’église Saint-Jean-le-Rond situé près de la cathédrale qui à l’époque est dédiée à Saint-Étienne. Enfin, le dernier établissement de sainte Geneviève se situe rive gauche près du palais impérial près des thermes gallo-romains et hors les murs de la ville. Saint Germain, lors d’un nouveau passage dans la ville, aura l’occasion de défendre auprès des Parisiens sa fille spirituelle contre de nouvelles calomnies. Il le fera aussi par l’intermédiaire de son archidiacre (son ministre des finances entre autres fonctions).

L’action de Geneviève face à la menace des Huns
Au printemps 451, les Huns franchissent le Rhin. Auparavant, ils ont détruit Cologne, puis Metz et s’avancent vers Paris pour entreprendre la conquête de la Gaule wisigothique. Le 13 avril, ils passent par Verdun, Laon, Saint-Quentin, Reims et franchissent la Marne. Attila se reporte finalement sur Orléans, défendu par l’évêque saint Aignan, pour pouvoir traverser la Loire. Les Parisiens veulent fuir et s’opposent à Geneviève qui le leur déconseille. Ce serait livrer Paris à Attila, alors que Geneviève pense qu’il contournera la ville et que le danger est plus grand de risquer de se faire tuer en rase campagne. Malgré l’hostilité des notables parisiens, elle réunit leurs épouses pour prier le Seigneur de protéger la ville. « Que les hommes fuient, s’ils veulent, s’ils ne sont plus capables de se battre. Nous les femmes, nous prierons Dieu tant et tant qu’il entendra nos supplications », dit-elle. Elle est aussi soutenue par l’archidiacre d’Auxerre qui rappelle les paroles de Germain [11] sur l’élection divine de Geneviève. Il s’agissait moins pour les Parisiens de se battre contre les Huns que contre leur peur et leur manque de confiance dans la Parole de Dieu adressée par l’intermédiaire de sa servante. Geneviève actualise dans cet épisode la prédication du prophète Jérémie qui plaide auprès des habitants de Jérusalem de ne pas fuir en Égypte, de ne pas craindre les Assyriens [12].

Geneviève rend la confiance aux parisiens effrayés à l’approche d’Attila
© Peinture murale (toile marouflée) de Pierre Puvis de Chavannes, 1877, Paris, Panthéon.

Geneviève prophétesse
Geneviève est accusée d’être une « fausse prophétesse » par les hommes furieux. La Vita va l’identifier à Esther la reine, qui a été mise au côté du roi païen Assuérus pour sauver les juifs de la vengeance de Mardochée ou à Judith, veuve chaste, qui va libérer les juifs de Béthulie de l’emprise du général Holopherne. Geneviève a une autorité politique, et spirituelle. Ce qui est remarquable c’est que Geneviève s’adresse aux épouses des notables – près du baptistère, précise la Vita. Ce n’est pas Germain qui prend sa défense mais l’archidiacre qui rappelle aux hommes que « Geneviève a été choisie par Dieu dès le ventre de sa mère », ce qui lui donne une autorité spirituelle à l’image de la Vierge Marie !

Geneviève et Childéric : plutôt les païens que les ariens !
Avant de devenir les maîtres du pays, les Francs sont des envahisseurs qui imposent un blocus à Paris. Geneviève veut rassembler les fidèles catholiques dans le contexte des temps troublés. La Chronique des Bénédictins de Saint-Maur nous raconte comment Geneviève entre en relation avec le roi Childéric 1er père de Clovis. Childéric roi des Francs saliens est païen, mais il représente une alternative pour Geneviève qui déplore l’alliance du dernier « roi des Romains », Syagrius, avec les Wisigoths ariens. Les relations entre Childéric et Geneviève préparent la suite de la grande histoire puisque Childéric s’associera à Odoacre, dépositaire de la légitimité impériale romaine en Italie pour combattre les Alamans. Vers 480, Childéric, fait arrêter des prisonniers et ordonne qu’on les tue en-dehors des murs de Paris. Pour s’assurer de la neutralité de la population, il fait fermer les portes de la ville. Geneviève avertie tente de sortir et arrivant devant les fortifications voit la porte s’ouvrir toute seule. Elle part rejoindre Childéric à qui elle arrache la libération des prisonniers. Sans doute des Gallo-romains ayant pris le parti des Wisigoths.

Geneviève force le blocus de Paris
Childéric fait le blocus de Paris entre 476 et 486, il perturbe les relations commerciales sans les rendre impossibles et fini par provoquer une famine. Geneviève réquisitionne des bateaux et remonte la Seine jusqu’à Arcis-sur-Aube pour négocier un ravitaillement. Arrivée là-bas, elle est reçue par le tribun Passivus dont elle guérit la femme malade. Elle négocie sur place l’achat du blé nécessaire à l’approvisionnement de Paris. Repartant d’Arcis, les barques trop chargées, prennent l’eau, menaçant de couler. Tendant les mains vers le ciel, Geneviève implore le secours du Christ et la flottille de onze vaisseaux reprend le cours de sa navigation.

Geneviève et Clovis
Geneviève avait formé le projet de conduire Clovis au baptême. Elle parlait le moyen haut allemand qui était la langue maternelle de Clovis, ce qui facilitera les choses. Vers 493, au moment où le roi épouse Clotilde, princesse burgonde de confession catholique, Geneviève se lie d’amitié avec elle et l’on pense qu’elles prépareront ensemble le baptême avec la collaboration active de l’évêque de Reims, saint Rémi. Pour le roi des Francs, le choix du catholicisme romain n’a rien d’évident, puisque les autres royaumes barbares sont ariens, mais c’est la religion des Gallo-romains. La religion catholique permettrait au nouveau pouvoir barbare d’assumer l’héritage romain et catholique de l’empire. Le choix de Clovis est aussi personnel. Le 25 décembre 496 – mais l’année est discutée–, il est donc baptisé avec ses deux sœurs Alboflède et Landechilde et sa garde personnelle. Grégoire de Tours parle dans son Histoire des Francs, de Clovis comme d’un « nouveau Constantin ».

Geneviève érige une église à la mémoire de saint Denis
La Vita nous raconte comment Geneviève fit la promotion de l’agrandissement de l’église du village appelé Catheuil, au nord de Paris, du nom de Cattula, femme chrétienne et pieuse qui selon la légende inhuma Denis et ses compagnons dans son champ. Saint Denis est l’évangélisateur de la Gaule au IIIe siècle. Premier évêque de Paris, martyr, décapité avec ses compagnons Éleuthère et Rustique sur le mont des Martyrs (Montmartre), vers 250, il porta sa tête, jusqu’à l’endroit de son inhumation ; il est le saint dit céphalophore. Entre 451 et 475 selon les hypothèses, Geneviève va convaincre les prêtres (collège de chanoines ?) – dont un certain Géranius –de commencer l’édification du sanctuaire, malgré le fait qu’ils prétextent un manque de moyens. Geneviève commandite les travaux et s’occupe aussi du financement, en faisant aussi lever l’impôt, « les habitants contribuant à la sollicitation de sainte Geneviève » dit la Vita. Les miracles liés à cette entreprise sont d’abord la découverte par les prêtres envoyés par la sainte des fours à chaux qui permettent le commencement des travaux et aussi l’approvisionnement en vin et en eau pour les ouvriers. Un peu plus tard, sur la route de son domicile à l’église de saint Denis, lors d’une procession nocturne qu’elle fait en compagnie de ses filles, le cierge « qu’on tenait devant elle » se rallume miraculeusement. Une autre raison préside à la décision de Geneviève. Il n’y a pas en Gaule du Nord de culte des martyrs comme à Rome. Pour accréditer le nouveau sanctuaire, la Vita au chapitre XXIV décrit le cortège des douze énergumènes qui sont emmenés liés au sanctuaire pour y être délivrés à la prière de la sainte qui ne veut pas opérer l’exorcisme ailleurs. Si Geneviève fait donc ériger une église sur le cimetière où repose saint Denis, c’est Dagobert Ier (632-639) qui y fera établir une abbaye où il se fera inhumer inaugurant ainsi son statut de nécropole royale jusqu’à la Révolution.

Le pèlerinage au tombeau de saint Martin à Tours
Là encore, au-delà d’un élan de dévotion personnelle de la sainte, il faut aussi voir, une initiative pastorale. Elle est racontée des chapitres XXXVI à IL de la version Lallemant. Saint Martin n’est pas un martyr, mais un confesseur de la foi catholique définie à Nicée contre Arius. Il s’agit donc d’une prise de position pour la foi catholique. Les miracles mettent en scène des énergumènes qui sortant du sanctuaire veulent empêcher Geneviève de s’y rendre. Il y a aussi un chantre possédé et les trois maris aux femmes possédées. Geneviève apporte donc la paix dans l’Église et la paix dans les foyers, à une époque où le contexte politico-religieux est anxiogène.

La fin de Geneviève
Geneviève est de son vivant la patronne tutélaire de Paris et donc du Royaume franc établi en 482 par Clovis qui abandonne Tournai et qui fait de Paris sa capitale en 507. Geneviève plaide encore pour l’édification d’une basilique consacrée à saint Pierre et saint Paul, sur le mont Leuticus, future montagne Sainte-Geneviève, dont elle assurera le mécénat. Sa sépulture se trouve dans la crypte de l’église des saints Pierre et Paul, où elle est inhumée le 3 janvier 502. Clovis meurt en 511 à 45 ans. Il avait demandé à être enterré près de Geneviève, comme l’atteste Grégoire de Tours en 544 dans son Histoire des Francs.

Conclusion avec Galla Placida, Clotilde et Geneviève
Nous avons évoqué les figures des saints évêques, gardiens et protecteurs de leurs cités, champions de la foi catholique : saint Germain d’Auxerre, saint Loup de Troyes, saint Rémi de Reims. Nous voudrions conclure cette présentation de sainte Geneviève en évoquant deux autres figures féminines, de cette époque : Galla Placida et sainte Clotilde.

Galla Placida
Aelia Galla Placida n’est pas une figure de sainteté, mais n’en est pas moins un fidèle soutien de la foi catholique. Elle fera construire des églises à Ravenne et elle plaide la cause du pape Léon à Constantinople. Son destin extraordinaire confirme l’étendue de l’influence et de la place qui peut être celle des femmes dans cette société qui n’est pas égalitaire à bien des égards. Galla Placida est la fille de Théodose le Grand, la sœur des empereurs Arcadius et Honorius ; ce dernier hérite de la partie occidentale de l’empire. Après le sac de Rome en 410 par Alaric, elle est emmenée comme otage. Elle est mariée à Athaulf successeur d’Alaric le 1er janvier 414 à Narbonne. De cette union naît un petit Théodose, espoir dynastique pour les Wisigoths en quête de légitimité romaine, mais l’enfant meurt. En 417, elle épouse son libérateur, Constance III, général proclamé empereur et donne naissance au dernier empereur romain d’Occident, Valentinien III. À la mort de son mari, elle exerce la régence de l’empire depuis Ravenne. En 429, elle donne à Aetius la dignité de général pour tout l’Occident et elle accompagne ainsi l’installation chaotique des royaumes barbares en Gaule. En 448, elle accorde la grâce à saint Germain d’Auxerre qu’elle avait convoqué à Ravenne, parce que celui-ci avait négocié une paix séparée avec les Alains fédérés par Aetius contre la sédition d’Avitus. Enfin, elle contraint sa fille Justa Grata Honoria [13] à prendre le voile des vierges, pour limiter le nombre d’héritiers possibles de l’empire. Mais Honoria ambitieuse s’était mariée en secret à un haut fonctionnaire impérial, Eugène, qui fut exécuté. Honoria enceinte fut mariée d’autorité à un sénateur, Flavius Bassus, mais elle fit envoyer une bague à Attila pour solliciter son aide ce qu’il put interpréter comme une promesse de mariage. La mort de Galla Placida en 450 poussa Attila à entreprendre ses manœuvres de conquête en Italie.

Clotilde
Clotilde princesse burgonde est dans sa propre famille la victime collatérale des règlements dynastiques qui visent à réduire le nombre des prétendants royaux par le moyen du meurtre. Les femmes ne sont pas moins à l’abri que les hommes, puisque par les mariages, elles peuvent certes sceller des alliances politiques, mais aussi devenir par leur progéniture sources de prétentions politiques externes. Clotilde est la fille de Chilpéric fils du roi des Burgondes Gondioc, les frères de Chilpéric sont Gondebaud, Godegisèle et Godomar. Les fils règnent simultanément en se partageant le territoire. Gondebaud assassine ses trois frères, la mère de Clotilde est noyée, ses deux filles sont épargnées. Chroma ou Chrona doit « prendre le voile monastique » selon Grégoire de Tours [14] . Clotilde trop jeune pour voir sceller son destin reste à la cour de son oncle qui la donnera pour femme à Clovis afin d’affermir sa situation politique. Elle donne un premier fils à Clovis, Ingomer, qui meurt baptisé, puis le second Clodomir, et suivent Childebert, Clotaire et Clotilde vers 500. Comme reine des Francs elle amena son mari à la foi catholique avec le concours de l’évêque Rémi de Reims et de Geneviève. Veuve de Clovis elle fut confrontée à la violence des logiques successorales du droit germanique. Elle encouragea son fils Clodomir à entrer en guerre contre le roi burgonde Sigismond, qu’il fera assassiner avec son épouse et leurs enfants. À la mort de Clodomir, elle protègera en vain ses petits-fils contre leurs oncles Clotaire et Childebert. Seul Cloud leur échappa et devint un saint moine. Les deux frères ne tarderont pas à s’affronter pour se disputer le royaume de Clodomir. Clotilde se retire alors à Tours, auprès du sanctuaire de saint Martin. Elle conserve une grande influence par la désignation des évêques, préside à la fondation de monastères et c’est elle qui commandite la rédaction de la vie de Geneviève.

Geneviève
À la lumière des deux destinées précédentes, le choix de la consécration religieuse très précoce de Geneviève paraît être la condition d’une plus grande liberté dans la vie personnelle et dans l’exercice de ses responsabilités politiques. Elle échappe ainsi aux mœurs impitoyables pour assurer la survie familiale, tant chez les Gallo-romains que chez les Barbares, ce qui ne lui épargne pas d’être confrontée elle aussi à la violence. Elle est libre vis-à-vis de la société parisienne comme de Chilpéric. Elle mobilise les moyens dont elle dispose au secours de la population et à la promotion de la foi catholique.

III- La Vie de sainte Geneviève

Critique historique des sources
De nombreux historiens ont consacré des travaux à la vie de Geneviève. Signalons celle de Pierre Le Juge parue en 1586. L’auteur s’appuie sur d’autres sources que la Vita, comme l’Histoire des Francs de saint Grégoire de Tours et d’autres chroniques anciennes. La sainte a toujours suscité à travers les siècles une abondante littérature. Au XIXe siècle, la critique historique s’empare de la Vita. Le philologue allemand Bruno Krusch propose une édition critique en 1881 ; il édite aussi les Monumenta Germaniæ Historica. Pour cet érudit, la Vita est un faux rédigé par un moine à l’époque carolingienne. Face à lui se dresse pour la défense de l’authenticité de la Vita un historien belge, Godefroid Kurth, qui fait paraître une biographie de Clovis en 1896. Au-delà du travail scientifique, l’historiographie est appelée à soutenir le nationalisme allemand ou français, à la veille de la première guerre mondiale. Si la Vita est un faux carolingien, alors la naissance de la nation française au temps mérovingien est remise en cause. Il faut attendre les travaux de Martin Heinzelmann sur Les vies anciennes de sainte Geneviève pour établir définitivement l’authenticité de la Vita en 1986.

Le récit hagiographique de la Vita
Le récit de la Vie n’est pas continu, comme le genre des Évangiles. Il est une succession de faits rapportés dans une chronologie approximative avec une topographie plus renseignée. Ainsi sont évoqués les lieux suivants : Nanterre, Paris, Catheuil (Saint-Denis), Arcis-sur-Aube, Troyes, Laon, Meaux, Tours et Orléans. Les voyages se font à pied ou en bateau sur la Seine ou la Loire. Aussi de nombreux miracles ont-ils pour objet les difficultés de la navigation. Certains personnages sont nommés : les « grands personnages » – Germain d’Auxerre, Loup de Troyes, Attila, Childéric, Clovis, Rémy –, mais aussi des personnages secondaires – Sévère et Gérontia les parents, Céline ou Cilinie de Meaux, l’enfant catéchumène Cellomeris, l’officier municipal d’Arcis Passin, un prêtre nommé Besse à Arcis, l’avocat Fruminius de Meaux, l’enfant Marovethus. Dans d’autres récits, les personnages sont anonymes comme les trois maris de Tours… Le récit de la Vita a pour but l’édification du lecteur. Geneviève fait des miracles par sa prière les bras levés au ciel, le signe de croix, des onctions d’huile bénite. Geneviève a aussi des dons de connaissance comme dans l’épisode de la personne qui a volé ses sandales. Par deux fois, elle guérit les cécités provoquées par des outrages qui lui ont été faits (la gifle de sa mère et le vol de la sandale) et qu’elle pardonne. Geneviève procède aussi à des manipulations physiques comme avec la jeune paralytique de Laon. Si elle guérit les paralytiques, la moitié des miracles sont des exorcismes, comme Jésus dans l’Évangile. Elle agit aussi sur les éléments naturels : pluies, crues ou tourbillons des fleuves. L’auteur de la Vita prend bien soin de nous montrer cependant que ces actions miraculeuses ne s’opposent pas au ministère hiérarchique. Geneviève est consacrée comme vierge par un évêque ; elle fait bénir son huile par un évêque avant de l’utiliser pour guérir ; elle fait construire des églises.

Présentation de l’édition du Père Pierre Lallemant
Avec les autres chroniques anciennes comme l’Histoire des Francs et d’autres recoupements on peut interpréter certains épisodes de la Vita et en dégager les enjeux spirituels et politiques. Nous reprenons les chapitres proposés par l’édition de Lallemant. Cette édition de 1859, comporte un minimum d’indications de critique textuelle et d’éléments expliquant le contexte, le texte de la Vita est suivi des grandes étapes de la dévotion dans l’histoire de France.

I- Introduction : « faire connaître les merveilleux effets de la grâce »
II- Les évêques Germain et Loup prophétisent sur Geneviève
III- Vocation de Geneviève future épouse du Christ
IV- Remise à Geneviève de la médaille frappée de la croix par Germain
V- Gifle de Gérontia à Geneviève, punition et pardon de Geneviève
VI- Consécration de Geneviève par l’évêque Villicius
VII- Geneviève s’installe chez sa marraine, la soulage, lit dans les cœurs
VIII- Second passage de Germain, son témoignage contre les calomnies
IX- Approche d’Attila, Geneviève convoque les femmes de Paris
X- Colère des Parisiens contre Geneviève, intervention de l’archidiacre d’Auxerre
XI- Reconnaissance de Geneviève intercesseur comme les saints évêques protecteurs saint Martin et saint Aignan
XII- Description du régime ascétique et ses évolutions, jeûne 5 jours, mange le jeudi et le dimanche énumération des 12 vertus ascétiques
XIII- Projet d’une église dédiée à saint Denis au village de Catheuil
XIV- Découverte par les prêtres du four à chaux
XV- Visite de Geneviève au prêtre Genesius qui accepte le projet
XVI- Le ravitaillement miraculeux des charpentiers
XVII- Le cierge éteint et rallumé sur la route de Saint-Denis
XVIII- Plusieurs miracles avec les cierges
XIX- Le vol de la sandale et le pardon pour la voleuse
XX- Une jeune fille paralysée guérie après manipulation à Laon
XXI- Obtention de la grâce de condamnés auprès de Childéric
XXII- Témoignage de saint Siméon le stylite
XXIII- Consécration de Céline de Meaux contre l’avis du fiancé
XXIV- À Paris, exorcismes de 12 énergumènes et pèlerinage à Saint Denis
XXV- La fausse vierge de Bourges démasquée et pardonnée
XXVI- À Paris, l’enfant Celloméris tombé dans un puit et rendu à la vie
XXVII- Un homme guérit de la main à Meaux
XXVIII- La femme suspicieuse et curieuse aveuglée, guérie et pardonnée
XXIX- Expédition à Arcis-sur-Aube et Troyes pendant les dix ans de blocus, périls de la navigation
XXX- Guérison de la femme du magistrat Passin d’Arcis-sur-Aube
XXXI- Guérison de l’homme qui avait travaillé un dimanche
XXXII- Guérison du fils du sous-diacre et de nombreux possédés
XXXIII- Retour vers Paris, nouveaux périls de navigation action de grâce du prêtre Besse
XXXIV- À Paris, distribution du blé et priorité aux pauvres, 2e allusion à des illuminations du Saint-Esprit
XXXV- Guérison de l’avocat Fruminius de Meaux
XXXVI- Pèlerinage au tombeau de saint Martin de Tours - étape à Orléans, guérison d’une jeune fille
XXXVII- À Orléans, réconciliation d’un maître récalcitrant et puni de maladie et de son serviteur, rappel d’un miracle similaire avec saint Martin
XXXVIII- Arrivée à Tours par la Loire opposition démoniaque, exorcisme d’énergumènes près de la châsse
XXXIX- À Tours, requête des trois maris pour la délivrance de leurs femmes possédées, onctions d’huile
XL- Dans la basilique de Tours un chantre possédé est délivré par Geneviève. La sortie de l’esprit se fait « par le siège » !
XLI- La jeune fille et la fiole d’huile infestée par un esprit mauvais
XLII- Le petit Marovéthus, aveugle, sourd, muet boiteux frotté à l’huile par Geneviève est guéri
XLIII- À Meaux, protection contre la pluie pendant les récoltes
XLIV- Geneviève calme une tempête sur la Seine
XLV- Pénurie d’huile bénie par un évêque pour exorciser un homme et remplissage miraculeux de la fiole. Le rédacteur dit avoir vu l’ampoule
XLVI- Récit abrégé, le rédacteur conclut sur sa vie
XLVII- Guérison d’un homme de qualité, Prudens, sur le tombeau
XLVIII- Guérison d’un Goth sur le tombeau
XLIX- « Clovis fit bâtir une église en son honneur… », Saint Pierre et Saint Paul future abbatiale sainte Geneviève qui sera achevée par la reine Clotilde
Finale confession de l’unique substance divine et de la Trinité des Personnes et prière à sainte Geneviève.

IV- Le culte de Sainte Geneviève

L’action de Sainte Geneviève au-delà de sa vie terrestre
La Vie se termine par l’évocation de miracle du Goth guéri après avoir prié au tombeau de Geneviève. Ce miracle en faveur d’un Goth signifie aussi la réunion des nations romano-gauloise et barbares dans l’Église catholique. La promotion du culte des saints, la pratique du pèlerinage sur leurs tombes, les demandes d’intercession faites aux ascètes, toutes ses pratiques attestent de la possibilité laissée à l’homme d’une certaine participation à l’œuvre de Dieu. Elles sont cohérentes avec à la profession de la foi orthodoxe chalcédonienne défendue par sainte Geneviève, en raison de la théologie de l’incarnation et de ce qu’on appelle la réversibilité des mérites du Christ et des saints en faveur du peuple de Dieu. La Vie nous montre le respect de l’autorité épiscopale. C’est elle qui sanctionne les états de vie et qui contrôle le culte. Les capétiens entérinent le choix de Paris pour capitale du royaume dans la continuation de la légitimité dynastique remontant jusqu’à Clovis. C’est ce caractère national que prend Paris qui fait de Geneviève une patronne nationale, invoquée contre les ennemis de la nation.

Sainte Geneviève et les ennemis externes de la nation
Sainte Geneviève comme défenseur de la cité contre les Huns devient ensuite le modèle de l’héroïne qui exhorte au courage. Comme pour Jeanne d’Arc, sainteté et héroïsme peuvent être invoqués dans une perspective chrétienne ou nationale. Nous en relèverons quelques-unes, compilées notamment dans le petit recueil de Lallemant. Entre 857 et 863, les incursions normandes obligent le déplacement des reliques à Athis-Mons, puis à Draveil, pour les soustraire au pillage. En 886, l’ostension de la châsse de la sainte sur les murailles impressionne les Normands qui lèvent le siège. En 1635, les troupes de Charles Quint prennent Corbie en Picardie et viennent jusqu’à Pontoise. Sainte Geneviève est publiquement invoquée à cette occasion. En 1914-1915, Paris est atteint par les bombardements allemands. Guillaume II est présenté comme le nouvel Attila que va repousser sainte Geneviève. Enfin, c’est le cardinal Emmanuel Suhard qui présidera une procession le 19 mai 1940, l’armistice étant signé le 22 juin ! Geneviève n’avait pas été sollicitée en 1815 ni en 1870, ce qui ne retiendra pas la gauche républicaine de l’honorer notamment à travers les décors qui lui sont consacrés au Panthéon.

Sainte Geneviève et les ennemis intérieurs de la nation
Pendant la Fronde, qui est un épisode de guerre civile qui s’étend de 1648 à 1653 pendant la minorité de Louis XIV, où le pouvoir est exercé par la régente Anne d’Autriche et le cardinal Mazarin, les fondements de l’absolutisme royal sont contestés. C’est dans ce contexte qu’en 1652 est publié un opuscule qui porte comme titre :
Révélation de sainte Geneviève à un religieux de son ordre sur les misères du temps, où elle lui déclare la raison pour laquelle elle n’a pas fait miracle cette année.

Sainte Geneviève et la Seine, la domestication du fleuve
La Vita nous présente souvent sainte Geneviève dominant les flots à l’image de Jésus dans l’Évangile. Invoquée pour les dangers de la navigation fluviale, elle l’est aussi pour les pluies et pour les crues de la Seine. En 822, la crue submerge Paris sauf le lit de la sainte conservé dans sa demeure. Constatant le miracle l’évêque Inchade (814-829) est aussitôt témoin du retour du fleuve dans son lit.

Sainte Geneviève et les maladies, l’usage curatif des cierges
La Vita et Grégoire de Tours signalent que des miracles se produisent sur le tombeau de sainte Geneviève et que des malades y sont guéris. L’habitude s’est répandue d’invoquer Geneviève contre toutes les maladies épidémiques et les fièvres. Dans un poème paru en 1532, le célèbre Didier Érasme remercie la sainte de l’avoir guéri d’un accès de fièvre.

Cette réputation vient du miracle des « ardents ». Ce mal est provoqué par l’ergot de seigle, seigle corrompu par un champignon parasite. En 1130, cette maladie aurait causé 14 000 morts. L’évêque de Senlis obtint le transfert à Notre-Dame du corps de Geneviève : trois malades ayant effleuré la châsse furent instantanément guéris. L’année suivante, le pape Innocent II, venu en France, décida qu’une fête serait célébrée le 26 novembre, en commémoration de l’événement. Dans la crypte archéologique de Notre-Dame, en dessous de l’esplanade, se trouve les restes de l’église « Sainte-Geneviève des Ardents » construite à l’occasion de la procession de 1130 et détruite en 1747 pour agrandir l’hospice des enfants trouvés. La tradition du pèlerinage intégrera aussi l’application des cierges bénis sur la gorge en souvenir des miracles du cierge rallumé.

Canaliser les mécontentements dûs aux mauvaises récoltes
En 1694, à cause des mauvaises récoltes, une procession est commanditée par les autorités publiques. Des historiens suggèrent que ces processions jouent le rôle des manifestations d’aujourd’hui et servent à canaliser les mécontentements. La différence, c’est que tout le monde, peuple et dirigeants, processionnent avec la châsse de sainte Geneviève. Il est à noter que la châsse de saint Landry évêque de Paris au VIIe siècle et fondateur de l’Hôtel-Dieu rejoint toujours la procession.
La basilique des saints apôtres Pierre et Paul devenue basilique sainte Geneviève
Des religieux s’établissent dès que sainte Geneviève est inhumée dans la basilique des saints Pierre et Paul. Après l’intermède des incursions normandes, qui ont ruiné l’abbaye en 857, la vie conventuelle reprend. De 1176 à 1191, une nouvelle abbatiale gothique est érigée et les installations s’étendent sur tout le haut de la montagne qui est aujourd’hui le Lycée Henri IV. L’abbatiale dans son dernier état du XIVe siècle contiguë à l’église Saint-Étienne du Mont occupait la future rue Clovis et fut détruite en 1807. Napoléon 1er fait procéder en vain à des fouilles archéologiques dans l’espoir de trouver la tombe de Clovis. En 1803, le sarcophage de la sainte est transporté de l’ancienne basilique Sainte-Geneviève à l’église paroissiale Saint-Étienne du Mont.

La nouvelle basilique sainte Geneviève
En 1744, le roi Louis XV, alors qu’il est à Metz, malade, fait le vœu de faire édifier une nouvelle église en cas de guérison. En 1755, il fait commencer les travaux de la nouvelle basilique Sainte-Geneviève par Jacques-Germain Soufflot, qui meurt en 1780 sans voir la fin du chantier. Le 6 septembre 1764 a lieu une cérémonie grandiose en présence du roi pour la pose de la première pierre.

L’édifice est achevé en 1790, mais il est affecté comme Panthéon national par l’assemblée constituante, le 4 avril 1791.

En 1806, sous l’empire, le Panthéon redevient basilique Sainte-Geneviève. Lors de la Restauration, sous Louis XVIII, les reliques éparses de la sainte sont rassemblées et le reliquaire est installé dans la basilique de Soufflot. En 1822, Charles X fait exécuter des travaux. En 1830, après la Révolution de Juillet et l’avènement de Louis-Philippe, la basilique Sainte-Geneviève redevient Panthéon. En 1851, nouveau revirement, le président Louis-Napoléon Bonaparte la restitue à son usage de basilique dédiée à Sainte-Geneviève et fait procéder à des aménagements intérieurs. Après les vicissitudes de la Commune de Paris en 1871 où elle est fermée au culte, puis, à l’occasion des obsèques de Victor Hugo en 1885, la basilique redevient jusqu’à aujourd’hui le Panthéon.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce bâtiment fut au cœur des passions françaises, et le culte de sainte Geneviève fut instrumentalisé par toutes les tendances politiques : monarchistes légitimistes, constitutionnelles, républicaines, napoléoniennes !

L’ordre des chanoines réguliers de sainte Geneviève, les génovéfains
L’abbaye dispose d’établissements au-delà de Paris. Dans l’université naissante, l’abbé fait aussi office de chancelier de l’Université. De nombreux collèges sont fondés sur son territoire, comme en 1253 celui de Jean de Sorbon. La congrégation des génovéfains est exemptée, c’est-à-dire qu’elle dépend directement du pape. À l’époque du relèvement de l’abbaye, après une période de déclin relatif, où se sont déjà succédé plusieurs communautés religieuses, c’est Étienne de Tournai (1128-1203), chanoine régulier de Saint-Victor, qui en est l’abbé. L’abbaye Saint-Victor est fondée par Guillaume de Champeaux, fondateur de l’école de théologie des victorins, qui administre le haut de la Montagne. L’abbatiale Saint-Victor est, elle, située près de la Bièvre sur les bords de Seine ; elle est détruite en 1811.

Les Génovéfains, religieux attachés à l’abbaye sainte Geneviève, ne prennent le nom de leur patronne qu’au XVIIe siècle. Les Génovéfains observent la règle de saint Augustin. Ils ont à leur tête un abbé crossé et mitré et portent une robe blanche, un manteau et un camail noirs par-dessus. Le rayonnement de l’ordre est national. À partir de 1619, de par la volonté de réforme impulsée par Louis XIII qui veut rassembler plusieurs congrégations déclinantes, l’ordre accueille plusieurs autres abbayes sous l’abbatiat du cardinal François de la Rochefoucauld. Quatre provinces sont créées. L’apostolat confié aux provinces consiste à tenir des paroisses et des hôpitaux. À Paris, la vocation d’enseignement est maintenue ; la fondation de la bibliothèque date de 1624. Elle sera transférée à l’université d’État en 1850 dans le bâtiment actuel, construit par Henri Labrouste entre 1844 et 1851. Les Génovéfains ont des établissements partout. Notons par exemple celui de Lyon, près de saint Irénée de Fourvière, qui est aujourd’hui l’archevêché.

La châsse de sainte Geneviève
On ne sait pas exactement quand le corps de Geneviève est retiré du tombeau pour être placé dans une châsse et exposé au-dessus de l’autel de l’église. La première châsse est confectionnée au VIIe siècle, sous le patronage de saint Éloi évêque de Noyon, trésorier de Clotaire II et de Dagobert. En 1242, une nouvelle châsse précieuse est confectionnée par l’orfèvre Bonardus ; elle sera embellie par des œuvres de Germain Pilon (+1590), puis restaurée en 1614 par l’orfèvre Pierre Nicole et pourvue d’une couronne de diamants offerte par Marie de Médicis. En 1619, la châsse est disposée dans un sarcophage de porphyre jusqu’à son transfert dans la nouvelle basilique. En 1791, elle revient dans l’église et, le 3 décembre 1792, la châsse est fondue à la Monnaie de Paris et les reliques présentes dans la châsse sont brûlées. En 1851, Louis-Napoléon Bonaparte offre une nouvelle châsse réalisée par l’orfèvre Louis Placide Poussiègle-Rusand qui est actuellement à Notre-Dame de Paris. En 1895, une châsse fabriquée par l’orfèvre Louis Favier est offerte par la Compagnie des porteurs et est placée sur la passerelle au-dessus de l’ancien maître-autel de Saint-Étienne du Mont. Un reliquaire en forme de nef datant des années trente est déposé dans la cathédrale du diocèse de Nanterre.

Procession de la chasse au XVIIe siècle
© Source : Gallica.bnf.fr/ Bibliothèque Nationale de France

Processions et ostensions des reliques
Habituellement la châsse n’est pas accessible, mais elle peut être portée en procession sur décision des plus hautes autorités politiques nationales ou municipales (prévôt des marchands) et avec l’accord des autorités de l’Église. Les fidèles peuvent alors faire mettre sur la châsse des linges qu’ils récupèrent ensuite. En 1524 est fondée une confrérie des porteurs de la châsse. Ce sont quarante laïcs qui ont le droit de se réunir et de tenir un registre. L’église Saint-Étienne du Mont conserve deux tableaux ex-voto du peintre Nicolas de Largillière (1656-1746) et de Jean-François de Troy (1679-1752) qui représentent les conseillers et sainte Geneviève. Il s’agit pour le premier de la procession du 27 mai 1694 qui eut lieu à la suite à un temps de sécheresse. Le second tableau garde le souvenir d’une procession commanditée en 1725 par le conseil de Paris. Le janséniste Hardy explique comment en 1784 on relève partiellement le drap protecteur à partir des pieds de la châsse, puis progressivement tout entier dans le cadre d’une neuvaine. Des processions spontanées du peuple peuvent aussi venir occasionnellement depuis la banlieue. Hardy souligne la popularité du culte des reliques jusqu’à la veille de la Révolution, et ce, malgré le dédain du haut clergé de l’époque pour ces pratiques.

La dimension œcuménique du culte de sainte Geneviève
La Vita relate la sympathie spirituelle qu’éprouve Siméon le Stylite à l’égard de Geneviève de Paris dont il entend parler par des marchands auxquels il demande de lui témoigner son amitié. Il avait alors environ 70 ans et Geneviève 40 seulement. Voilà un lien entre les chrétientés d’Orient et d’Occident qui fut souvent évoqué pour inviter à s’unir en faisant mémoire de ces deux saints. Il faut aussi souligner que Siméon et Geneviève sont unis par une même foi. À cette époque de contestation du concile de Chalcédoine, la hiérarchie ecclésiale pouvait s’opposer sur les définitions christologiques déjà acquises. Les autorités politiques pouvaient elles aussi soutenir des options théologiques erronées. La théologie des saints attestée par le témoignage de leur vie était plus convaincante.

Vénération orthodoxe de sainte Geneviève
Depuis 1936, il existe une paroisse orthodoxe russe, qui a déménagé en 1966 au 4 rue Saint-Victor dans le Ve arrondissement ; cette ancienne boutique est devenue Notre-Dame-Joie-des-Affligés-et-Sainte-Geneviève. Cette paroisse dépend du patriarcat de Moscou. Depuis 1941, la communauté paroissiale fait un pèlerinage à Saint-Étienne du Mont, lors de la neuvaine. Plus récemment, le séminaire orthodoxe russe d’Épinay-sous-Sénart a orné sa chapelle d’un cycle de fresques sur la vie de sainte Geneviève. La récente cathédrale orthodoxe russe du quai Branly est décorée par les icônes de sainte Geneviève et de saint Denis. Cette vénération est possible pour les orthodoxes, puisque ces personnages ont vécu avant le schisme de 1051.

Les patronages de Geneviève
Cette tradition des patronages s’enracine dans la conviction catholique et orthodoxe de la communion des saints et de leur participation à la vie de l’Église militante. Dans la perspective catholique, la prière adressée aux saints ne fait pas ombrage à l’unique médiation du Rédempteur, même si cela ne convainc pas la sensibilité protestante, qui est historiquement prévenue contre les abus du culte des saints. Consciente des ambiguïtés, l’Église catholique assume et encadre le culte des saints au profit de ce que l’on appelle la dévotion populaire. Ainsi, sainte Geneviève est la patronne de la Ville de Paris, l’Église de Paris ayant elle saint Denis comme patron. Sainte Geneviève est aussi patronne des bergères, des chapeliers, des fabricants de cierges, des tapissiers… Elle était invoquée pour expulser les démons installés dans le corps des femmes, par référence aux trois maris de Tours. En 1963, le pape Jean XXIII la déclara patronne des gendarmes. À cette occasion, il écrivait : « La vierge sainte Geneviève, lumière de leur patrie, se montra autrefois, ainsi que le souvenir s’en est conservé, le soutien du peuple dans les graves périls et n’a cessé, dans la gloire éternelle, de répandre des bienfaits sur ceux qui la prient. » C’est au titre de « gardiens de l’ordre public » que les gendarmes peuvent la revendiquer comme patronne. Geneviève est également la patronne de la ville de Nanterre et de l’ensemble du diocèse du même nom, donc du département des Hauts-de-Seine. Généreuse et courageuse, sa vie et son œuvre constituent un bel exemple pour la fondation qui porte son nom !

V. Quelques témoignages iconographiques

- Le Panthéon, basilique Sainte Geneviève
En 1824, Charles X rend le Panthéon au culte catholique. Il y fait exécuter la décoration du dôme par Antoine-Jean Gros qui nous offre une sainte Geneviève de type bergère qui reçoit du souverain l’hommage d’une présentation de la charte constitutionnelle sous les yeux de Clovis et de saint Louis.
Parmi les grandes toiles destinées au Panthéon se trouvent celles de :
Théodore Pierre Nicolas Maillot (1826-1888) illustrant la procession de la châsse de sainte Geneviève à Paris, le 12 janvier 1496 – aujourd’hui à Orsay –
Puvis de Chavannes (1824-1898) réalisées entre 1893 et 1898. Elles présentent une Geneviève, matriarche, déterminée et active donc, une anti-mystique.

- La cathédrale de Nanterre
Les mille mètres carré de fresques réalisées entre 1926 et 1937 par divers artistes sous la direction de Paul Baudoüin (1844-1931)
La mosaïque de Rupnick installée sur la façade de la cathédrale de Nanterre en 2017.

- Le pont de la Tournelle
La statue de Sainte Geneviève protégeant un enfant portant une nef et regardant vers l’est sur le pont de la Tournelle par Paul Landowski (1875-1961), œuvre installée en 1928.

VI. Bibliographie

La Vie de Sainte Geneviève écrite en latin dix-huit ans après sa mort et traduite par le R. P. LALLEMANT, prieur de l’Abbaye Sainte-Geneviève et chancelier de l’Université de Paris, éditeur Antoine Dezailliez, Paris, 1683.
CONSTANCE DE LYON, Vie de Saint Germain d’Auxerre (Vita Germani), Sources Chrétiennes, n°112.
SAINT GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire Ecclésiastique des Francs, Livre I, VII.
C. KOHLER, Étude critique sur le texte de la vie latine de sainte Geneviève, fascicule 48, EPHE.
Louis DUCHESNE, Vie de sainte Geneviève, École des Chartes.
Les Bollandistes, Acta Sanctorum, édition de Paris 1863-67.
Bruno KRUSCH, Scriptores rerum merovingiacarum.
Chronique des Bénédictins de Saint-Maur
Pierre LE JUGE, Histoire de sainte Geneviève.
THÉODORET DE CYR, Histoire des moines de Syrie, Tome II, Sources Chrétiennes n°257, Cerf.
Michel ROUCHE, Clovis, Fayard, 1996.
Joël SCHMIDT, Sainte Geneviève, la fin de la Gaule romaine, Perrin, 2008.
Michèle LORRAINE, Sainte Geneviève, Mame, 1961.
Jacques OLLIER, Sainte Geneviève, apôtre de l’unité, Paroisse Saint-Étienne du Mont, Paroisse Notre-Dame-Joie-des-Affligés-et-Sainte-Geneviève, Monastère Notre-Dame-de-Toute-Protection, de Bussy-en-Othe (1996) 2012.
Yvon AYBRAM, Petite vie de sainte Geneviève, Desclée de Brouwer, 2017.
Yvon AYBRAM, Chemins de foi, en pèlerinage dans le diocèse de Nanterre, Association Diocésaine de Nanterre, 2000.
Guy RONDEPIERRE, « Geneviève de Nanterre, figure prophétique d’une vie chrétienne moderne », dans Église des Hauts-de-Seine, n°348, février 2009.
Geneviève CHAUVEL, Sainte Geneviève premier maire de Paris, L’Archipel, 2017
Vie de sainte Geneviève dans http//:sainte-genevieve.net
La présentation de l’exposition organisée par la Ville de Paris : Geneviève sainte patronne de Paris et des parisiens, Comité scientifique : Michel Sot (Sorbonne), Isabelle Brian (Université de Lorraine), Laurent Croq (Université de Nanterre), Bruno Dumézil, (Sorbonne) et le Comité d’histoire de la Ville de Paris.

[1Honorius à Rome et Arcadius à Constantinople. L’empire romain était divisé en 3 préfectures du prétoire : 1re Gaules 2e Illyrie, Italie et Afrique, 3e Orient. La préfecture du prétoire des Gaules comprend les diocèses de Maurétanie, les Espagnes, la Septimanie (Arles), les Gaules (Trèves), les Bretagnes. La préfecture d’Illyrie est partagée en 395 : en Orient sont rattachés les diocèses de Dacie (Sardique), de Macédoine (unie à la Dacie jusqu’à Constantin) et la province d’Achaïe. En Occident restent les diocèses d’Afrique, l’Italie, l’Italie Annonaire (Milan) la Pannonie (Sirmium). La Préfecture d’Orient comprend les diocèses de Thrace, l’Asie et l’Asie proconsulaire, le Pont, l’Orient (Antioche) et l’Égypte détachée de l’Orient depuis Théodose. En dessous des diocèses on trouve les provinces. Pour la Gaule du Nord on a la Belgique 1re, Belgique 2nde, Germanie 1re (Cologne), Germanie 2nde (Strasbourg).

[2Michel ROUCHE, Clovis, p. 338, les 32 canons adressés à Clovis « À leur Seigneur, fils de l’Église catholique, le très glorieux roi Clovis, tous les évêques tous les évêques auxquels vous avez donné l’ordre de venir en concile ». Clovis promulgue les lois de l’Église.

[3Ibid., p. 523 sqq. Il présente un extrait de la Lettre et un commentaire

[4Ibid., p. 341, Canon 4 du concile d’Orléans en 511.

[5Henri-Irénée MARROU, Nouvelle Histoire de l’Église, Seuil, tome 1, p. 496

[6Gélase définit en 442 la supériorité du spirituel sur le temporel. « Il y a donc deux puissances, empereur auguste, par lesquels le monde est régi, l’autorité sacré des pontifes (auctoritas sacrata pontificum) et le pouvoir royal (regalis potestas) (…) tu dois te soumettre à l’ordre de la religion plutôt que d’être au-dessus. » Cité par Michel ROUCHE, Clovis, p. 339. Les papes affirment aussi en parallèle leur autorité sur les Églises occidentales pour les soustraire à la pression des princes.

[7René METZ, La consécration des vierges dans l’Église romaine, Étude d’histoire de la liturgie, Bibliothèque de l’Institut canonique de Strasbourg, tome IV, 1954 ; La consécration des vierges, hier, aujourd’hui, demain, Cerf, 2011.

[8Vie de Saint Germain d’Auxerre (Vita Germani) par Constance DE LYON, Sources Chrétiennes, n°112. Deux voyages attestés en 429 et 446 formellement par des conciles gaulois (cf. aussi Concile de Carthage en 418).

[9Extrait de la liste des évêques de Paris selon l’ordo administratif du diocèse : « 10e : Vivien, Félix, Flavien, Ursicin, Appedemius, Héraclius (en 511), Probatus, Amelius (en 533 et 541), Saffarac (en 549, déposé en 552) Eusèbe ou Libanius, saint Germain de Paris (vers 555-576) – fondateur de l’abbaye qui porte son nom mais dont la titulature originelle est « basilique Sainte-Croix et Saint-Vincent ». Nous sommes alors sous le règne de Childebert 1er dernier des quatre fils de Clovis. Michel Rouche (p. 480) et l’ordo donnent neuf évêques entre 346 (Victorien) et 51. Nos listes doivent donc supposer des vacances de siège.

[101re aux Corinthiens 7, 8-9 : « À ceux qui ne sont pas mariés et aux veuves, je déclare qu’il est bon pour eux de rester comme je suis. Mais s’ils ne peuvent pas se maîtriser, qu’ils se marient, car mieux vaut se marier que brûler de désir. »

[11Germain est évêque d’Auxerre en 418 ; il passe à Nanterre en 429 et meurt en 448. Les eulogies sont des dons en nature, pains ou petits objets faits par les fidèles et bénis par le ministre et dont il dispose pour faire des cadeaux. (Michel Rouche, p. 482)

[12Voir Jérémie 42, 7 et suivants.

[13M. ROUCHE, Clovis, op. cit., p.121

[14Ibid., p 230 sqq.

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