Pourquoi les « grandes villes » ?

Le 6 août 2001, le Cardinal Lustiger était invité en Australie, notamment à Melbourne, à Sydney et à Perth, pour une conférence sur « La ville ».

A la lumière de la parole de Dieu, il y analyse les mégapoles modernes, symbole de la destinée humaine et lieu emblématique du combat spirituel aujourd’hui.

Extrait.

En Afrique, en Amérique et en Russie, il existe deux espèces de criquets : les « criquets migrateurs », et les « criquets pèlerins ». Les hommes, à l’origine de notre espèce tels ces criquets, auraient d’abord vécu nomades et dispersés. Puis, poussés par leur génie ou par un mauvais démon, ils se sont regroupés donnant naissance aux villes. Mais quelles villes ? Ces merveilles d’humanité que sont les cités antiques, Athènes par exemple ? Ou bien, comme me les décrivait Dom Helder Camara, ces misérables favelas où les populations du Nord-Est brésilien, fuyant la famine, espéraient trouver un sort meilleur ?

En réfléchissant avec vous sous le patronage de Dom Helder Camara, j’ai l’impression de continuer à dialoguer avec lui sur l’extraordinaire phénomène d’urbanisation qui a marqué le XXe siècle et qui marquera sans doute le XXIe. En cinquante ans, de 1950 à l’an 2000, la population des villes est passée, pour l’ensemble de la planète, de 30 % à près de 50 %. Les pays développés sont passés, pour leur part, de 54 % en 1950 à 78 % en l’an 2000, et les pays en développement, de 18 % à plus de 40 %. Une immense vague migratoire fait bouger les masses humaines sur notre planète.

C’est exactement ce que font ces braves criquets : lorsqu’ils sont dispersés dans la nature, comme tous les insectes, ils prélèvent pour se nourrir leur part de végétation sans causer de dommage grave. Puis, soudainement, ils se regroupent en nuées énormes qui ne cessent de grossir. Elles ravagent sur leur passage toutes les récoltes et toute la végétation. On a tout essayé pour les arrêter, du lance-flammes aux nappes d’insecticide projetées par avion. Mais la nature fait bien les choses : lorsque les criquets ont tout détruit, ils se dispersent et redeviennent de gentils insectes ! En va-t-il de même aujourd’hui pour l’espèce humaine ? Inexorablement la population abandonne les espaces ruraux pour former ces immenses mégapoles qui recouvrent la terre de leur béton. Les humains devraient-ils, comme les criquets, être nommés « migrateurs » ou bien « pèlerins » ?

Mais laissons là les criquets et ouvrons la Bible. Les premières pages nous décrivent l’origine de l’humanité. Dieu place le premier couple dans un jardin, l’Eden. Maintenant, allons aux dernières pages : l’ Apocalypse nous dévoile l’ultime destin de l’humanité sous la figure d’une ville, la Jérusalem d’En Haut où l’humanité entière est assemblée dans l’amour et participe en plénitude à la vie de Dieu.

Qu’y a-t-il entre le jardin d’Eden, ce paradis perdu, et la Jérusalem d’En Haut, bonheur inouï espéré pour la multitude des hommes ? Non pas seulement les quelques milliers de pages de nos bibles, mais toute l’épaisseur de l’Histoire, notre histoire, c’est-à-dire notre passé, notre présent et notre futur. Notre histoire n’est donc pas la variante humaine de l’instinct grégaire et destructeur des criquets, mais elle dévoile la vocation divine de l’homme qui, selon ses besoins économiques, se fait migrant de continent en continent et, selon le dessein de Dieu, s’avance en pèlerin vers la Cité d’En Haut.

Quelles sont les premières villes nommées par le livre de la Genèse ?

  • La première a été fondée par Caïn , le meurtrier d’Abel (Gn 4, 16-17). Cependant, il lui donne le nom de son fils, Henoch, signe de vie. La ville sera-t-elle à l’image de son fondateur, elle aussi meurtrière ? Quel est donc son lien avec la mort et la vie ?
  • La seconde ville nommée par la Genèse (11, 1 .9) est Babel et sa tour. Babel, prodigieux symbole de l’ambition humaine qui veut prendre la place de Dieu. Cette idolâtrie suprême refuse la mission divine confiée à l’humanité de soumettre la terre et de la cultiver. Alors Dieu introduit la confusion des langues qui pousse les hommes à se disperser. La ville tentée par l’idolâtrie est divisée par la quête d’une impossible unité.
  • Enfin, la troisième, Sodome, devenue le symbole universel de l’aliénation. Car cette ville impose à ses habitants un conformisme totalitaire et la perversion de leurs moeurs. Mais elle rappelle aussi l’intercession du juste au nom de la miséricorde divine (Gn 18, 16 sq).

La ville, lieu de l’autodestruction de la dignité humaine et de son besoin de rédemption ? Ces trois villes des origines associent donc leur destin :

  • à la mort,
  • à l’idolâtrie
  • à la dégradation de la vie humaine.

Comment comprendre ce sévère diagnostic ? Se vérifie-t-il en notre siècle ? Peut-il nous aider à trouver lumière et espérance ? Nous permet-il de découvrir les moyens d’action efficaces pour que la vie humaine soit digne de l’homme ? Car Dieu tire le bien du mal. C’est pourquoi nous ne « nous laisserons pas vaincre par le mal » (Rm 12, 21), nous dit Saint Paul.

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Paris Toussaint 2004